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Deuil pour l’Université Laurentienne

Deuil pour l’Université Laurentienne

20 avril 2021 - par Joseph Gagné 
 - © Aimablement prêtée par Joseph Gagné
© Aimablement prêtée par Joseph Gagné

C’était en 2002. Je m’apprêtais à quitter, l’année suivante, mon chez-moi pour vivre indépendamment pour la première fois. J’avais fait le tour de la foire universitaire venue à mon école. J’avais passé mes soirées à lire les brochures et les catalogues de cours des universités et des collèges qui m’intéressaient. Mais c’est en visitant le campus de l’Université Laurentienne que j’ai fait mon choix. Tout le monde m’avait courtisé, avait cherché à me séduire. Mais ces autres institutions me semblaient froides, distantes, à la fois géographiquement et humainement. Il faut se le dire, avant même d’y mettre les pieds, je reconnaissais déjà l’aura de la Laurentienne. La mythique Laurentienne. Le p’tit cul que j’étais connaissait déjà son terreau fertile qui avait donné naissance entre autres à la Nuit sur l’étang, à la maison d’édition Prise de parole... Je comprenais aussi qu’il s’agissait d’un des seuls endroits où je pouvais poursuivre mes études en français en Ontario. Mais c’est en visitant le campus que je me reconnaissais et réalisais que peut-être je n’avais pas à m’expatrier du pour m’épanouir. Ces paroles de Robert Paquette et d’André Paiement ne cessaient de se répéter dans mon esprit : « Moi, j’viens du Nord ». Et la Laurentienne, c’était le Nord. C’était nos gens, nos voisins, nos paroles, nos préoccupations, nos exclamations, nos réclamations, nos désirs, notre génie, notre action. Je me souviens encore de la longue route du retour vers Chapleau, admirant et méditant sur ces paroles de Jean-Marc Dalpé inscrites sur mon dossier de bienvenue : « Apprendre c’est prendre... c’est prendre de la place : sa place. Toute sa place sans demander la permission. » Ces paroles devinrent pour moi un mantra, un cri de guerre. Et j’ai pris ma place. Toute ma place. En septembre 2003 commençait mon aventure académique. J’ai eu le plaisir de connaître à la fois les sciences pures et les sciences sociales. J’ai côtoyé entre autres le grand Robert Dickson et le vénérable Gaétan Gervais. J’ai appris à m’assumer et à prendre en main ma langue minoritaire, à souffler sur sa petite braise pour m’assurer qu’elle s’enflammerait et deviendrait un atout au lieu d’un stigmate. J’étais un orignal déchaîné, j’étais un U of S, et j’étais plus qu’un potentiel, j’étais un devenir. En somme, la Laurentienne fut pendant cinq merveilleuses années mon nouveau chez-moi et un tremplin vers de nouvelles aventures dans le milieu académique. Un chez-moi, oui, où j’espérais revenir un jour y enseigner. Et pourtant... alors que j’ai fait le deuil des nombreux profs qui nous ont quittés au fil du temps (Dickson et Gervais), jamais je ne croyais devoir faire le deuil de ma communauté d’accueil. Ce qu’elle subit cette semaine n’est rien de moins qu’un refus de la place de la francophonie en Ontario, de la place du Nord et de ses gens, et ce refus marque une irresponsabilité abjecte de l’administration qui place les conséquences sur le dos de ses plus fidèles serviteurs.
Je n’ai pas de réponse facile sur ce qu’il faut faire à partir de maintenant. Mais je suis de tout cœur avec les gens affectés. J’espère qu’on pourra un jour bientôt reprendre notre place, toute notre place, sans demander la permission.

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