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Léopold Sédar Senghor, une certaine idée de l’identité

Léopold Sédar Senghor, une certaine idée de l’identité

Léopold Sédar Senghor (1906 - 2001)

Quel itinéraire de vie ! Tout était conviction chez l’érudit qu’il était. Homme de mot et de pensée, homme politique* de premier plan Léopold Sédar Senghor ne cessa n’agiter sa francophonie et sa négritude comme des drapeaux de paix et de culture. À méditer...

* Député de la circonscription Sénégal – Mauritanie à l’Assemblée Nationale française – Premier président de la République du Sénégal – Père fondateur des institutions de la Francophonie – Élu à l’Académie française...

5 janvier 2010 - par Arnaud Galy 

EXTRAITS :

Commençons donc par les divergences avant de parler des premières convergences. Et d’abord des origines, ethniques et culturelles.
Vous êtes des Albo-Européens, et moi, un Négro-Africain ; vous êtes français, moi, sénégalais. Voilà, pour commencer, des différences extrêmes. Mais je remarque que vous êtes, tous les trois, des métis européens quand je suis au croisement de trois ethnies africaines. Je vous nommerai selon l’ordre de primogéniture, comme en Afrique. Vous, Pierre Emmanuel, vous êtes nés d’un père dauphinois et d’une mère béarnaise ; vous, Alain Bosquet, vous êtes nés en Russie, d’un père d’origine russe et d’une mère française ; et vous, Jean Claude Renard, d’un père lyonnais – je parle de la région – et d’une mère provençale. Pour moi, c’est tout aussi complexe. Encore que je sois culturellement enraciné dans la sérérité, mon père, sérère, était de lointaine origine malinké avec un nom et, probablement, une goutte de sang portugais, tandis que ma mère, sérère, était d’origine peule.
Je vous avoue que ce métissage biologique, qui nous caractérise au départ, ne me déplaît pas, encore que j’aie commencé par le cacher lorsque j’étais jeune. Comme le disait le général de Gaulle, confirmé par les historiens et les biologistes, « l’avenir est au métissage ».

Léopold Sédar Senghor
Photo : archive Gérard Bosio

(…) depuis leur Re-naissance, aux 16ème et 17ème siècle, les lettres et arts français, et singulièrement la poésie, ont reçu et digéré, non seulement les « matériaux », comme le souligne Maulnier, mais encore les valeurs des autres civilisations. Ce furent, d’abord, des apports européens – méditerranéens, germaniques et slaves -, puis des apports asiatiques – arabes iraniens et indiens, chinois et japonais -, maintenant des apports négro-africains. J’ai montré, à Hautvillers, pour illustrer la proposition et prenant l’exemple des Nègres, que, si ceux-ci avaient « bousculé » cette vieille dame de langue française, ils ne l’avaient pas maltraitée. Ils ont inséré leurs néologismes, pas toujours exotiques, leurs images folles et leurs rythmes syncopés dans le génie de la langue française, qui est, en poésie, moins dans la logique, la précision, la clarté que dans l’économie des moyens. À quoi ne répugne pas la Négritude, comme le prouve notre art, tectonique.


Donnée, avec des exemples, la définition du symbolisme nègre, que l’on retrouve aussi bien aux Amériques qu’en Asie et en Océanie, la parole de Rimbaud nous apparaît dans son sens le plus authentique. Paradoxalement pour l’époque, en proclamant, dans Une saison en enfer, qu’il était un « nègre », le poète se référait consciemment aux valeurs essentielles de la Négritude : à « l’instinct », c’est à dire à l’intuition du Nègre, exactement à sa puissance d’imagination symbolique. (…) Alain Bosquet* l’a bien vue, sentie pendant son séjour sénégalais. Il l’a écrit : « Il m’est apparu que l’espèce humaine, chez vous, donnait au langage un rythme de chair et de sang, de vertèbre et de peau lisse, de sorte que se refait la greffe de la parole sur l’anatomie. »

Né, métis, en Russie, « grandi » en Belgique et ayant vécu aux États-Unis d’Amérique, Bosquet est pour moi, comme certains écrivains antillais, le type exemplaire de l’écrivain « francophone ». Ce qui ne l’empêche pas d’être intégralement « français », tout au contraire.


Pour moi le problème majeur de cette fin de siècle n’est pas le « nouvel ordre économique international », comme on le clame depuis quelques années, qui ne sera pas réalisé si l’on ne rend, auparavant, leur paroles à tous les hommes de tous les continents, de toutes les races, de toutes les civilisations. Je parle d’une parole poétique, qui crée un nouvel ordre économique – il faut bien manger, bien sûr – parce qu’un nouvel ordre culturel mondial. Je parle d’une parole comme vision neuve de l’univers et création panhumaine en même temps : de la Parole féconde, une dernière fois, parce que fruit de civilisations différentes, créée par toutes les nations ensemble sur toute la surface de la planète Terre.

Oeuvre poétique - "Dialogue sur la poésie francophone"

Édition du Seuil

1ère édition en 1964

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