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POLOGNE - Le choc vert

POLOGNE - Le choc vert

Depuis des décennies une part très majoritaire du gaz, du pétrole et du charbon importée par la Pologne venait de Russie. Aujourd’hui, elle est passée à zéro. La guerre en Ukraine incite les Polonais à consommer moins d’énergie et à investir dans les énergies renouvelables.

14 avril 2023 - par Magdalena Graniszewska 
Pont sur la Vistule - © Pixbay - krzysztofniewolny
Pont sur la Vistule
© Pixbay - krzysztofniewolny

L’automne dernier, Wojciech Jakóbik, analyste énergéticien et rédacteur en chef du service d’information BiznesAlert, a baissé la température dans sa maison en banlieue de Varsovie, la capitale polonaise.
« Avec 19 degrés à la maison, on sort évidemment de sa zone de confort. Il faut porter des pulls. J’ai aussi commencé à veiller à ce que les appareils électriques de ma maison soient éteints lorsqu’ils ne sont pas utilisés. Cet effort est pourtant minuscule en comparaison avec celui des Ukrainiens qui se battent dans les tranchées », explique Wojciech Jakóbik.
Le 24 février 2022 la Russie a attaqué l’Ukraine. Pour la Pologne, qui est frontalière de l’Ukraine et a elle-même une histoire très difficile avec la Russie, ce conflit militaire a aussi une dimension énergétique, car historiquement la très vaste majorité du gaz, du pétrole et du charbon importée par la Pologne venait de Russie. Aujourd’hui, c’est zéro, la Russie étant remplacée principalement par la Norvège et les Etats Unis.

Des prix terrifiants
Au départ, les voisins de Wojciech Jakóbik le regardaient avec une certaine distance, mais les factures du mois de novembre 2022 ont fait bondir brutalement sa popularité.
« Au début de l’hiver, les prix du gaz ont atteint des niveaux terrifiants. Mon voisin a été facturé à hauteur de 1500 zlotys (320 EUR), et moi seulement de 150 zlotys (32 EUR). Il est rapidement venu me demander des conseils », raconte l’analyste.
Manifestement tous les Polonais ont cherché et trouvé des solutions, soit par désir de soutenir l’Ukraine, soit par souci de leur propre portefeuille. En conséquence, la consommation d’électricité en Pologne a commencé à diminuer.

Les pompes à chaleur font un tabac
Wojciech Jakóbik se félicite aujourd’hui d’avoir investi l’an dernier dans l’isolation de sa maison, malgré des coûts élevés. Il assure que dès qu’il disposera à nouveau de fonds, il investira dans les renouvelables.
Il n’est pas le seul. Les Polonais qui habitent dans des maisons individuelles investissent depuis peu massivement dans les panneaux solaires et les pompes à chaleur. La capacité totale des installations solaires en Pologne a plus que doublé en 2022 et presque les trois-quarts sont placées sur les toits des maisons, ou dans les cours. Quant aux pompes à chaleur, on peut dire que la Pologne est aujourd’hui championne du monde en la matière.
« En 2022 les ventes de pompes à chaleur dans le monde ont augmenté de 11%, en Europe de 40% et en Pologne de 120%. Dans plus de la moitié des nouvelles maisons, on installe aujourd’hui une pompe à chaleur », énumère Paweł Lachman, directeur de l’Organisation polonaise pour le développement de la technologie des pompes à chaleur.

Un embargo qui ouvre les yeux
C’est par les foyers que la révolution verte s’installe en Pologne, le pays du charbon. En 2022 plus des trois-quarts de l’électricité provenait des centrales à charbon et on estime que 4 millions sur les 15 millions de foyers polonais utilisent encore le charbon à des fins de chauffage.
Paweł Lachman explique que la ruée vers les micro installations vertes a commencé il y a quelques années, encouragée par les subventions, mais la guerre en Ukraine a sensiblement accéléré cette tendance. Une forte accélération a été provoquée par l’embargo que le gouvernement polonais a imposé au printemps 2022 sur le charbon russe.
« L’opinion publique polonaise s’est rendu compte à ce moment que 80% du charbon brûlé dans les maisons individuelles provenait de la Russie. Cela a été un choc », souligne Paweł Lachman.
Soudainement les fournisseurs du charbon ont dû chercher de nouveaux contrats lointains, sur d’autres continents. Les prix du charbon ont alors explosé et c’est devenu le sujet favori des médias. Jusqu’alors, un Polonais moyen imaginait que son charbon était très polonais, extrait des mines de son propre pays. Il ne se rendait pas compte que le charbon domestique était utilisé uniquement dans les centrales. Le chauffage individuel, exigeant un charbon en très gros morceaux et très calorique, dépendait de la Russie.

Pas de retour en arrière
« Cette crise militaire et énergétique a puissamment secoué l’opinion publique et les décideurs en Pologne. Le rôle dangereux du charbon russe est apparu, et tous ont compris la nécessité d’une véritable indépendance des énergies fossiles », explique Joanna Maćkowiak-Pandera, fondatrice du think tank Forum Energii, spécialisé dans la transformation énergétique.
La transformation verte en Pologne est ainsi aujourd’hui perçue par la société comme un facteur important de dérussification du secteur de l’énergie. « D’où l’énorme demande de pompes à chaleur et des panneaux solaires », dit Joanna Maćkowiak-Pandera.
Les données montrent que la production d’énergie à partir du charbon diminue graduellement, tout comme son extraction dans le pays. « Cette direction est positive. Le gouvernement polonais prend aussi en compte les coûts et les enjeux des émissions de gaz à effet de serre. Il subit une pression supplémentaire du secteur industriel qui exige la possibilité d’acheter de l’électricité à zéro émission », ajoute Joanna Maćkowiak-Pandera.

L’énergie à l’origine de tout
Tatiana Frémond, une entrepreneuse franco-polonaise, propriétaire du Café de la Poste et du restaurant La Môme à Varsovie, a, elle aussi, dû réagir face à la crise énergétique. « J’ai coupé le gaz et suis passée au chauffage électrique », raconte-t-elle. Elle souligne pourtant que les coûts énergétiques ne lui semblent pas très significatifs par rapport aux autres coûts opérationnels dans la gastronomie. Ce qu’elle remarque, outre l’évolution à la hausse des salaires des employés, ce sont les augmentations des prix pratiquées par les fournisseurs, souvent expliquées par la répercussion des coûts de transport et des prix du verre. Pendant notre entretien, qui se déroule dans son café, nous constatons cependant ensemble, que le transport devient plus onéreux à cause des prix de l’essence. Finalement c’est donc lié à l’énergie. Quant au verre, ses prix sont gonflés par les prix du gaz qui alimente les fours. On en revient donc encore à l’énergie.

Un moment spécial dans l’histoire
« Je vais bientôt augmenter le prix du café, mais seulement pour la seconde fois depuis le début de la forte inflation », déclare Tatiana Frémond.
Ah, cette inflation ! En février 2023 la hausse des prix en Pologne a atteint sur un an le niveau de 18,4%, du jamais vu depuis 1996. L’inflation moyenne pour 2022 était à 14%. Selon Ignacy Morawski, économiste en chef du journal économique « Puls Biznesu » et directeur du centre d’analyse SpotData, on peut estimer que la crise énergétique explique 10 points de cette inflation.
« D’un côté les revenus réels de la population sont en baisse, mais de l’autre le taux de chômage est toujours faible. Cela explique que l’opinion publique soit plutôt calme sur le sujet de l’inflation. La raison en est probablement que les Polonais considèrent que nous vivons un moment spécial de l’histoire, et que tout est causé par la guerre et par le président russe », dit Ignacy Morawski.

Les réfugiés comptent à Varsovie
Pour les entrepreneurs, comme le remarque Tatiana Frémond, la crise peut être à la fois un défi et une opportunité. « Chez mes clients habituels je remarque plus de prudence en ce qui concerne les dépenses. Ils recherchent activement des produits de qualité, mais bon marché. Mais, je vois aussi un afflux de nouveaux clients, ce qui est lié à l’arrivée de réfugiés d’Ukraine a Varsovie », précise Tatiana Frémond.

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