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POLOGNE - Retour sur l’année 2017

POLOGNE - Retour sur l’année 2017

5 janvier 2018 - par Józef Kwaterko 
 Manifestation en décembre 2017 contre la violation de l’indépendance de la justice - © Flickr - jano
Manifestation en décembre 2017 contre la violation de l’indépendance de la justice
© Flickr - jano
Le Président du Conseil européen Donald Tusk - Ph : Flickr - EU2017EE estonian presidency

POLITIQUE

Le 9 mars, les dirigeants de l’UE ont voté à la quasi-unanimité en faveur de la reconduction du mandat du Président du Conseil européen, Donald Tusk, ancien Premier ministre et leader du parti Plateforme Civique (PO) pendant huit ans, jusqu’en 2015. La Pologne était le seul pays à voter contre, alors même que Tusk avait défendu ses intérêts en s’opposant à la position de la Commission européenne qui réclamait des relocalisations massives de réfugiés et qui voulait imposer des amendes aux États qui ne respectaient pas leurs quotas.
Cette prise de position ne doit pas être isolée de la crise politique et sociale dans laquelle le pays est plongé depuis deux ans. Élu démocratiquement en 2015 au parlement polonais où il forme la majorité, le parti nationaliste conservateur, Droit et Justice (PiS), continue à concentrer les pouvoirs aux mains de l’exécutif et cherche à proposer aux Polonais une « contre-révolution » conservatrice et souverainiste, c’est-à-dire tournée contre les anciennes élites libérales et les institutions communautaires. Ce projet de longue haleine est conçu et mis en œuvre par le chef du PiS, Jarosław Kaczyński, qui fait du patriotisme et de la « fin du néolibéralisme » son étendard. D’après 62 % des Polonais, c’est lui qui tire les ficelles du gouvernement et reste son leader informel.
Les mises en garde contre la dérive autoritaire, lancées par les partis de l’opposition, les juristes, les politologues et certains eurodéputés polonais n’impressionnent guère les autorités qui multiplient les restrictions des libertés civiles. Elles ont frappé d’abord les droits des femmes et des familles en matière de natalité. Si un projet de loi permettant une interdiction totale de l’avortement n’a pas été voté, suite à une mobilisation sans précédent dans tout le pays de 100.000 « femmes en grève », le 3 octobre 2016, l’état, incité par le clergé, a mis fin au financement public de la fécondation in vitro et a limité l’accès à « la pilule du lendemain », sauf sur présentation d’une ordonnance médicale.

Tout au long de 2017, d’autres mesures restrictives se sont succédé : changements de cadres massifs dans les médias publics, la police et l’armée, assujettissement des services spéciaux, affaiblissement, en vue de leur reprise en main, des pouvoirs des collectivités locales, mise sous la tutelle du ministre de la Justice, devenu procureur général, de tous les procureurs – tout cela pour assurer la nécessaire « décommunisation » des institutions. Ce mot d’ordre obsède la nouvelle équipe qui mène une vaste politique de changement des noms de rue de l’époque communiste, de réécriture des manuels d’histoire dans l’enseignement ou encore de réductions profondes des rentes et des retraites - attribuées avant la transition politique de 1989 aux membres de la milice - des services de renseignement et du Ministère des Affaires intérieures. Même le héros de Solidarność et l’ancien Président, Lech Wałęsa, a été officiellement accusé d’être collaborateur parce qu’il avait un dossier – fabriqué de toutes pièces, selon les historiens – à l’époque communiste.

C’est surtout la politisation du système judiciaire polonais qui est au cœur des inquiétudes. Votée en 2015, la loi sur le Tribunal constitutionnel a déjà considérablement réduit son indépendance et son statut d’arbitre suprême en matière constitutionnelle. En juillet 2017, trois nouvelles lois, votées sans consultation sociétale par l’Assemblée nationale, portent une sérieuse atteinte à la constitution polonaise en affectant le caractère apolitique de la justice et de l’organisation des juridictions de droit commun. La première confie l’organisation des tribunaux ordinaires au ministre de la Justice (et le Procureur général en la même personne). La seconde enlève au Conseil national de la magistrature (KRS) le droit de nomination des juges. Désormais, ces prérogatives seront mises sous le contrôle parlementaire et, de fait, ce seront les députés de la majorité qui vont désigner les membres de ce corps. La troisième loi qui a trait à la Cour suprême contient des mesures discriminatoires, avec des âges différents de départ à la retraite pour les hommes et les femmes. En outre, elle accorde au ministre de la Justice le pouvoir de prolonger le mandat des juges ayant atteint l’âge de la retraite. Le président, Andrzej Duda, issu du parti au pouvoir, a mis son veto à ces réformes controversées de la justice en proposant ses propres projets de réforme. Or, suite à de légères retouches en commission parlementaire (le droit de désigner des juges de la Cour suprême reviendra au Président et non pas au ministre de la Justice), les lois présidentielles, votées en décembre corroborent – selon l’opposition, les ONG, l’Ombudsman et les juristes en droit constitutionnel – les précédentes, en mettant en danger l’équilibre des pouvoirs.

Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki et le président français, Emmanuel Macron - Ph : Flickr - Kancelaria Premiera

Vues d’Europe, la mise en vigueur de ces réformes judiciaires comporte « un risque clair d’une violation grave de l’État de droit en Pologne », selon la notification de la Commission européenne du 20 décembre, adressée à Varsovie. Bruxelles s’est appuyée sur la Commission de Venise, instance constituée de juristes internationaux, et avait effectué plusieurs médiations avant d’engager une procédure sans précédent. Brandie jusqu’à présent à titre persuasif, celle-ci, à l’appui de l’article 7 du traité sur l’UE, peut aboutir à la suspension des droits de vote si le Conseil Européen donne son aval à une majorité des quatre cinquièmes. Elle peut frapper la Pologne de sanctions qui ont cependant peu de chances d’aboutir puisqu’elles requièrent un vote à l’unanimité et que la Hongrie (elle aussi en conflit ouvert avec Bruxelles) a déjà déclaré qu’elle y ferait obstacle. Le nouveau Premier ministre, Mateusz Morawiecki (49 ans, membre du PiS, un banquier brillant devenu ministre de l’Économie et des finances) – désigné en décembre à ce poste pour adoucir l’image du gouvernement, s’attendait à une telle décision lors de son premier Sommet européen, les 14 et 15 décembre. Le gouvernement polonais a un délai de trois mois pour répondre à la notification adressée par la Commission européenne.

SOCIÉTÉ et ÉCONOMIE

L’isolement européen n’est certainement pas le choix des Polonais. Quand on regarde les sondages, la population reste majoritairement favorable à l’Europe et à l’idée de l’union (80 %). Pourtant, le fossé qui s’est creusé depuis deux ans sur la scène politique entre les conservateurs eurosceptiques et les libéraux proeuropéens a eu un grand impact sur la fracture sociale partout présente. Pour ceux qui appuient le gouvernement, seul le PiS a su entendre une demande de protection sociale. Selon eux, le nouveau gouvernement de droite défend les intérêts de la population des petites villes où habitent les victimes des réformes douloureuses des libéraux qui, dans leur vision de l’économie du marché et de la globalisation, ont abandonné le champ du social. Ce sont eux qui forment l’électorat le plus fidèle du PiS (entre 38 et 40 %) qui, dès l’arrivée au pouvoir, a misé sur les transferts sociaux en mettant en œuvre les programmes d’allocations familiales appelés « 500 + » (autour de 120 euros par mois à partir du second enfant), de médicaments gratuits pour les aînés au-delà de 75 ans et d’avancement de l’âge de la retraite à 65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes (plus de 360.000 personnes en ont déjà profité).

A la popularité du PiS s’ajoute une conjoncture économique favorable, dans la foulée de la sortie de crise en Europe, avec la croissance autour de 4 % du PNB, l’augmentation des salaires et la réduction du taux de chômage à 5 % en 2017. C’est une des raisons pour laquelle les partisans du PiS sont favorables à l’étatisme sans frein de l’équipe au pouvoir. Ils sont aussi à l’écoute de son discours égalitariste, accompagné de l’esprit de revanche et d’agressivité verbale où le patriotisme se confond avec le nationalisme. En effet, le PiS a su manipuler habilement les symboles de la nation polonaise en lui donnant une dimension messianique fondée sur la rhétorique de la « re-christianisation » de l’Europe. La radicalisation d’une partie des jeunes Polonais, répond à cette demande d’engagement. On l’a vu lors de la fête nationale le 11 novembre, pendant laquelle des milliers de jeunes partisans d’extrême droite scandaient des slogans xénophobes et racistes. L’épiscopat polonais n’a pas condamné cette manifestation, le ministre de l’Intérieur n’y a vu qu’une expression de l’élan patriotique, alors que le Président a attendu deux jours avant de condamner ce qui y avait été clamé.


La re-christianisation en marche ! Ph : Arnaud Galy - Agora Francophone

Face à cette Pologne, réceptive au discours revanchard et populiste du gouvernement PiS, il y a une Pologne progressiste, consciente de son importance en Europe et de la nécessité d’une politique énergétique et climatique commune ainsi que de la solidarité européenne à l’égard de l’accueil des réfugiés. Outre les partis de l’opposition – Plateforme Civique (PO), Les Modernes (Nowoczesna) et le parti paysan à orientation centriste (PSL) – qui ont ensemble autour de 30 % dans les sondages –, ce sont de nombreuse ONG, les groupes de la société civile, les collectivités locales ainsi que les académiciens, les journalistes et les acteurs qui déclarent avec force leur attachement aux valeurs démocratiques, en protestant contre les atteintes portées à l’État de droit et les libertés civiles. En font preuve de grandes manifestations civiques contre la refonte du système juridique qui ont eu lieu dans plus de 200 villes en juillet et en décembre et qui ont pour la première fois rassemblé beaucoup de jeunes.


Zakopane sous surveillance ? Ph : Arnaud Galy - Agora Francophone

CULTURE et SCIENCE

La culture est le lieu même de l’opposition face à l’inquiétant retour du nationalisme en Pologne. Malgré une politique culturelle qui préconise le repli sur soi et un ministre de la Culture qui a supprimé une subvention déjà accordée aux festival multiculturaliste « Malta » à Poznan, les théâtres polonais mettent à l’honneur les pièces de grands dramaturges « nationaux », comme Wyspianski, Wikacy, Gombrowicz ou Mrożek, qui tournent en dérision le traditionalisme des Polonais et poussent à l’absurde la mégalomanie nationale.
La satire est également une arme de résistance contre les abus du pouvoir. Ainsi, l’humoriste polonais, Robert Górski, a lancé une web-série pour laquelle les Polonais se passionnent, « L’Oreille du président », qui parodie les membres du gouvernement et le chef du PiS. Le grand cinéaste polonais, Andrzej Wajda, décédé en octobre 2016 à l’âge de 90 ans, a protesté lui aussi contre l’ingérence de l’État en matière de la culture. Quelques semaines avant sa mort, il a présenté au Festival du film polonais à Gdynia son dernier film « Après-image » (« Powidoki ») qui raconte les répressions communistes à l’égard du peintre constructiviste, Władysław Strzemiński, qui s’est opposé jusqu’à sa mort en 1952 à la doctrine du réalisme socialiste. « Avec ce film, a-t-il déclaré, je voulais mettre en garde contre toute intervention de l’État dans les affaires de l’art ».



Quant aux manifestations francophones, notons une série de rencontres avec le public de la romancière québécoise, Arlette Cousture à l’occasion de la parution en polonais de son best-seller, Les enfants d’ailleurs, ainsi que la sortie en polonais d’une anthologie, Bruxelles noire, qui contient des nouvelles inédites de quatorze auteurs du polar belges. Parmi les activités universitaires, signalons le colloque, « Formes du voyage dans la littérature belge 1970-2016 », organisé en décembre 2016 par l’Institut d’études romanes de l’Université de Varsovie ainsi qu’un grand colloque international, « Le passé et le présent : rencontre des idées », organisé en mai 2017 par l’Université Jagellone, avec le concours de l’Institut Français de Pologne et la Délégation Wallonie-Bruxelles, pour commémorer les 125 ans de philologie romane à Cracovie.

Jozef Kwaterko
Professeur titulaire
Université de Varsovie
courriel : kwaterko@uw.edu.pl

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