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CROATIE - Retour sur l’année 2017

CROATIE - Retour sur l’année 2017

21 décembre 2017 - par Nataša Laporte 

Une année sous le signe de la chute d’Agrokor
Depuis qu’elle a éclaté au grand jour, la crise du géant agroalimentaire croate, acculé par des dettes, n’a cessé de défrayer la chronique : mise sous tutelle publique, restructuration, arrestation du fondateur... L’impact de l’affaire sur l’économie de cette ex-République yougoslave, qui confirme sa reprise grâce aux nouveaux records touristiques, reste toutefois pour l’heure limité. De son côté, la vie culturelle a été marquée par quelques rétrospectives des œuvres des peintres emblématiques de l’art contemporain du pays, comme par plusieurs prix cinématographiques récoltés à l’international. Retour sur l’actualité politique, économique et culturelle de 2017.

POLITIQUE

Agrokor, l’histoire d’un naufrage
C’est une véritable série-fleuve qui a démarré en janvier dernier en Croatie, lorsqu’ont commencé à être dévoilées les difficultés financières du géant croate de l’agroalimentaire et de la distribution Agrokor. Fondé en 1989 par Ivica Todoric, un homme d’affaires ayant débuté dans les années 70 dans le commerce des fleurs, le groupe avait vécu une expansion rapide à coup de multiples acquisitions, à l’image de celle, en 2014, du distributeur slovène Mercator… en s’endettant au passage jusqu’au cou : ses créances, détenues notamment par les banques russes Sberbank et VTB, s’élèvent à plusieurs milliards d’euros. Or, Agrokor pèse à lui tout seul environ 15 % du PIB du pays et emploie 60 000 personnes dans les Balkans, dont 40 000 en Croatie, sans compter de nombreux fournisseurs, sous-traitants ou encore producteurs agricoles qui en dépendent. De quoi secouer l’économie de la région…

Le Premier ministre Andrej Plenkovic - Ph : Flickr - EU2017EE Estonian présidency

Face au spectre de la faillite, le gouvernement du Premier ministre Andrej Plenkovic (HDZ, Union démocratique croate) n’avait pas tardé à voler au secours du conglomérat, en le plaçant sous la tutelle de l’État et en nommant un administrateur chargé de le restructurer. Un prêt contracté en juin auprès du fonds d’investissement Knighthead Capital Management allait permettre au groupe de faire temporairement face. En septembre, Agrokor faisait savoir que plus d’une action en justice avait été engagée, notamment par Sberbank, pour saisir ses actifs. Agrokor a d’ailleurs jusqu’à la mi-2018 pour trouver un accord avec ses créanciers. Quant à Ivica Todoric, après plusieurs mois de silence, il a commencé à se manifester via un blog, captant l’attention du public et accusant régulièrement le gouvernement d’abus de pouvoir envers son conglomérat. Soupçonné d’avoir falsifié les comptes, et sous le coup d’un mandat d’arrêt européen, celui qui fut surnommé « Gazda » (ndrl : le Patron) s’est finalement rendu à la police britannique le 7 novembre à Londres, avant d’être relâché sous caution. Ses deux fils, ainsi que d’autres anciens responsables d’Agrokor, ont eux aussi fait l’objet d’arrestations à Zagreb. Ivica Todoric a depuis annoncé qu’il porterait plainte contre « Lex Agrokor », la loi votée par le Parlement croate qui a permis la prise de contrôle de son entreprise par l’État…

Une nouvelle coalition
Une affaire, en somme, encore loin de son épilogue, qui a même fait chanceler le gouvernement conservateur d’Andrej Plenkovic, au pouvoir depuis novembre 2016. Celui-ci s’était séparé au printemps dernier des trois ministres appartenant à la formation politique de centre droit Most (ndrl : le Pont), leur reprochant leur manque de solidarité envers le ministre des Finances Zdravko Maric, soupçonné de conflit d’intérêts dans l’affaire Agrokor. Avant de former, en juin, une nouvelle coalition avec le Parti populaire croate (HNS, libéral démocrate), allié jusqu’alors de la gauche, que plusieurs figures historiques ont préféré quitter. Par ailleurs, le HDZ a largement emporté début juin les élections locales, raflant entre autres la mairie de Split, deuxième ville du pays.

Baie de Piran : la Cour d’arbitrage tranche le conflit
Autre feuilleton, c’est au terme de huit ans de procédure que la Cour permanente d’arbitrage à La Haye a tranché dans un conflit opposant la Croatie et la Slovénie en faveur de cette dernière. En cause : un bout de la Baie de Piran, située au nord de l’Adriatique, revendiqué par les deux parties. La Cour a notamment octroyé à la Slovénie un accès direct aux eaux internationales en passant par un couloir marin traversant la mer territoriale croate. Une décision que les autorités croates ne reconnaissent pas du fait qu’un responsable slovène avait été en contact durant la procédure avec un membre du comité d’arbitrage.

Coup de théâtre au Tribunal de La Haye
Mais c’est surtout un autre verdict, accompagné d’un drame suivi en direct du tribunal, qui a propagé une onde de choc à travers le pays. Le 29 novembre, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a confirmé en appel la condamnation de six anciens responsables croates de Bosnie-Herzégovine, accusés de crimes de guerre commis pendant le conflit croato-musulman (1993-1994) qui a éclaté lors de la guerre en Bosnie (1992-95), dont celle de Slobodan Praljak. Au moment de l’énoncé du verdict, cet ancien chef des milices croates en Herzégovine s’est suicidé en avalant une fiole de « poison » et en déclarant : « Slobodan Praljak n’est pas un criminel de guerre. Je rejette avec mépris votre verdict  ». Un événement qui a retenti bien au-delà de la vallée de Neretva en Herzégovine. En Croatie, au lendemain de la sentence, beaucoup s’indignaient de la notion d’« entreprise criminelle commune » d’épuration ethnique et de l’établissement de l’implication directe du pays dans la guerre en Bosnie. Le Premier ministre croate Andrej Plenkovic a estimé que l’acte de Slobodan Praljak traduisait une « profonde injustice morale », tandis que la présidente croate Kolinda Grabar-Kitarovic a exhorté les Croates « à avoir la force de reconnaître que certains compatriotes en Bosnie avaient commis des crimes et devaient en être tenus responsables », mais a estimé que l’acte de Praljak a « touché au cœur le peuple croate ».


Le port de Pula - Ph : WMC - SIG SG 510

ÉCONOMIE

Les indicateurs au vert
Sur le front économique, la reprise se confirme grâce à une croissance robuste : après avoir crû de 3 % en 2016, le PIB devrait augmenter de 3,2 % en 2017, selon les dernières prévisions de la Commission européenne. Principales locomotives : la consommation des ménages ainsi que de nouveaux records touristiques, secteur qui compte pour un cinquième de la richesse nationale. De même, le taux de chômage (12 % au troisième trimestre 2017) devrait continuer de se replier, quoique plus modestement que les années précédentes, en raison de la baisse de régime des créations d’emploi, mais aussi celle des expatriations, d’après le rapport de la Commission. L’Union européenne a par ailleurs mis un terme en juin dernier à la procédure de déficit excessif à l’encontre du pays. Reste que, malgré ces bonnes nouvelles, l’ombre de la crise dans laquelle a sombré l’empire bâti par Ivica Todoric continue de planer sur l’économie. Car si l’impact de la crise Agrokor a jusqu’à présent été limité, la restructuration du groupe est en cours et les risques pèsent toujours, a rappelé fin octobre dans une note le Fonds monétaire international.

L’autre face du boom touristique
Autre bémol, le boom touristique ne fait pas que des heureux. Destination déjà fortement prisée, la ville de Dubrovnik - dans laquelle a été tournée la série culte américaine « Game of Thrones » qui a choisi d’y situer la capitale de ses sept royaumes - est un véritable aimant pour des milliers de touristes et d’aficionados de la saga fantastique de la chaîne HBO. Selon une étude de l’Institut d’économie de Zagreb, 60 000 voyageurs supplémentaires chaque année sont venus arpenter les rues de la cité médiévale entre 2012 et 2015. Au point de surpeupler la « perle de l’Adriatique », inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO : l’institution a ainsi averti l’an dernier que ce statut, obtenu en 1979, était menacé. Et le maire de cette ville de 40 000 habitants, Mato Frankovic, de décider de drastiquement diminuer le nombre de touristes autorisés à franchir les portes du cœur historique…


Dubrovnik terrassée par les amoureux de Game of Throne ! - Ph : Flickr - Jorge Franganillo

Vers la monnaie unique
Enfin, la Croatie, membre de l’Union européenne depuis 2013, espère intégrer la zone euro d’ici à sept ou huit ans. Le gouvernement et la Banque Nationale croate HNB ont présenté fin octobre lors d’une conférence économique une « stratégie d’introduction de l’euro en Croatie », censée introduire un débat public sur la question. Il faut dire que l’économie croate, étroitement liée à celle de la zone euro, est déjà fortement « euroïsée », avec environ 75 % des dépôts bancaires locaux et 67 % de la dette locale libellés dans la monnaie unique. D’après la HNB, le principal bénéfice de l’introduction de l’euro serait notamment la suppression du risque de change, l’une des sources majeures de la fragilité de l’économie. Défi de taille sur la route de l’adoption de l’euro, la Croatie devra réduire sa dette publique, qui représente plus de 80 % de son PIB.

CULTURE

Oeuvre de Dimitrije Popovic

L’art contemporain croate : plusieurs rétrospectives
La scène culturelle a enchaîné courant 2017 plusieurs rétrospectives des œuvres d’artistes croates de la seconde moitié du XXe siècle, organisées à la galerie Klovicevi Dvori, dans l’historique ville haute de Zagreb. À commencer par celle, de fin janvier à la mi-mars, de l’artiste et écrivain Dimitrije Popovic, né en 1951 à Cetinje (Monténégro), présentant ses dessins, peintures, sculptures… réalisés entre 1966 et 2016, et accompagnés de commentaires rédigés par l’auteur. Exemple emblématique de ses premiers travaux, l’un des dessins, baptisé « Kafka », faisait dès 1967 référence à la métamorphose et à l’imaginaire, les thèmes de choix de l’artiste, marquant en quelque sorte les prémisses de ses futures créations. Eros et Tanatos, Ommagio a Leonardo, Judita, Corpus Mysticum, Magdalena… sont quelques-uns des cycles englobés par l’exposition. À l’automne, c’est une autre rétrospective, celle de 250 œuvres – sculptures, peintures, dessins, reliefs, illustrations, installations artistiques - du peintre et sculpteur Vasko Lipovac, qui a convié le public dans la même galerie. Une exposition qui a balayé l’ensemble des phases de l’œuvre de cet habitant de la ville côtière de Split, des premiers travaux réalisés du début des années 50 jusqu’à ce qu’il ne s’éteigne en 2006. Esprit de Méditerranée, joie, humour, érotisme, ironie… transparaissent à travers ses personnages reconnaissables, figures types plus que portraits. Des personnages souvent représentés comme seuls et tristes, mais en qui on ressent la joie de vivre, d’après une citation de l’auteur lui-même. Les portes de l’exposition resteront ouvertes jusqu’au 7 janvier 2018.

Une pluie de récompenses pour « La Constitution »
Côté cinéma, le film « Ustav Republike Hrvatske » (ndr : La Constitution de la République de Croatie) du réalisateur Rajko Grlic a récolté, depuis son avant-première mondiale au festival de Montréal en 2016, une pluie de récompenses à l’international. Il a en particulier été couronné, fin septembre dernier, meilleur film, meilleur scénario et meilleur acteur (Nebojsa Glogovic) au Festival de cinéma indépendant Raindance. Cette « histoire d’amour sur la haine », qui suit quatre personnages d’un immeuble, différents sur les plans statut social, sexualité, religion et nationalité, mais que la vie rapproche en défiant tout préjugé, est désormais également en lice pour le prochain prix de l’Académie européenne du cinéma.
Dans un tout autre genre, le court-métrage « La Maison du hérisson » de la réalisatrice Eva Cvijanovic a quant à lui obtenu le Prix Jeune public 2017 au Festival international du film d’animation d’Annecy. Une adaptation du poème de l’écrivain Branko Copic dont le personnage principal, un petit hérisson, vit dans une forêt luxuriante où sa dévotion à son foyer ennuie quatre bêtes décidées de le confronter.

Disparition de l’écrivain Predrag Matvejevic
Notons enfin la disparition, en février 2017 dans la capitale croate, du grand écrivain et essayiste francophone Predrag Matvejevic. Expert de l’histoire culturelle de la Méditerranée et auteur notamment de l’Autre Venise (Fayard, 2004) et du Bréviaire méditerranéen (Fayard, Prix du meilleur livre étranger en 1993), ses œuvres ont été traduites dans de nombreuses langues. Il avait, entre autres choses, enseigné la littérature slave à Paris et la littérature française à l’Université de Zagreb en Croatie.

Langue française – francophonie
Pays observateur au sein de l’OIF depuis 2004, la Croatie a cette année encore célébré la langue française à travers plus de 150 événements organisés dans le cadre de la traditionnelle Fête de la francophonie qui s’est déroulée au mois de mars dans treize villes du pays. Dix-sept nouveaux films francophones, le ballet « La Sylphide » d’après la chorégraphie d’Auguste Bournonville au Théâtre national croate de Split, ou encore une série de conférences telle celle du politologue français Jacques Rupnik sur « 60 ans après le traité de Rome, l’Europe face aux défis des populismes », ont par exemple figuré au menu de cette édition du festival.
Sur le plan littéraire, la maison d’édition zagréboise Durieux a publié une anthologie en français d’auteurs croates contemporains, sous la forme de l’édition 2016 de la revue littéraire Le Fantôme de la Liberté. Sans oublier la poursuite, à l’Institut français de Zagreb, des ateliers baptisés Translab, dévolus depuis 2015 à la traduction littéraire du français au croate, qui s’adressent aux professionnels du domaine.


Natasha Laporte


Photo du logo : Slobodan Praljak - Flickr - UN International Criminal Tribunal fir the former Yugoslavia

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