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Italie - Retour sur l’année 2016-2017

Italie - Retour sur l’année 2016-2017

15 octobre 2016 - par Anna Soncini Fratta 

Depuis le début du XXI siècle, la Francophonie a cherché (avec les déclarations de Bamako et de Saint-Boniface) à assumer une position de plus en plus active pour le maintien de la paix dans le monde. Or, c’est l’Europe – ce vieux continent dans lequel la Francophonie tire ses sources – qui a perdu la paix à laquelle depuis soixante-dix ans elle s’était habituée. Elle voit son quotidien ébranlé par le terrorisme. Une guerre subtile et nouvelle, une guerre des nerfs, capillaire et difficile à combattre, conditionne les pays européens qui cherchent à comprendre et à trouver une solution. Des États Unis arrive une analyse de la situation : deux chercheurs de grande renommée, Will McCants et de Chris Meserole (de la Brooking Institution), dans un article intitulé The French connection (paru sur la revue « Foreign Affairs ») affirment que ceux qui font des attentats sont tous francophones ; que les attentats sont à relier à la culture politique française et à sa laïcité, vu qu’en France l’État et l’Église ont deux rôles nettement séparés. Si cette « étude sur la Francophonie a fait hurler l’Ambassadeur de France aux États Unis » (d’après l’article paru sur le « Huffington Post » le 26 mars 2016), l’idée a été lancée, discutée et souvent reprise, par exemple dans une interview de Stefano Montefiori à Olivier Roy, publiée après les attentats de Nice (« Corriere della sera », 17 juillet 2016). Or, s’il est vrai que parmi les pays les plus touchés en Europe, les pays francophones (France, Belgique) sont au premier plan et que les assassins sont tous francophones, faut-il pour autant chercher l’explication d’une radicalisation religieuse dans la Francophonie ? Ou ne serait-ce plutôt que la Francophonie est en première ligne dans la défense de la culture, non pas française, mais européenne, voire occidentale, dont on veut la destruction ? Cela a été-t-il perçu ? Quelles ont été les réactions en Italie ?

C’est dans ce cadre (ou grâce à ce cadre ?) que le film « Francophonia » de Sokurov a suscité un grand intérêt au Festival International de l’Art Cinématographique de Venise (octobre 2015). Classé depuis le début parmi les possibles lauréats du festival, il a touché le public italien par la force de son discours et par son art. La réception (quoique parfois soumise à des critiques, voir Gabriele Niola, « Badtaste.it  ») est toujours élogieuse du rôle de la parole et de la centralité de l’art que le film propose. Avec « Francophonia », Sokurov offre à la France le rôle de gardienne de la mémoire culturelle européenne. La collaboration réelle entre le directeur du Louvre Jacques Jaujard et le comte Franziskus Wolff-Metternich, officier allemand pendant l’occupation à Paris, dans la tentative de sauvegarder le patrimoine du musée du Louvre, devient la toile de fond pour affirmer l’importance du respect de la culture, du dialogue, de l’art et de l’histoire.


Réception en 1947, pour l’entrée de l’œuvre intitulée "Bain de soleil" au musée d’art moderne de la ville de Paris, section art contemporain, dans le Palais de Tokyo. Sculpture réalisée en taille directe par le sculpteur américain Cecil Howard en 1933. De gauche à droite : Cecil Howard, inconnue, Jacques Jaujard, directeur général de la direction des Arts et Lettres, et David Bruce, ambassadeur des États-Unis. (Ph : wmc - archives familiales Howard-Beneyton)

Car le Louvre, en abritant l’art européen, abrite également le passé, la vie, l’existence du vieux continent. Pour Sokurov, sans le Louvre, sans cette capacité de rendre le passé vivant, l’Europe perd son identité profonde. L’art est l’élément qui peut et qui doit contraster la barbarie. Le Louvre est la démonstration - ajoute le critique Goffredo Fofi dans l’« International » (28.12.2015) - du chemin tourmenté de l’humanité et de sa capacité à s’élever au-dessus des besoins et de la nature, pour être culture et civilisation. Cela arrive au moment où le Pape aussi, dans un volume paru seulement en italien, La mia idea d’arte (« Mon idée d’art », Edizione Musei Vaticani, Mondadori, 2015) souligne la puissance évocatrice de l’art, sa capacité de faire dialoguer les gens : les musées, écrit-il, doivent accueillir les nouvelles formes d’art. Ils doivent ouvrir leurs portes au monde entier, être un instrument de dialogue entre les cultures et les religions, un instrument de paix. Ils doivent être une réalité vivante, gardienne du passé et en mesure de le raconter aux gens d’aujourd’hui. Ainsi, l’église (à travers la « Commission nationale pour l’évaluation des films » de la Conférence des Évêques italiens - CEI ») appuie de manière forte le film « Francophonia » : il s’agit d’une œuvre qui pousse à réfléchir sur le pardon et la miséricorde, parce qu’il dit au spectateur d’aujourd’hui et de demain l’urgence de défendre et de protéger le patrimoine culturel universel, surtout là où les conflits sont présents, où l’homme semble avoir perdu le chemin de la raison.



Mais alors que le film faisait le tour des cinémas d’essai italiens, les attentats de Paris ont lieu ; l’Europe semble trouver une entente et une union qu’elle ne paraissait pas avoir si fortes auparavant. L’opinion italienne suit les événements, donne souvent la parole aux stars du cinéma et une grande place à leur condamnation. La peur devient l’ennemi auquel faire face et les explications tournent souvent autour de la géopolitique (la France a bombardé les stations de Daesh en Iraq) et du marketing (la capacité de Daesh à utiliser les moyens de communication de masse, voir « Panorama » du 26 juillet 2016).

Toutefois, ce qui est ressenti de manière constante, c’est ce que la Secrétaire générale de la Francophonie, Michaëlle Jean résume dans son discours au mois de mars « Tous les mots nous parlent, mais certains plus que d’autres, parce qu’ils expriment l’essence profonde de la condition humaine. Liberté, égalité, fraternité, diversité, universalité. Ces mots écoutons-les résonner avec force. Ils disent siècle après siècle le triomphe de la lumière sur l’ombre, de l’esprit des Lumières, de toutes les Lumières, sur l’obscurantisme et la barbarie ». Le texte est intégralement repris et traduit par un des quotidiens les plus suivis en Italie, « Il fatto quotidiano », le 20 mars 2016. À cette date, l’Italie voit la Fête de la Francophonie prendre forme dans de nombreuses villes. Elle attire l’attention aussi parce qu’elle s’applique à souligner la force de la culture et le pouvoir de gagner le combat à travers les mots. Car la lutte n’est pas entre la civilisation et le barbare comme à l’époque de César, quand ceux qu’il appelait les sauvages et les primitifs ne savaient ni lire ni écrire, il ne s’agit pas non plus d’appliquer la curiositas d’Homère ou d’Hérodote pour essayer de trouver les traits communs ; aujourd’hui il s’agit de trouver la forme, les mots pour que le respect de l’autre puisse trouver sa place.

Les nombreuses initiatives qui ont vu le jour dans notre péninsule semblent dire cela. Il s’agit d’initiatives qui cherchent à unir différents pays, différentes cultures et à faire de la francophonie l’enjeu puissant du dialogue. La force du « Groupe des Chefs des Missions Francophones en Italie » démontre la volonté grandissante d’éliminer les barrières et d’unir les efforts. C’est ainsi que le Festival du Film Francophone de Rome a présenté douze films, souvent inédits en Italie, provenant de Belgique, Canada-Québec, Côte-d’Ivoire, France, Grèce, Liban, Luxembourg, Mali, Maroc, Suisse, Roumanie et Vietnam. Des metteurs en scène et des acteurs étaient présents et témoignaient de l’ampleur de la francophonie. À souligner que pour la première fois ce festival a été organisé en rapport étroit avec le Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF), en Belgique, ce qui, dans le cadre des événements actuels, a pris une valence fortement symbolique. Le public était sollicité à être actif ; il était invité à voter le film qu’il aimait le plus, de même que des spécialistes étaient à l’œuvre pour décerner le prix du jury. Si le public a été nombreux, peu de résonance a été donnée aux résultats des votations : l’importance réside dans le fait d’être uni dans une activité culturelle, dans la capacité de discuter ensemble, non pas dans la création d’une liste de valeurs.

Toutefois, comme toujours, des initiatives plus ponctuelles n’ont pas manqué. Le Québec a présenté les « Enfants prodiges : des portraits visionnaires », des journées consacrées au cinéma québécois qui ont fait connaitre au public italien les œuvres de Mathieu Denis, de François Delisle et François Lesage. Organisé en collaboration avec le Conseil des arts et des lettres du Québec, la Société de développement des entreprises culturelles du Québec, la Délégation du Québec à Rome, l’Ambassade du Canada en Italie et l’Institut français de Milan, ce projet a trouvé écho également dans les villes de Mantoue, Brescia, Florence et Syracuse.

Ce bref parcours sur les activités italiennes ouvre à quelques considérations. L’Italie a opté, de manière consciente ou inconsciente, pour la défense de la paix à travers les mots, les images, à travers l’art, à travers le dialogue. Si la peinture (Turin) et le «  journalisme dessiné » (Gênes), avec Sylvain Ricard et James, font revivre l’idée du dialogue à travers l’art, les mots et la culture s’affichent aussi dans la reprise, pour la quatorzième fois, du concours « Dis-moi dix mots », voulu par le ministère de la Culture français, et adressé aux écoles. Car les jeunes restent les principaux destinataires de toute initiative ; ils doivent pouvoir les comprendre, les utiliser, les « écouter » aussi. Les mots sont là surtout pour les aider à comprendre et à défendre un monde qui s’affiche de plus en plus compliqué. Dans ce cadre, ce n’est pas une surprise de voir que le sport (« Un article sur le sport pour célébrer la langue française », in « La Repubblica@scuola ») a également marqué cette année francophone en Italie. En effet, si les mots sont fondamentaux pour le dialogue, celui-ci peut se construire également à travers le mouvement, à travers la capacité de s’unir pour des luttes positives, celles qui visent à compléter le caractère, à faire des efforts ensemble et à trouver la capacité de garder une identité pour la faire jouer dans l’ensemble, comme le disait Levi Strauss.
L’Italie, en cette année si tristement marquée par les attentats, a répondu en affichant le monde francophone comme le berceau de la culture, en le distinguant nettement des actions terroristes, en le présentant toujours comme un élément central pour le dialogue universel. Avec l’espoir que le chemin de la politique puisse un jour croiser le chemin de la culture.

Anna Soncini Fratta
Professeur de Littératures francophones – Alma Mater Studiorum Università di Bologna (annapaola.soncini@unibo.it)
En collaboration avec Fernando Funari
(fernando.funari2@unibo.it)

Eleonora Marzi :eleonora.marzi@unibo.it


Photo du logo : Institut Français de Milan - 14 novembre 2015

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