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Lyonel Trouillot

Lyonel Trouillot

Yanvalou pour Charlie
24 octobre 2009
Lyonel Trouillot - © Marc Melki
Lyonel Trouillot
© Marc Melki

L’histoire simple, en apparence, d’un jeune avocat haïtien prêt à toutes les amnésies et à tous les maquillages de sa propre histoire pour réussir sa vie sociale. Il sera un jour quelqu’un de bien... selon les critères de la bourgeoisie cynique et aveugle de Port-au-Prince. Il a écrit son destin. Il le croit. Sauf que, parfois, une porte qui s’ouvre fait autant de bruit qu’une porte qui claque. La porte qui s’ouvre se prénomme Charlie : « Sans y être invité, ce crétin de Charlie, dans sa quête d’avenir, m’imposait une mémoire ». Charlie est un adolescent en perdition, trainant avec lui toute une bande de jeunes paumés, parfois idéalistes, prêts à franchir les lignes jaunes à la moindre occasion. Pour eux, encore plus que pour chacun d’entre-nous, la vie et la mort vivent en couple, jamais bien loin l’un de l’autre. Sans s’en rendre compte cet envahissant Charlie va perturber et anéantir le destin si bien écrit de monsieur l’avocat. « C’est toi, Dieutor ? » Une question, et j’ai senti venir la merde.

Yanvalou pour Charlie est une plongée en apnée dans la boue des bas-fonds d’Haïti et dans la boue encore plus nauséabonde de sa haute société. Un va et vient entre ces deux hémisphères d’où personne ne sort grandi. Ni l’argent, ni la famille, ni l’éducation, ni Dieu ne parviennent à baliser le terrain mouvant sur lequel évolue tout ce petit monde. Ce roman est un bloc de granite à l’image de son auteur. Il dresse le portrait d’une nuée de grains de sable qui jamais ne tiennent leur destin dans leurs mains. Sans doute car chacun de ces grains a pour crédo : «  Quand on ment à des inconnus, ça cesse d’être un mensonge pour devenir une invention ». Une conduite de vie qui transforme celle-ci en labyrinthe puis en cul de sac. La vie n’est alors plus qu’une survie.

Livre de Lyonel Trouillot {JPEG}

Extraits

A vrai dire, j’étais comme ça. Jusqu’au jour où Charlie s’est présenté au cabinet pour foutre le bordel dans ma vie, réveiller les morts et les bons sentiments avec sa gueule d’adolescent et mon deuxième prénom, des histoires de village, de meurtre, d’argent sale, d’amour et de misère, de musique populaire et de quartier bourgeois. Le tout en un seul jet.
(Page 24)

Mon père voyageait souvent vers les villages voisins, et trois fois par an il se rendait à Port-au-Prince. Son travail consistait à négocier avec les paysans le prix de la marchandise que les spéculateurs allaient revendre vingt fois plus cher au marché de l’import-export. A chaque départ, Anaëlle se levait plus tôt que d’habitude, préparait le café et le repas de l’aube, et tandis que son homme mangeait, elle rangeait les habits de voyage dans la petite valise en métal : deux chemises, deux chemisettes et deux pantalons kaki, toujours les mêmes. Mon père ne possédait qu’un complet et il ne l’emportait que lorsqu’il se rendait à Port-au-Prince. Dans les régions agricoles, le kaki et les chemisettes convenaient mieux, pour les moustiques et la chaleur. Il les appelait ses vêtements ordinaires, un camouflage pour ressembler aux paysans et ne pas faire trop riche. A chaque départ, il s’excusait auprès d’Anaëlle d’exercer ce métier qui le forçait à s’éloigner de sa maison et de ses livres.
(Page 51)

… Avant de me laisser dans la soutane du père Edmond, ma mère me racontait des histoires. Ses histoires, c’était comme des vacances à la campagne, avec un tas de vieux principes. Personne n’aime la campagne, sauf pour les vacances et pour les vieux principes. Sinon les gens ils y resteraient. Le père Edmond, il critique souvent les « inconscients » qui viennent de la campagne sans savoir ce qu’ils vont trouver ici à Port-au-Prince, et qui construisent des maisons dans la boue, avec de la boue, mangent dans la boue, dorment dans la boue, font des enfants dans la boue au milieu des porcs et des poules qui pataugent aussi dans la boue. Mais lui aussi, il est venu de la campagne. Enfin, pas de la campagne. De la province.
(Page 65)

Moi, je ne connais pas d’adultes à part le père Edmond et les types qui nous font la classe. Ils nous répètent seulement qu’on est des bons à riens, mais ça on le sait déjà. Il n’y a que Gino pour réussir avec les chiffres. Il parvient à résoudre tous les problèmes. Tant de poules, tant de grain, prix d’achat et prix de revient, Gino il calcule sans erreurs les pertes et les profits. Peu importe que les choses existent seulement dans les pages des manuels ou pour de vrai, là ou ça a de l’importance, Gino est le champion des quatre opérations. Nathanaël, lui, lit beaucoup. Nous, en majorité, on s’en fout. Et les maîtres ils passent leur temps à gueuler, surtout lorsque le père Edmond a du mal à trouver l’argent et les paye avec du retard. De toutes les façons c’est pas à eux que j’irais confier mes problèmes. Ils doivent bien en avoir assez des leurs. Et notre argent, ils seraient capables de le voler.
(Page 69)

Le père Edmond, il nous raconte l’histoire de Jésus dans l’idée qu’on essaye de lui ressembler, puis il nous dit aussi que personne ne sera jamais comme Jésus. Jésus, quand on regarde, c’est comme Pelé ou Maradona, l’idée c’est d’essayer de jouer comme eux en sachant qu’on y arrivera jamais.
(Page 79)

A la dernière réception qu’ils ont donnée, le chef a dû parler comme un véritable homme de gauche pour tenter de faire oublier les propos de la patronne qui considère les pluies comme une bénédiction qui arrête enfin la folle croissance démographique « quand le déluge viendra noyer les bidonvilles ». Le chef n’a pas la vie facile. Ce doit être épuisant de de voir consacrer son temps à tenter d’appliquer un principe d’équilibre à des données incompatibles. La patronne n’a pas ce souci.
(Page 147)

Lyonel Trouillot

Yanvalou pour Charlie

Acte Sud – août 2009

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