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Les échos du Forum mondial de la langue française.

Les échos du Forum mondial de la langue française.

Paroles d’écrivains, parfois pétales de rose, parfois épines...

Jocelyne Saucier, Amadou Lamine Sall et Lyonel Trouillot réunis autour de Bernard Magnier portent sur leur art le regard tantôt pertinent du professionnel aguerri, tantôt celui souriant de l’enfant qu’ils furent...

19 juillet 2012 - par Arnaud Galy 

Perdu dans les entrailles de la grosse machine qu’est le Forum, c’est un moment qui aurait mérité davantage de lisibilité, de visibilité. Un échange littéraire rassemblant trois auteurs on ne peut plus différents, réunis autour de Bernard Magnier, directeur de la collection « Lettres africaines » aux éditions Actes Sud. De gauche à droite sur le plateau, le public, malheureusement bien peu nombreux, pouvait rencontrer : Lyonel Trouillot, campé dans sa posture « bougon engagé qui se moque de ce qu’on pense de lui » ; Jocelyne Saucier, comme étonnée qu’on lui ait demandé d’être là ; Amadou Lamine Sall, poète et pragmatique à la voix de coton, interprétant là un délicieux exercice de style. Des gens de lettres venus d’Haïti, du Nouveau-Brunswick et du Sénégal qui portent sur leur art le regard tantôt pertinent du professionnel aguerri, tantôt celui souriant de l’enfant qu’ils furent...

Bernard Magnier lance la causerie : Quelle place tenait le livre dans votre enfance ? Etait-il là... ou était-il un objet de conquête ?

Jocelyne Saucier, prix des 5 continents 2011 pour "Il pleuvait des oiseaux"
Ph : Arnaud Galy - ZigZag

Jocelyne Saucier : Le livre est apparu assez tard. Je viens d’un milieu modeste, francophone minoritaire. Il n’y avait pas de bibliothèque dans mon école francophone et mes premières lectures étaient les journaux que mon père achetait chaque fin de semaine. Mon premier livre... j’avais 11 ans. C’est une religieuse du village qui m’a donné un roman de Claudel. Je n’ai rien compris... mais je savais que l’objet était important ! Ensuite, je suis parti pensionnaire au Québec et là le livre a pris toute sa part dans ma vie. Mon premier livre québécois a été « Le fou de l’île » de Félix Leclerc. J’en garde un grand plaisir de lecture même si, avec le recul, je crois que Félix Leclerc n’était pas un grand romancier !

Amadou Lamine Sall : Enfant je n’ai pas vu, encore moins lu de livres. Enfant j’avais juste la parole et j’entendais ma mère, poétesse de langue peul. J’ai attendu le lycée pour voir mon premier livre dans les mains d’un professeur... un livre de Victor Hugo. Plus tard sont venus Lamartine et Rimbaud... C’est à l’université que j’ai appris que les Africains écrivaient des livres ! Ce fut une révélation... les livres de Césaire ou Senghor disait ma société. Je me souviens de mon premier livre acheté, c’était « L’enfant noir » de Camara Laye.

Lyonel Trouillot : Je suis né dans une bibliothèque, dans la famille qui a, sans doute, le plus publié de livres en Haïti. Mon père m’a dit : « Tu as un nom, fais-toi un prénom ». Mon premier livre, celui qui m’a déniaisé fut « Les raisins de la colère » de John Steinbeck. Paradoxalement, pour l’Haïtien que je suis, c’est à ce moment que j’ai compris ce qu’était la misère ».

Bernard Magnier : Et vos premiers écrits...

Lyonel Trouillot : Pour ma mère, écrire c’est mentir... alors je dirais que j’ai commencé à mentir très jeune, en créole, pour casser la ségrégation sociale.

Jocelyne Saucier : Je suis venue à l’écriture littéraire assez tard. Je suis passée par des études de sciences politiques puis suis devenue journaliste. La presse m’a permis de faire mes gammes. À trente ans, je suis partie au Togo, avec un sac à dos, une machine à écrire et ma fille... partie pour écrire mais mes trois premiers romans n’ont pas été publiés. Je remercie les éditeurs de ne les avoir pas publiés... Peut-être, reprendrai-je le tout premier un jour... au grand âge !

Amadou Lamine Sall, dont les oeuvres complètes sont publiées aux éditions Feu de Brousse.
Ph : Arnaud Galy - ZigZag

Amadou Lamine Sall : Je n’ai aucun mérite, j’étais poète dans le ventre de ma mère... À l’école j’avais déjà jeté des premiers jets sur des bouts de papier. Mais c’est plus tard que j’ai franchi le pas. Senghor voulait une relève littéraire. Pour cela il avait créé une maison d’édition. J’ y ai déposé cinq recueils de poésies mais il m’a été conseillé d’abandonner la poésie et de me tourner vers le roman. J’étais anéanti. Mais l’éditeur avait raison... J’ai rapporté un autre recueil de poésies et là... j’ai été adoubé par Senghor qui m’a dit « vous êtes le continuateur ». Nous verrons dans cent ans si Senghor avait raison !

Bernard Magnier : Quel est le rôle des autres langues dans votre écriture ?

Amadou Lamine Sall : La question est comment se démarquer des géants que sont Senghor ou Césaire. Comment arriver à créer quelque chose de nouveau quand tout a déjà été dit ou écrit. Quand j’ai posé cette question à ma maman elle a répondu en me récitant de la poésie en peul. J’ai compris que ma langue maternelle pouvait m’apporter beaucoup, bien que je conceptualise et écrive en français. Alors je traduis mes poèmes en peul avec l’aide de ma mère qui a 89 ans. Elle ne parle pas le français mais elle m’aide en commentant les images dont j’ai besoin...

Lyonel Trouillot, écrivain, Haïtien avant tout...
Ph : Arnaud Galy - ZigZag

Lyonel Trouillot : La littérature haïtienne a 200 ans et la créolité est dans l’histoire de la littérature haïtienne. La langue française est tenue en otage par une petite part de la population face au créole qui est parlé par le plus grand nombre. Aussi écrire en créole est une affirmation poétique. Mais il faut faire attention à ce que le créole ne soit pas corrompu par le français et le français ne soit pas corrompu par le créole. Nous habitons le bilinguisme comme un enrichissement, pas comme une tragédie. Je n’ai pas de fétichisme de la langue et je m’exprime dans les deux... Finalement, c’est le texte qui décide de sa langue. Parfois, je commence en créole et cela ne fonctionne pas ou inversement... Il faut juste faire attention à ne pas vouloir faire « couleur locale » en mettant quelques mots créoles dans un texte en français...

Jocelyne Saucier : Au Québec c’est plutôt l’écart entre la langue parlée et la langue écrite qui pose problème. Dans les années 70, beaucoup d’écrivains s’exprimaient en joual, une langue romanesque, certes, mais qu’il est très difficile d’utiliser à l’écrit et qui s’est perdue !

Amadou Lamine Sall : Au Québec, on résiste en écrivant en français... au Sénégal, on résiste en écrivant dans les langues nationales !

Lyonel Trouillot : En Martinique... on se bat pour savoir qui sera publié chez Gallimard, en Haïti, on se bat pour savoir qui sera le plus respecté à Port-au-Prince. Pour qu’un écrivain martiniquais soit connu en Haïti, ou inversement, il faut qu’il passe par Paris !

Bernard Magnier : Paris, le centre ou non ?

Jocelyne Saucier : Paris n’a plus le même pouvoir d’attraction...le Québec a une vie littéraire propre animée par des maisons d’édition actives. J’habite à 1000 kilomètres au nord de Québec, on me disait... pour réussir il faut aller à Montréal ! Mon centre, c’est Montréal ! On peut vivre où on veut et écrire dans la langue qu’on veut...

Amadou Lamine Sall : Paris ? Avant c’était le centre, maintenant il y a des centres...Paris est une périphérie, Québec et l’Afrique sont des centres... La question est comment faire tourner les livres francophones. Il faudrait des CLAC* dans tous les pays francophones pour que les livres tournent du Mali à Québec. Il est triste de ne pas savoir ce qui se passe à Bamako, Dakar, Québec ou Paris...

Lyonel Trouillot : Il y a une vie littéraire à Port-au-Prince ! Haïti produit de la littérature et discute de littérature... il y a beaucoup de lectures publiques. La vie littéraire est intense et elle intègre les enjeux sociaux. J’entends souvent dire que les Haïtiens, comme tous les peuples frappés par le malheur, sont des créateurs ! Cette position m’insupporte ! Je préfèrerais que la société ait su se changer pour ne pas être frappée... je préfèrerai que nous comptions beaucoup d’artisans plutôt que beaucoup d’artistes qui créent en s’inspirant du malheur...

Réunis autour de Bernard Magnier, directeur de la collection « Afrique » aux éditions Actes Sud.
Ph : Arnaud Galy - ZigZag

* CLAC : Centre de lecture et d’animations culturelles. Structures mises en place par l’OIF.

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