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Les Vagues Sableuses, nouvelle de Mariette Dicko

Les Vagues Sableuses, nouvelle de Mariette Dicko

Dans le cadre du Festival "Littératures itinérantes" 2023, fut organisé un concours de nouvelles, sur le thème : "Penser, écrire la Méditerranée".
La lauréate francophone est Mariette Dicko, autrice franco-malienne.
(Merci à Nadia Essalmi d’avoir permis la mise en ligne de la nouvelle "Les Vagues sableuses".)

14 juin 2023 - par Mariette Dicko 
Mariette Dicko - © Aimablement prêtée Mariette Dicko
Mariette Dicko
© Aimablement prêtée Mariette Dicko

Les Vagues Sableuses

Comment la mer du Sahara est-elle devenue un désert aride ?

Conte
Fantastique et Merveilleux


Au cœur du Sahara, des guerriers Touareg se tiennent en cercle autour d’un bûcher ardent, leur teint éclatant sous les flammes dansantes. Une vénérable griotte, une sage de la tribu, se dresse sur une dune de sable et captive l’assemblée avec une voix puissante et fascinante. Elle narre une légende ancestrale, évoquant une époque où le désert même où ils se tiennent, était un océan immense, peuplé de créatures marines merveilleuses et régi par deux sœurs, Saha et Ara, les gardiennes de la paix.

Saha et Ara sont des créatures hybrides, mi-humaines, mi-pieuvres, avec des tentacules ornés de pierres précieuses chatoyantes, qui brillent dans les profondeurs océaniques tandis qu’elles naviguent dans la nuit. Elles sont accompagnées d’une poignée de luminelles, des êtres qui émettent une lumière éclatante pour illuminer les fonds marins de la grotte qu’elles explorent.
Un frémissement de l’eau qui s’échoue sur la peau d’Ara l’alerte, elle sent une présence inhabituelle dans les mouvements de l’océan. Elle émet un cri strident à sa sœur Saha, qui, quelques brasses plus loin, fait une découverte étonnante : les restes d’un radeau brisé. Elle comprend immédiatement le signal de sa sœur et la rejoint, suivant les ondes de son appel.

Elles se frayent un chemin à travers les cavernes obscures jusqu’à la surface de l’eau.

Lorsque les premiers rayons de l’aube émergent de l’horizon, un étrange spectacle se déroule sous leurs yeux. Au loin, une silhouette flottante se cramponne désespérément à son radeau brisé pour survivre dans les eaux inhospitalières. C’est un marin, abandonné par son équipage et brisé par la déshydratation et l’épuisement.

Ara hésite, méfiante quant aux intentions de cet étranger, Saha, guidée par son courage et sa compassion, prend une décision audacieuse ; elle nage avec grâce vers le marin en détresse. Lui offre une nourriture salvatrice à base d’algues comestibles et une bulle d’eau potable cachée dans un coliqu’eau : un coquillage filtreur d’eau salée en eau douce.

Le marin, voyant seulement la moitié humaine de son corps, est tant abasourdi par la beauté de sa sauveteuse, qu’il croit d’abord être mort. Elle apparaît comme une vision enchantée à la façon dont elle est encerclée par les poissons-fées, des êtres minuscules et radieux qui virevoltent autour d’elle, et l’intensité avec laquelle elle le regarde de ses énormes yeux bleus aussi sombres que les profondeurs de l’océan. Les luminelles qui nagent autour d’elle dans l’océan éclairent les pierres précieuses scintillantes de ses tentacules menaçantes.
Il su alors que les légendes sur les créatures magiques du Sud de la Méditerranée disent vrai. Il lui sourit faiblement.

Saha palpe le radeau de ses mains palmées et constate que le bois pourri ne mettra pas longtemps à couler. Ils ne parlent pas, ils n’en ont pas besoin. Elle l’aidera à reconstruire son radeau.

Saha fait frétiller ses branchies, les ondes qu’elle projette dans l’air appellent les poissons-fées, les luminelles et les hippocampes géants à corne fluorescente, à la rescousse, et ensemble, ils travaillent sans relâche pour réparer le navire endommagé.
Les hippocampes se font maîtres de la construction, soulevant avec aisance des arcs d’os de baleine qu’ils empalent sur leurs cornes constituant le support du navire. Les coquillages s’assemblent pour former des clous, tandis que les algues marines, douces et élastiques, font office de liens, les tissus végétaux forment une voile.

Le marin admire la créativité et la force des poissons-fées qui s’élèvent dans les airs, apportant les matériaux nécessaires en une danse gracieuse, soulevant des masses quatre fois plus lourdes que leurs corps minuscules.

Au loin, Ara observe leurs interactions avec une méfiance silencieuse. Les joyaux de saphirs qui ornent son front brillent lorsque sa tête émerge à peine de la surface de l’eau, ses longs cheveux translucides ondulent avec les vagues, son regard perçant scintille sous les premiers rayons du soleil tandis qu’elle veille sur sa sœur et son peuple, qu’elle juge bien trop près de ce marin suspicieux.

Avant que la lumière éclatante du soleil n’atteigne le Zénith, ils ont terminé le radeau. Le marin est prêt à partir, remerciant la belle Saha qui a été son phare dans la tempête.
Et ainsi, leurs chemins se séparent, comme des rivières qui s’éloignent l’une de l’autre.
Elle suit des yeux le navire de fortune qui s’éloigne vers l’horizon, vers un monde mystérieux et fascinant, Ara la rejoint pour contempler ce spectacle époustouflant, ressemblant à des perles précieuses enfilées sur un fil d’or.

Saha et Ara nagent en cercle autour du calmar géant le plus ancien de leurs eaux, habiles dans leurs mouvements alors qu’elles se passent des coquillages à travers les tentacules de la créature. Leur coordination est si parfaite que même la créature marine ne peut pas les intercepter.

Soudain, Ara entend les plaintes de douleur d’une luminelle blessée.

Elle nage en direction de la source du bruit, seule et sans méfiance, pensant avoir affaire à une procédure banale de guérison. Mais plus elle se rapproche, plus les plaintes de la luminelle semblent inquiétantes, comme si une douleur insupportable est subie par la créature. C’est alors qu’elle voit un immense bateau en bois tournant autour de la luminelle blessée, et elle comprend trop tard que c’est un piège lorsque des filets l’immobilisent.

Ce sont des hommes, nombreux, qui ressemblent au marin. Ils tuent la petite luminelle devant elle avec des objets fabriqués pour faire le mal. Ara n’a jamais vu d’outils pareils et ne comprend pas pourquoi ils existent. La luminelle s’éteint, elle ne scintillera plus jamais.

Ils hissent Ara sur le navire. Les hommes, le vice dans les yeux, sont fascinés par la beauté de ses tentacules parsemées de diamants étincelants et de pierres précieuses. Soudain des pas approchent, ils se séparent pour laisser passer un homme. Le marin qu’ils ont sauvé se présente à Ara, le torse bombé, fier de montrer à ses compatriotes qu’il ne mentait pas.

Ara n’est pas tant choquée de cette trahison ultime, mais avoir raison ne lui fait aucun bien.

Elle émet un glapissement guttural traçant un périmètre infranchissable, qui empêche les autres créatures marines de nager dans la zone. Ara ignore les capacités destructrices des outils que les humains utilisent et qui menacent toutes les créatures marines qu’elle a pour mission de protéger.

Dans une frénésie violente, les hommes arrachent ses joyaux et ses diamants de ses tentacules avec force. Ara hurle, mais ils ne s’arrêtent pas pour autant, lui infligeant une douleur insoutenable jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus bouger. Tandis qu’elle baigne dans une mare de sang cramoisi, ses dernières pensées vont à sa sœur.

Une fois qu’ils ont tout pris, ils jettent son corps sans vie dans les profondeurs de la mer.

La lune brille dans le ciel nocturne, jetant sa lumière pâle sur la surface de l’eau. Saha cherche sa sœur toute la journée, crissant dans tout l’océan et maintenant elle tient son corps, flasque, froid, les joyaux qui ornaient jadis ses tentacules sont remplacés par des plaies dans sa chair vive. Au loin, elle aperçoit l’ombre d’un navire en bois qui s’éloigne lentement.

Le menton levé vers la lune, elle pousse un cri de douleur et de rage si puissant qu’il fend l’océan en deux.

Le navire est aux prises de l’étreinte féroce d’une mer déchaînée, où les vagues colossales semblent atteindre les cieux, rugissant avec la rage de Saha. L’équipage s’agrippe aux rambardes du navire tanguant dangereusement dans le vacarme tonitruant des flots en furie.

Le marin, les yeux écarquillés, contemple avec horreur la vague immense qui fonce sur eux, semblant venir de l’abîme de l’océan. Il sent l’adrénaline couler dans ses veines et ferme les yeux, goûtant à l’ultime souffle de liberté, avant que l’inévitable ne le frappe.
La vague s’abat sur le navire, le soulevant et le retournant comme une feuille dans un tourbillon. Il est plongé dans les profondeurs abyssales, l’eau l’emporte, loin de la surface scintillante.

Le marin, consumé par la peur, se retrouve aspiré dans les entrailles de l’océan. Il coule dans un monde marin d’eau obscure, entouré de toutes parts par des masses liquides tourmentées. Les pressions dévorantes écrasant sa poitrine, lui coupant le souffle. Il se met à dégringoler dans un abysse sableux, une spirale infinie de grains tourbillonnants. Puis, tout à coup, il touche le fond sableux de l’océan, pensant être arrivé au bout de ses peines.
Il voit alors la bouche avide du sable s’ouvrir sous ses pieds, un gouffre béant assoiffé aspirant l’océan, emportant le marin avec elle.
Le sable boit.
Insatiable.

Il boit les coquillages, boit les algues déracinées, boit les créatures marines et continue de boire l’océan tout entier. Pas en ennemi, mais plutôt en gardien, veillant sur les secrets de la mer et protégeant ses merveilles.

Désormais, le sable étend son tapis interminable, comme si l’océan n’avait jamais hydraté ce désert aride. Les guerriers Touaregs demandent ce qui est arrivé aux créatures des mers.

La Griotte lève son bâton et frappe le sol, libérant un tourbillon de poussière.

Cent pieds sous le sable, une mer étincelante grouille de vie tandis que le marin maudit frappe faiblement contre le plafond de sable, cherchant à se libérer de sa prison. Son corps défiguré est à moitié dévoré par les créatures marines. À chaque inspiration, ses poumons se remplissent de la mer salée, condamné à se noyer éternellement sans jamais connaître la libération de la mort.

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