francophonie, OIF, Francophonie, Organisation Internationale de la Francophonie, langue française, diplomatie culturelle, littérature, théâtre, festival, diversité culturelle, les francophonies

MENU
Esclavage et repentance

Esclavage et repentance

Par Victory Toussaint et Issouf Sidibé du journal Sann Fina (Burkina Faso)

Du Nigeria, nous est parvenu un sursaut de dignité, d’objectivité et de repentance : l’Appel aux Chefs traditionnels pour qu’ils demandent, à leur tour, pardon en raison de leur contribution à l’esclavage. Voilà un appel atypique du Congrès des droits civiques (CRC), coalition d’organisations de défense des droits de l’Homme, qui n’est pas sans poser des questions. De la même façon qu’au sein des pays autrefois esclavagistes, on en trouve qui soient réfractaires à l’idée de la repentance, l’Afrique, elle-même victime mais aussi complice de l’esclavage par ses Chefs, a aussi des contempteurs de la repentance.

27 janvier 2010
Illustration prêtée par Sann Fina
Illustration prêtée par Sann Fina

La problématique de la repentance

Sur le continent, on a tendance à voir dans l’Occident, la responsabilité première de l’esclavage. Mais voilà : de même que le système de la corruption suppose deux acteurs (le corrupteur et le corrompu), le système de l’esclavage, en se fondant sur le commerce triangulaire, avait besoin de part et d’autre de la chaîne, des commerçants d’esclaves et des Chefs, vendeurs d’esclaves, autrement dit il fallait bien que dans le honteux troc historique, les commerçants d’esclaves trouvent des preneurs de miroiterie, de verroterie et autres pacotilles, des Chefs preneurs pour leur donner en contrepartie, du « bétail humain » pour le commerce aux Amériques. Sans cette complicité, l’esclavage n’aurait pas connu une telle « splendeur » pendant plusieurs siècles.

Illustration prêtée par Sann Fina

Aujourd’hui que le pardon est à la mode, que se succèdent à la barre de la conscience universelle, les anciennes puissances esclavagistes, des institutions d’Etat comme le Sénat américain …, pour demander pardon à l’Afrique de crime innommable contre l’humanité, au Nigeria, il s’élève donc, grâce au CRC, des voix pour appeler à la même barre, les Chefs traditionnels africains. Cette organisation estime qu’ils « doivent présenter des excuses au nom de leurs ancêtres pour mettre un point final à l’histoire de la traite des esclaves ». Pour le CRC, on ne peut « continuer à accuser les hommes blancs alors que les Africains, en particulier les chefs traditionnels, ne sont pas irréprochables » puisqu’ils ont aidé « systématiquement à mener des raids et des enlèvements dans des communautés sans défense, puis à les échanger avec des collaborateurs européens, américains et autres ».


On ne peut pas débouter le CRC de sa demande parce qu’elle se trouve fondée dans l’Histoire mais aussi dans les consciences des descendants de ces esclaves. En effet, si ceux-ci ont gardé dans leur âme, les stigmates des agissements monstrueux des esclavagistes, ils ont de la même façon perpétué cette demande angoissée, courroucée, suivante : « Pourquoi nos propres frères et pères nous ont vendu pour des pacotilles ? »

Cette demande est également fondée parce qu’utile pour ouvrir le deuil de cette Histoire tragique. Il faut donc sur le continent, y aller de sa repentance. Mais comment celle-ci doit-elle se manifester ? Va-t-elle venir des Etats africains au nom des Chefs ? Doit-elle venir des Chefs eux-mêmes à travers tout le continent au nom de leurs ancêtres ou seulement dans les pays où l’Histoire a laissé des traces de cette coupable complicité ? Doit-elle venir (ironie du sort !) de Muammar Kadhafi, Roi des Rois d’Afrique, qui pourtant demande 777 trillions de dollars pour l’Afrique, notamment en compensation de la traite négrière ?

Le pays des hommes intègres, touché par la traite

Illustration prêtée par Sann Fina

Les fils et filles des régions de l’ancien territoire de la Haute-Volta ont-ils été des ‘‘marchandises’’ pour la traite négrière ? Il semble que l’on doive répondre par l’affirmative puisque des traces historiques relèvent que dans la classification par zones des esclaves, ceux venant de Haute-Volta étaient appelés des Mangingas.

Pour en savoir plus, nous avons contacté le Professeur Maurice Bazemo, maître de conférence, enseignant-chercheur au département d’Histoire et Archéologie à l’Université de Ouagadougou, qui nous a répondu en ces termes : « Les anciens pays du Burkina ou les anciennes régions qui constituent le Burkina Faso aujourd’hui ont été touchés par ce commerce des esclaves. Il n’y a pas de doute à ce propos parce que le mois d’octobre dernier, nous avons eu un colloque ici auquel a participé une collègue du Brésil qui est enseignante-chercheuse (NDLR : Il s’agit de Mariza de Carvalho Soares.) Elle avait dit (lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois à Aix-en-Provence en France) qu’il y a eu des esclaves d’origine Gourounsi au Brésil. Et l’un des objectifs de ces recherches est de refaire le chemin du Brésil jusqu’au Burkina pour trouver exactement les régions d’où sont partis ces esclaves d’origine Gourounsi. Bien avant cela, il y a eu un prêtre qui a fait une enquête linguistique au Libéria. C’était au début du 20è siècle. Le Libéria étant en partie constitué des esclaves ramenés des Etats-Unis d’Amérique. Donc ce prêtre, le père Nicolas, a fait cette enquête linguistique pour savoir d’où ils venaient. Et parmi ceux qu’il a contactés, il y a eu des esclaves qui ont dit qu’ils sont d’origine Mossi. Donc, ces deux indicateurs nous révèlent très bien que les régions du Burkina ont été touchées par l’esclavage contrairement à ce que disent certaines thèses. Et le professeur de poursuivre : "Effectivement des thèses ont été avancées selon lesquelles les anciennes entités politiques qui ont constitué la Haute-Volta n’ont pas connu la traite négrière. Puisque ces derniers se basent sur le fait que le Burkina Faso est un pays de l’hinterland et qu’il était difficilement accessible par les négriers blancs ». Mais notre spécialiste de l’esclavage, Monsieur Bazemo nous donne les raisons par les explications suivantes : « Pour ce qui concerne les Gourounsi, cela s’explique par la position de l’empire Ashanti. Cette entité politique était bien impliquée dans la traite des esclaves. Et très tôt, les rois Ashantis qui avaient une domination sur la région nord du Ghana notamment le Dagomba avaient imposé comme tribut aux rois de Dagomba de leur fournir des esclaves. Et les Dagombas, pour satisfaire cette exigence, lançaient leurs expéditions vers le territoire nord, notamment les régions occupées par les Gourounsi. Pour les Mossi, si le père Nicolas a révélé leur vente, c’est parce que les Mossi ont fourni des esclaves aux négriers, évidemment par l’intermédiaire des négriers noirs de la Côte, puisque les Blancs ne venaient pas à l’intérieur du continent. Et le film de l’Ivoirien Roger Gnoan Mbala le montre très bien. Les régions de la côte ont été les premières à être mises à contribution. » Combien d’esclaves alors sont partis des territoires du Burkina Faso ? Mr Bazemo répond : « Pour ne pas avancer un chiffre ridicule, je préfère ne pas me prononcer sur cette question. D’ailleurs, l’un des grands débats étaient de savoir combien l’Afrique avait fourni d’esclaves. Mais on n’est pas arrivé à donner un chiffre exact. Donc pour ce qui concerne le Burkina, il ne faut pas se hasarder à avancer un chiffre. Mais moi, je vais au-delà des chiffres pour dire que même si c’était deux ou une personnes, c’est déjà grave vu le statut de la personne humaine ».

La repentance due par les chefs traditionnels au Burkina

C’est dire que les chefs traditionnels des anciens territoires du Burkina Faso ont, même de façon involontaire, été responsables de cette tragédie qu’a connue l’Afrique au 16ème siècle. Par conséquent ne serait-il pas raisonnable que les chefs d’aujourd’hui se confessent au nom de leurs ancêtres ? Alors que pense monsieur Bazemo de la repentance de certains chefs traditionnels notamment nigérians ? Pour lui, il faut aller au-delà. Et il dit : « Il faudrait dire que depuis que les Africains ont commencé à demander réparation pour l’esclavage aux Européens puisque l’esclavage a été caractérisée comme un crime contre l’humanité, les Européens ont répondu que les Africains ont leur part de responsabilité. Car c’est par l’intermédiaire des chefs traditionnels que les négriers amenaient la marchandise. Donc que les chefs Africains reconnaissent leurs torts et se confessent, c’est une bonne chose.Mais pour moi, il y a plus que cela à faire. Ce qu’il faut aussi demander aux chefs traditionnels en tant que gardiens de la tradition, c’est qu’ils facilitent le travail aux historiens pour davantage approfondir les études sur l’esclavage. Le problème est que nombre des gens ignorent réellement la question de l’esclavage. Il existe toujours des zones d’ombre qu’il faut éclairer ».

Cependant, il faut reconnaître qu’au-delà de la traite négrière que l’Afrique a connue de façon douloureuse, il existe toujours des formes d’esclavages qui persistent, d’où cette assertion de Maurice Bazemo « L’esclavage est un fait du passé qui refuse de passer » !

Pour rendre exhaustif le dossier sur la question, nous avons souhaité vivement rencontrer la chefferie traditionnelle burkinabè, notamment Moaga. Difficile d’arracher un mot à ce niveau pour qui connaît l’organisation de cedit royaume. En effet, nous avons d’abord contacté le Larlé Naaba qui nous a dit que c’est le Baloum Naaba qui se charge de ces questions sur le plan coutumier. Nous avons joint ce dernier qui nous dira de voir le Larlé Naaba. Lorsque nous lui avons dit que le Larlé Naaba a dit que seul lui pouvait nous donner une piste pour faire aboutir le dossier, le Baloum Naaba nous a alors répondu qu’il verrait le Mogho Naaba à ce sujet.

Au regard donc de ces tournures, on peut supposer que la question de l’esclavage est très délicate à aborder au niveau des chefs coutumiers Mossi. Pour autant, nous ne désespérons pas d’obtenir leur contribution et nous attendons que le Baloum Naaba nous donne une suite favorable.

Victory Toussaint et Issouf Sidibé

http://www.sanfinna.com

Partagez cette page sur votre réseau :

Précédents Agora mag