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Russie - France : Polina Petrouchina

Russie - France : Polina Petrouchina

Une vie française et des projets russes

Deux cultures ? "Cela faisait trop pour moi, deux langues, deux familles, deux pays... j’ai – heureusement – fait la paix avec mes deux cultures."

26 janvier 2011 - par Arnaud Galy 
Polina Petrouchina... elle même !
Polina Petrouchina... elle même !

Polina, les fêtes de Noël viennent de se terminer à Strasbourg, où vous vivez actuellement, comme en Russie... ou préférez-vous passer ce moment ?

Le lieu importe peu, en vérité. L’essentiel, c’est d’être en famille, avec ses proches. Bien sûr, les choses se compliquent lorsque la famille est éparpillée à travers le monde… il devient impossible d’être avec tous à la fois. Alors je passe les fêtes souvent en France, et parfois à Moscou.

Pouvez-vous, sans dévoiler des indiscrétions, nous expliquer les raisons de votre venue en France ?

Je suis arrivée en France à 7 ans. Ma mère, Gala Marina, m’a emmenée avec elle. Ce n’était pas mon choix, mais cela a été ma chance. Car j’ai fait toute ma scolarité en région parisienne, j’ai été à l’abri de la vie très difficile qui était alors imposée à ma famille restée en Russie.

Polina Petrouchina

Êtes-vous toujours en équilibre entre vos deux pays, ou avez-vous décidé de rester en France d’une manière définitive ? Si oui... quels sont les aspects de la vie ici qui vous conduisent à rester ?

J’ai souvent essayé de trancher lorsque j’étais enfant. Cela faisait trop pour moi, deux langues, deux familles, deux pays. Mais c’est impossible, et j’ai – heureusement – fait la paix avec mes deux cultures. Je vis en France, mon compagnon est français… mais cela ne m’empêche pas d’avoir des projets en Russie. Je ne voudrais pas y aller sans un projet à réaliser, sans un but autre que le « retour aux racines », qui serait une très mauvaise raison. Bien sûr, mes amis qui vivent en Russie se moquent de moi lorsque je leur parle de mon envie de rentrer, car la vie est plus dure, et qu’ils imaginent mal la petite française que je suis s’y adapter à long terme. Et puis, ils rêvent parfois de leur côté de l’Europe… Mais pour moi, les choix de vie ne sont pas dictés par les avantages de tel ou tel pays, mais plutôt par les rencontres et les projets que l’on peut faire. Dans mon métier, on peut vivre n’importe où, travailler par mail, se déplacer selon les besoins. Exactement comme je le fais entre Strasbourg, Paris, Moscou et Saint-Pétersbourg.

Quel est votre chemin professionnel et artistique ?

Tout le monde est artiste dans ma famille. Et je me suis entêtée depuis toute petite à faire pareil. Après un bac arts plastiques, j’ai fait une prépa lettres à Paris, puis un an à Estienne, et je suis partie à Strasbourg où j’ai fait les Arts Déco. J’ai commencé à participer à des fanzines et des expos de bande dessinée dès que j’ai été capable de dessiner deux cases qui se suivent. Sans prétention, mais avec l’idée de ne pas m’enfermer dans le cocon confortable de l’école. J’ai surtout très vite cherché à rencontrer des auteurs russes. Et à participer à des projets en Russie. J’ai sorti en novembre mon premier livre, un album jeunesse à quatre mains avec ma mère. Il s’appelle Le grand Amour (éd. Hélium). C’est un projet qui me tient énormément à cœur, et qui fait la synthèse de toutes mes recherches plastiques de ces cinq dernières années.

Polina Petrouchina

Aujourd’hui, quelle orientation prend votre activité ?

Je ne sais jamais quelle orientation exactement prendra mon activité le mois prochain. Je change souvent de direction, même si j’ai des constantes. Il y a encore quelques mois je ne jurais que par la bande dessinée (sans vraiment en faire), alors que maintenant j’ai très envie de faire de nouveaux albums jeunesse. J’ai plusieurs idées dans mes tiroirs. En même temps, je m’investis beaucoup dans des projets franco-russes. Je rentre de Moscou, où j’ai organisé à la demande de l’ambassade de France des ateliers pour enfants lors d’un salon du livre. En invitant deux auteurs français : Olivier Besson et Violaine Leroy. J’aime aussi ce genre de projets, qui sont en fait assez éloignés de la création elle-même, mais qui me permettent de mettre les gens en mouvement, en relation, de faire découvrir des auteurs français au public russe, de créer un dialogue artistique. Je fais plein de choses en même temps et j’espère que cela va continuer ainsi.

Vous êtes très impliquée dans l’organisation d’un festival de bande dessinée à Saint-Pétersbourg. Parlez-nous en ?

En effet, je travaille bénévolement depuis environ deux ans pour un festival de bande dessinée qui se déroule à Saint-Pétersbourg fin septembre depuis quatre ans. Ce festival s’appelle Boomfest* www.boomfest.ru, il a été crée par Dimitri Yakovlev, qui est un passionné de bande dessinée, et qui a rassemblé autour de lui quelques personnes très investies. C’est une aventure humaine très forte, nous montons un festival international avec une dizaine d’expos chaque année, pratiquement sans budget, en invitant les auteurs que nous aimons, et tout cela dans un pays où la bande dessinée n’a pas encore pris la place qu’elle mérite dans la culture et l’édition.

Polina Petrouchina

Où en est la bande dessinée russe ? Pour un lecteur non averti comme moi, elle est « discrète ». Ai-je tort ?

La bande dessinée russe a une histoire très particulière, elle a toujours existé, mais sans que cela se sache, de manière très marginale. Et aujourd’hui, elle est en plein essor. De jeunes auteurs apparaissent, cherchent à se faire publier. C’est le monde de l’édition qui est en retard, et qui ne s’investit pas dans l’aventure. Alors pour l’instant, il y a des petits tirages, des fanzines, quelques petits éditeurs, plusieurs festivals, et internet. Mais les perspectives professionnelles pour les auteurs russes sont malheureusement encore réduites. Au Boomfest, nous avons crée notre propre maison d’édition, Boomkniga, mais nous avons pratiquement pas de ressources, donc on commence assez doucement.

Quels sont les différences fondamentales avec la bande dessinée franco-belge ou celles des USA ?

On trouve en Russie et des comics, et du manga, et de la bande dessinée franco-belge. Tous les styles sont réappropriés par les auteurs. J’ai personnellement plus d’intérêt pour la bande dessinée d’auteur, dite « indépendante », qui privilégie la singularité, et qui est résolument apatride.

Vos relations professionnelles entre la France et la Russie ou l’Europe et la Russie sont-elles importantes pour vous, si oui, à quel titre... qu’en attendez-vous ?

C’est très important pour moi d’agir positivement pour les relations entre mes deux cultures. Je veux pouvoir travailler dans de bonnes conditions, avoir des perspectives, et c’est ce que je souhaite pour les auteurs russes. Et cela demande du travail !

Pensez-vous que votre double culture et double éducation, vous fassent pratiquer votre métier différemment ? Le trait, le style, les inspirations, les couleurs sont-ils « métissés » ?

Je ne suis pas la mieux placée pour déceler dans mon travail plastique des inspirations ou des références, parce que j’ai le nez dedans. Mais ce qui est certain, c’est que l’environnement dans lequel j’ai grandi se retrouve dans mon travail : tissus, motifs, matières… J’achète quand j’en trouve des objets d’art populaire, ou des livres sur ce sujet. J’aime aussi beaucoup le lubok (gravure populaire russe, forme d’art séquentiel).

Polina Petrouchina

Crayon ou pinceau en main... pensez-vous en français ou en russe ?

Cela dépend de ce que je fais, de ce que j’ai envie de raconter.

… Les écrivains bilingues affirment souvent qu’ils ne disent pas ou qu’ils ne pensent pas, de la même manière selon la langue qu’ils utilisent, ressentez-vous la même différence ? Dit autrement, vos créations seraient-elles les mêmes si vous habitiez Moscou, Kazan ou Vladivostok ?

Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des choses que j’arrive mieux à dire en français. Mais c’est certainement parce que c’est la langue que je pratique plus.

En tant que résidente strasbourgeoise d’origine russe, la notion de francophonie vous parle-t-elle ? Le fait que Québécois, Vietnamiens, Maliens, Belges, Roumains ou Français (entre-autres) essayent de créer des passerelles culturelles, politiques ou éthiques grâce à une langue commune est-il une ambition qui vous séduit ?

C’est une ambition nécessaire, mais j’aime la francophonie seulement lorsqu’elle permet un échange culturel et qu’elle fait la promotion d’une langue riche et partagée. J’aime moins quand c’est un prétexte à l’exploitation post-colonialiste comme cela semble être le cas dans de nombreux pays…


* www.boomfest.ru


Polina Petrouchina... glissade à Moscou

Lire l'article sur Le blog de Polina Petrouchina

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