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Pologne - Waclaw Seweryn Rzewuski

Pologne - Waclaw Seweryn Rzewuski

L’aristocrate qui parlait à l’oreille des chevaux d’Orient

Dans un français élégant autant que scientifique cet orientaliste polonais nous livre ici le récit de trois ans de vie partagée avec les Bédouins, illustré par ses propres dessins. De 1817 à 1820, Rzewuski, en quête de chevaux pour les élevages européens, a découvert Palmyre, Damas et Alep...

27 mars 2010 - par Arnaud Galy 
L’viv - © Arnaud Galy
L’viv
© Arnaud Galy

Le parcours de vie de cet homme ne peut laisser insensible ! Il offrirait un scenario époustouflant à tout cinéaste épris de grands espaces, de personnages hors normes et de destin tragique.
Tout commence dans la partie orientale de la Pologne, à L’vov (aujourd’hui L’viv – Ukraine), comme si la notion d’Orient avait déjà été saupoudrée sur son berceau d’enfant aristocrate de plus haute tenue. Il grandit entouré de cosaques et d’émigrés de toutes sortes : Des Arméniens, des Juifs, des Tartares et des nobles Français ayant fui la Révolution Française. Son esprit curieux et vif comprit vite que le multiculturalisme était un outil intellectuel stimulant. Comme bien des aristocrate polonais de l’époque il apprit le Français qui devint une langue naturelle presque autant que l’était son Polonais natal. Ajoutons à cet environnement fertile son oncle Jan Potocki, écrivain voyageur orientaliste et francophile, des ascendants diplomates en poste en Turquie ou des voyageurs explorateurs de l’Orient. On comprendra aisément que le jeune Waclaw Seweryn Rzewuski ne pouvait qu’avoir des fourmis dans les jambes !

En 1794, sa famille s’installe à Vienne mais conserve des propriétés dans l’est de la Pologne. Son père le voit militaire ou diplomate... lui ne s’imagine absolument pas suivre les injonctions paternelles ! Il se découvre une passion dévorante pour les chevaux et fréquente les élevages les plus prestigieux d’Europe centrale et orientale. Dans le même temps, vient pour lui le temps d’apprendre l’Allemand, le Russe, le Turc, l’Arabe et de se lier avec les Orientalistes de l’époque. Son père le contraint à intégrer un régiment de hussard. Il combat les armées napoléoniennes dans lesquelles servent... de nombreux Polonais ! Il supporte mal cette vie qui n’est pas sienne !

Intuitif et enthousiaste Rzewuski parvient, dès la sanglante période napoléonienne terminée, à convaincre le tsar de Russie, la reine du Wurtemberg et le sultan de l’Empire Ottoman qu’il est l’homme qui peut reconstituer le cheptel des élevages de chevaux décimés par les guerres. Il propose aux trois souverains de les approvisionner en étalons et juments qu’il ira lui-même sélectionner en Arabie. Sa connaissance du cheval et son orientalisme sincère se conjuguent et lui offrent enfin l’accès à « La » vie dont il rêvait. Fin 1817 il s’élance pour un périple de près de 3 ans. Première étape, Constantinople d’où il s’embarquera sur un bateau russe vers l’Arabie.

Par le peintre Aleksander Orlowski

Palmyre, Damas, Alep... Le « chasseur » d’étalons profite de l’occasion de voyager en ces contrées pour tenir un « journal de bord ». Tour à tour ethnologue ou touriste, candide ou expert il note scrupuleusement ce qu’il découvre avec gourmandise. Comme tous les romantiques orientalistes de l’époque il est subjugué par la vision réelle de ce qu’il fantasmait depuis si longtemps ; Comme tous les « commerçants » en expéditions loin de leur repère habituel Rzewuski se confronte aux soucis financiers ! Ses commanditaires ayant la « fâcheuse » habitude de l’oublier... Le rêve tourne parfois au cauchemar mais il tient le cap !

137 chevaux sont soigneusement sélectionnés par ses soins et rapatriés en Europe. Les souverains s’arrache les étalons et les juments venus d’Arabie. Le succès semblerait complet si des créanciers tenaces ne le ramenaient point à la réalité. La ruine l’attend dès son retour ! Mais l’homme a de la ressource et un certain sens de la singularité. Lui, l’aristocrate au nom prestigieux, érudit romantique, va camper auprès de ses chevaux. Il recrée autour de lui, en pleine Pologne, son campement nomade et parvient à limiter ses dépenses jusqu’à ce que l’orage passe...

« Nous vîmes Waclaw Rzewuski qui mangeait et dormait près de son cheval arabe, il était vêtu à la turque, lisait le Coran, avait écrit sur les murs des lettres arabes semblables à de petits serpents, n’offrait à ses invités que de l’eau et une pipe.* »

L’insurrection polonaise de 1830 lui permettra d’assouvir un dernier rêve : Afin d’appuyer les siens contre le pouvoir russe il monte une unité de cosaques. Lui qui refusa, autrefois, la carrière militaire passe outre ses convictions pour l’amour de son pays et par passion pour le cheval ! En 1831, avec ses cosaques, il affronte l’armée russe à Daszow (sud de Poznan. Pologne). Les Polonais sont anéantis. À ce moment là, Rzewuski entre dans la légende. Tout porte à croire qu’il meurt au champ d’honneur, comme disent les militaires, mais son corps est introuvable. Est-il mort au combat ? Faut-il croire ceux qui affirment que les Russes l’auraient déporté en Sibérie ? Il y a-t-il le moindre crédit à donner à ceux qui soutiennent qu’il s’est échappé et qu’il a vécu en exil clandestinement ? Dramatique, rocambolesque et extravagant, le destin de Waclaw Seweryn Rzewuski serait assurément une belle matière cinématographique. Sa pratique rigoureuse et délicieuse de la langue française en fait aussi un auteur que tout francophone peut déguster sans retenue !

Description d’un voisin – extrait d’une édition polonaise de « Impressions d’Orient et d’Arabie »
Auteur : Jan Ostrowski - 1986


EXTRAITS

« La ville de Damas »

L’arrivée de Damas est fort belle. On traverse pendant longtemps des jardins, où la beauté et la grandeur des arbres rivalisent avec la pureté du ciel. Les faubourgs, pris de différents points de vue, offrent le tableau bizarre de maisons à toits coniques et élevés, ce qui leur donne de loin l’air de tombeaux réunis, ou de mausolées. La ville, immense, est adossée à une haute montagne, du sommet de laquelle le regard plonge dans toutes les rues et dans les cours des maisons. Cette montagne, nommée Dalgieh (Dal’îya), est objet de pèlerinage. Une grande quantité de chacals s’y font entendre au coucher du soleil. On compte trois cent cinquante mille habitants à Damas. A l’époque du Ramadan avant le départ de la caravane, on peut compter un surcroît de population de cent mille hommes qu’y amènent le commerce, le pèlerinage, la curiosité, le zèle de voir partir les heureux qui vont jouir d’un coup d’oeil sur Beit Allah (la Maison du Peuple).
(Page 365)

Les baigneurs, appelés hammami, sont également nus, sauf le voile dû à la décence, et marchent sur les abcabs (ndlr : savate à semelle de bois). Lorsqu’on est assis pour prendre sa sueur, ils viennent de temps en temps passer la main sur la peau du baignant, afin de voir si la sueur est assez forte pour avoir détaché la saleté. Lorsque l’homme est à point, ils passent la main dans un gant carré sans doigts, fait d’une étoffe jaunâtre et tant soit peu rude, et se mettent à en frotter vigoureusement le corps et les membres. Cet espèce de feutre se nomme kerti (qertî) du nom de la feuille de l’acacia dont on se sert pour la tannerie du cuir. On emploie ce mot par métaphore pour le feutre qui irrite violemment la peau. Sous cette friction, on voit la saleté se détacher en petites saucisses que le baigneur époussette du revers de son gantelet et,le retrempant souvent dans de l’eau savonnée, il frotte jusqu’à ce qu’il ne montre plus de crasse. Cette méthode rend si propre que nos dames européennes qui se baignent dans leurs cuves plusieurs fois par semaine seraient étonnées de se trouver sales au moment d’une telle friction. Lorsque le corps est déjà détaché de toute crasse, y compris la tête et la figure, le baigneur prend l’éponge de soie brute. Ayant fait mousser le savon dans l’eau, il lave le corps à plusieurs reprises avec cette éponge et verse de l’eau pour faire écouler le savon. Quand la cérémonie est finie de son côté, il laisse du savon en mousse avec l’éponge pour se laver là où il n’a point oser toucher. (Page 371)

Quel que soit le fanatisme des habitants de Damas, il est une chose étonnante, c’est que la religion chrétienne ait pu y bâtir ses temples. En vertu de quels firmans et sous quel règne a-t-elle obtenu ce droit. Damas compte six établissement de ce genre. Les Grecs, les Arméniens, les Maronites, les Syriaques y ont leurs églises, et les Franciscains y possèdent trois couvents. Le premier est appelé couvent des « Pères de Terre Sainte ». Les deux autres sont desservis, l’un par des Capucins italiens et l’autre par les moines espagnols, je ne sais de quel ordre.
Le couvent de Terre Sainte, le seul que j’aie visité (et dans lequel j’ai dîné) n’est pas très beau. Du reste, on ne voit en dehors ni croix qui le désigne, ni cloche pour appeler les fidèles. Tout cela est défendu en Orient. En Chrétien, j’ai regretté que l’on soit obligé de dissimuler le signe de ma religion. Quand aux cloches, comme je ne les aime nulle part et que Dieu a créé la voix pour appeler et non une cloche, fruit de l’industrie chinoise, je me suis consolé de prime abord en Orient de ne pas en entendre le tintement. (Page 377)

La différence de religion ne nuit en rien à la destinée du villageois. L’arrivée d’un maître dans sa terre est une scène touchante. Tout le monde se presse autour de lui, on le voit s’asseoir par terre sans façon, recevoir des mains de chacun le tribut annuel en argent, et donner sans difficulté à celui qu’opprime l’indigence. Sans pompe, sans faste, sans orgueil, le seigneur fume sa pipe assis sur un tapis, s’entretient de ses affaires, voit, parle, écoute tout le monde. Les affaires des terres se font en plein air et il n’y a point comme en certains pays de l’Europe des domestiques placés au bout des avenues qui défendent l’entrée des palais, ou des régisseurs qui, pour tromper leurs maîtres et cacher leur conduite, effraient les sujets pour les empêcher de parvenir à leurs seigneurs. (…) Dans un village chrétien, où les femmes jouissent d’une liberté que n’entravent ni la religion ni les usages, le seigneur oriental aime à voir danser les jeunes filles. Il paye les musiciens, s’entoure des dons et de la gaieté de tous. Une douce familiarité de cœur règne entre eux. Personne n’oublie son rang et tous ont banni la gêne. (Page 383)

Impressions d’Orient et d’Arabie

éditions José Corti - Muséum National d’Histoire Naturelle. 2002

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