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INDE - Alliance d’altitude

INDE - Alliance d’altitude

Une journée à l’Alliance Française de Leh

A cinq minutes du centre-ville, voici le vieux portail de fer peint en noir. Dessus, on peut lire “the right place to learn French” à côté d’une version main levée de Marianne. Bienvenue à l’Alliance Française de Leh.

27 février 2014 - par Loup Topalian 
 - © Gaëlle Kermarrec et Pascal Perron
© Gaëlle Kermarrec et Pascal Perron

Sept heures. Les rues sont vides et le silence est amplifié par un tapis de neige épaisse. C’est la troisième tombée de la semaine, et le thermomètre reste caché en dessous de moins quinze. Matinal, le soleil pointe ses rayons juste au-dessus des sommets dans le ciel dégagé. La journée s’annonce magnifique.
Nous sommes au Ladakh, la région la plus au nord de l’Inde – à la frontière du Pakistan et du Tibet, dans le célèbre état du Jammu & Kashmir. C’est une terre de hauts plateaux au cœur de l’Himalaya, un désert froid où les villages s’allongent le long des fleuves que forme la fonte des glaciers. Les peuples et les religions partagent côte à côte la rigueur des hivers et les douceurs de l’été, quand les abricotiers sont lourds de fruits et de fleurs. Bouddhistes, musulmans, sikh et chrétien vivent ici en bonne intelligence ; plusieurs fois par jour les mantras des moines résonnent avec le chant du muezzin. La beauté lunaire de cette superbe région n’a pas échappé aux voyageurs indiens et étrangers (et tout spécialement francophones) : le tourisme ne cesse d’augmenter été après été. Les vallées sont alors verdoyantes et les étals pleins de denrées cultivées le long des maisons. L’hiver, c’est une autre histoire. Dès octobre, les routes qui traversent les cols sont coupées, laissant le Ladakh bien loin du reste du monde. Seul un petit aéroport assure une liaison aléatoire avec la capitale du pays. L’eau courante aussi s’arrête avec le trafic, gelée dans les canalisations. Quant à la neige, elle tombe peu mais bien, les gros flocons enveloppant durablement les montagnes alentours.

Le centre régional, Leh, est perché à 3520 mètres d’altitude, au cœur de la vallée de l’Indus, ce fleuve qui a donné son nom à l’Inde. Vingt mille habitants, sans compter les chiens, les vaches, les yaks et les ânes qui peuplent les rues. Un marché, quelques lieux de cultes, et le palais médiéval dont les murs immenses construits à flanc de montagne veillent sur les habitants. C’est dans cet endroit unique, rude mais accueillant, sur le toit du monde, qu’a ouvert en 2011 une des plus jeunes et des plus petites Alliance Française de la Fondation – et si ce n’est la plus haute (nous pensons à nos collègues de La Paz en Bolivie), c’est peut-être la plus isolée.


Ph : Gaëlle Kermarrec et Pascal Perron

A cinq minutes du centre-ville, voici le vieux portail de fer peint en noir. Dessus, on peut lire “the right place to learn French” à côté d’une version main levée de Marianne. Au-delà, une allée de sable longe un mur de brique, et débouche sur une petite maison. Bienvenue à l’Alliance Française de Leh.
C’est une bâtisse traditionnelle de plain-pied, avec ses poutres rondes et sa terre battue sur le toit. A l’intérieur, deux salles de cours colorées et une pièce de vie-bibliothèque font la partie école. Plus loin une cuisine, un bureau et une petite chambre accueillent les professeurs hors des heures de cours. Il y a enfin les toilettes ladakhis - sèches - sur le toit, offrant une vue imprenable sur la chaîne de montagnes. Le tout donne un lieu accueillant et impossible à chauffer. La maison elle-même n’est pas reliée à l’eau courante, mais offre l’électricité et l’internet - de façon intermittente. Ici on est plus proche du tableau blanc que des technologies informatiques appliquées à l’enseignement !
Il est presque huit heures. Les cours sont sur le point de commencer. Un quart d’heure avant l’arrivée des élèves, on vérifie les niveaux de kérosène et on réchauffe les poêles.

Ph : Gaëlle Kermarrec et Pascal Perron

L’annexe de Leh répond à un besoin d’enseignement du français au Ladakh. La majeure partie de l’activité commerciale étant liée au tourisme, la connaissance de notre langue est ici un atout énorme – nombre de voyageurs francophones ne parlant pas ou mal l’anglais. Auparavant, les guides de montagne et autres professionnels du voyage allaient jusqu’à Chandigarh, grande capitale régionale du nord de l’Inde, pour prendre des cours. En 2011 l’Alliance Française de Chandigarh est donc allée au-devant de ces étudiants en ouvrant une annexe à Leh même (voir l’interview du directeur précédent). Ainsi est née l’AF de Leh Himalaya – toit du monde.

Depuis sa création les équipes de l’annexe sont renouvelées chaque année. Des professeurs venus de France et des ladakhis travaillent ensemble pour s’adapter aux besoins variés des apprenants et aux modes de vie locaux. C’est à nous de nous ajuster à cet endroit où il n’y a pas de nom de famille, ni nom de rue ni numéro de maison - où les prénoms sont dictés par l’horoscope et où les traditions ancestrales restent vives. Enfin, c’est à nous aussi de prendre en compte les élèves qui ne parlent que le ladakhi.

Ph : Gaëlle Kermarrec et Pascal Perron

Durant la période hivernale l’activité économique et sociale est largement réduite par la neige et l’isolement. Même les écoles ferment pour trois mois. Ce temps libéré de la basse saison est l’occasion pour beaucoup de s’investir dans des activités extra-professionnelles, comme l’engagement associatif ou l’apprentissage d’une langue. Pour nous, c’est la meilleure période, avec une très grande variété d’étudiants. Il y a des jeunes lycéens en vacances, des gynécologues, des hauts gradés de l’armée, ou encore des personnes âgées à la retraite. Certains viennent par pur plaisir d’apprendre, d’autres prévoient des débouchés professionnels. Et, bien sûr, un certain nombre d’entre eux sont liés de près ou de loin au secteur du tourisme, guide de montagne ou agent de voyage. Cet hiver, vingt-cinq élèves ont ainsi suivi les cours de français, répartis en cinq classes pour convenir aux horaires et au niveau de chacun. Nous travaillons en petits groupes, assis en rond tout près du poêle, deux heures par jour et par classe.

Plus qu’ailleurs la vie de professeur est un constant travail d’improvisation. Parfois le courant est soudainement coupé pour ne revenir que la semaine suivante. Parfois la moitié d’une classe disparaît, chacun étant appelé aux travaux des champs dans les villages, aux petits boulots dans la ville. Et puis n’oublions pas les nombreux festivals du calendrier Ladakhi qui laissent souvent vides nos salles de classe. Bref, il faut être prêt à toute éventualité. A cela s’ajoute les nombreuses tâches d’une si petite Alliance. Car chaque enseignant est aussi comptable, graphiste, communicant, publicitaire, électricien quand il ne faut pas aller chercher de l’eau à la citerne gelée ou communiquer avec les autorités locales.

13 heures. Il n’y a plus d’élèves, c’est le moment du repas. Au Ladakh on ne trouve pas beaucoup d’ingrédients l’hiver et les plats varient tous sur un petit nombre de légumes communs. Les soupes sont à l’honneur, ainsi que les raviolis de légumes, les nouilles. Petit à petits les étudiants de l’après-midi arrivent, parfois largement en avance. Ils viennent pour se retrouver, consulter les gros dictionnaires, emprunter un livre ou encore tenter leur chance avec le Wifi. Les poêles sont rallumés ; et quand il y a du soleil tout le monde va s’assoir sur le banc, dehors, pour boire le thé.

Au-delà des cours, notre annexe est un lieu d’échange et de découvertes culturelles pour ceux qui s’y croisent. Nos élèvent apprennent une langue en s’ouvrant chaque jour aux coutumes et valeurs de la France. En retour, c’est pour nous l’occasion d’offrir des rencontres authentiques loin de rapport commerciaux aux voyageurs de passages. Et évidemment d’apprendre énormément nous-mêmes. On ne compte plus les discussions captivantes autour du bouddhisme, des valeurs traditionnelles, du choix et du sens de la modernité, de la réalité de la vie européenne. Pour nous les professeurs il n’est pas rare de finir une journée en se demandant qui est vraiment l’élève.
A l’occasion la bibliothèque se transforme en salle de projection, grâce à la grande télé accrochée au mur, une de nos rares pièces de technologie. Malgré les incompréhensions d’humour ou de référence, les films français remportent toujours une large adhésion. D’autres activités animent notre bâtiment, comme des ateliers d’écriture, des expositions photo. Nous voulons cette annexe comme un espace de discussion entre des individus riches d’origines hétéroclites – la preuve que des modes de vie radicalement différents n’empêchent pas les hommes et les femmes de s’entendre.

À cinq heures les classes sont terminées. Quatre ou cinq étudiants s’attardent sur la terrasse sableuse en discutant. Pour nous, il est temps de fermer, avant d’aller se perdre quelques heures dans le bazar du centre-ville, entre les échoppes de raviolis vapeur et les vendeurs de thé au beurre.
Pour finir, il faut dire que notre structure est encore dans l’enfance et qu’elle a déjà plus de projets que de temps pour les réaliser – le temps, qui au Ladakh ne s’écoule certainement pas comme ailleurs. Les conditions nous mettent souvent au défi, et pourtant une chose est sûre : l’expérience vaut toutes ses difficultés. Pour l’heure nous ne pouvons qu’être satisfaits du chemin parcouru… Et regarder avec envie celui qui nous reste à faire !


Ph : Gaëlle Kermarrec et Pascal Perron

Loup Topalian est enseignant à l’AF de Leh Himalaya - Toit du monde"

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