francophonie, OIF, Francophonie, Organisation Internationale de la Francophonie, langue française, diplomatie culturelle, littérature, théâtre, festival, diversité culturelle, les francophonies

MENU
Le plus grand monument de la capitale divise la nation

Le plus grand monument de la capitale divise la nation

Un matin, les soldats de bronze soviétiques se réveillent transformés en super-héros américains, avec l’inscription « Être dans l’air du temps » sur le granit en dessous. Un autre jour, soigneusement nettoyés, ils accueillent une manifestation de partisans de la Russie et de nostalgiques du passé communiste commémorant le jour de la Victoire (9 mai) ou le coup d’État du 9 septembre après lequel les communistes ont pris le pouvoir en Bulgarie en 1944.

21 juin 2023 - par Lyubomir Martinov 
le Monument de l’armée soviétique - © Guillaume Origoni - Flickr
le Monument de l’armée soviétique
© Guillaume Origoni - Flickr

Un matin, les soldats de bronze soviétiques se réveillent transformés en super-héros américains, avec l’inscription « Être dans l’air du temps » sur le granit en dessous. Un autre jour, soigneusement nettoyés, ils accueillent une manifestation de partisans de la Russie et de nostalgiques du passé communiste commémorant le jour de la Victoire (9 mai) ou le coup d’État du 9 septembre après lequel les communistes ont pris le pouvoir en Bulgarie en 1944.

Souvent vandalisé malgré les mesures de sécurité rigoureuses, le Monument de l’armée soviétique est souvent une pomme de discorde dans la société bulgare. Les opinions varient entre l’admiration pour « l’exploit » de l’Armée rouge, qui a vaincu l’Allemagne nazie et à contribué à libérer l’Europe du fascisme, et la haine contre le pays qui a imposé un régime totalitaire de gauche en Bulgarie pendant près d’un demi-siècle.

Bien que la Bulgarie soit une démocratie depuis plus de 30 ans, membre de l’OTAN depuis près de deux décennies et de l’UE depuis 2007, elle reste un pays profondément pro-russe, avec une importante minorité de la population qui ne cache pas son admiration pour des autocrates comme le président russe Vladimir Poutine. Cela s’explique en partie par un système éducatif qui n’a pas beaucoup changé depuis la fin du communisme et qui enseigne aux jeunes l’amour inconditionnel et la gratitude envers la Russie, qui a « sauvé » la Bulgarie de « l’esclavage turque » à la fin du 19e siècle. La Bulgarie, qui avait fait partie de l’Empire ottoman pendant cinq siècles, a été libérée en 1878 après une série de guerres russo-turques, résultat secondaire de la querelle continue entre les deux puissants empires. Quelque 66 ans plus tard, l’État libérateur s’est emparé de la Bulgarie, déclenchant une guerre, facilitant un coup d’État et installant des gouvernements marionnettes à Sofia au cours du demi-siècle qui a suivi.

Guéorgui Draganov, créateur de la plateforme d’opinions et analyses « Guerre et paix », était le principal organisateur d’une récente démonstration en mai sous le titre de « Nous voulons un monument bulgare » à la place du mémorial de l’Armée rouge. Il dénonce une «  énorme injustice ». « Le monument le plus haut de la capitale bulgare n’est pas lié à la Bulgarie, à la culture bulgare, à la politique, à la religion ou à toute autre institution que ce soit. Il symbolise une armée étrangère qui nous a déclaré la guerre et nous a occupés, et n’a donc pas sa place dans notre ville », a-t-il dit à Agora francophone. « Notre initiative citoyenne demande que le piédestal de 40 mètres soit réutilisé après le démontage des figures et qu’un beau monument soit érigé à la place des sculptures soviétiques et étrangères glorifiant l’idéologie totalitaire, représentant un leader bulgare, un révolutionnaire, un religieux ou toute autre personnalité unissant notre société », a ajouté M. Draganov.

Toutefois, selon M. Draganov, cette question peut désormais être considérée comme résolue à la suite de la décision du Conseil municipal de Sofia de transférer le monument au Мusée de l’art totalitaire. Cette décision a suscité la colère des russophiles bulgares, comme le député socialiste Alexandrе Simov. Dans un article pour le journal de gauche Douma, intitulé « Nos talibans », il dénonce « l’obscurantisme » des « terroristes autochtones qui luttent contre les monuments du passé ». « Nous nous souvenons que les talibans ont fait exploser des monuments bouddhistes en Afghanistan parce qu’ils n’étaient pas conformes à la seule et unique foi correcte. »

Malgré la décision du Conseil municipal, le sort du monument est loin d’être assuré. Ce n’est pas la première fois que cette institution se mobilise pour le déplacer, mais sans succès. Les raisons en sont la forte influence de Moscou sur la politique et l’économie bulgares et la réticence d’un certain nombre de gouvernements à se saisir de cette affaire, par crainte de représailles de la part du Kremlin ou des russophiles du pays. Un autre problème est que le monument n’appartient pas à Sofia mais à l’État, de sorte que la décision finale ne relève pas du Conseil municipal, mais des autorités centrales.

Le pays a récemment élu un gouvernement pro-occidental après cinq élections législatives au cours des deux dernières années. Il est cependant peu probable que le monument soit l’une des priorités du cabinet, qui doit faire passer un important projet de loi budgétaire et qui s’efforcera de faire entrer la Bulgarie dans l’espace Schengen et la zone euro.

Selon le dernier sondage d’opinion sur le sujet, la plupart des habitants de la capitale souhaite que le monument soit conservé. Cependant, ce sondage a été réalisé en 2014, peu après l’annexion de la Crimée, mais bien avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a réellement changé les attitudes à l’égard de Moscou. On ne sait donc pas exactement quel est le bilan entre les opposants et les partisans de ce monument, qui est devenu le symbole d’une société divisée.

Partagez cette page sur votre réseau :

Précédents Agora mag