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Retour sur le Forum mondial de la langue française

Retour sur le Forum mondial de la langue française

Antonine Maillet et Amadou Lamine Sall

L’apparition surréaliste de ces deux monstres sacrés de la poésie a laissé bouche bée un public venu danser, slammer et se bécoter. Un moment fort qui bouscule les idées reçues : les respectables Anciens ont de la ressource !

12 juillet 2012
Antonine Maillet, Acadienne slammeuse !
Ph :Arnaud Galy - ZigZag

L’éloge des mots

Écoutez tous, petits et grands,

La vieille complainte que voici,

Enfouie,

Pétrie,

Bâtie

Par les petits,

Durant passé mille ans.

Des mots,

Cent mots,

Cent mille mots,

Encore chauds,

Germés en terre de France.

Mots de semence,

Mots de semaine, mots du dimanche,

Qui chantent et dansent

Puis se déhanchent,

Cent mille mots,

Rien que pour venir

Nous dire

Qu’il fait beau !

Des mots de gorge, des mots de gueule,

Des mots sortis tout seuls,

Tout frais, tout ronds,

Montés du ventre au cœur,

Pour faire rire ou pour faire peur,

Et finir

Par aboutir

Dans le gorgoton.

Des mots bouts-ci, bouts-là,

Le nez en l’air, la tête en bas,

Des mots châtiés ou mots tout croches

Qui doucement s’approchent

Et puis s’accrochent

A des pieds-de-vent

Pour sauter un océan.

Mais comme la terre est ronde,

Ils atterrissent au Nouveau Monde,

Un beau matin

De juin

Entre les sapins,

Et s’y installent comme chez eux.

La mer est verte, le ciel est bleu,

La vie est belle, ils sont heureux.

Que personne ne nous dérange !

On boit, on dort, on mange

À pleine goulée,

Debout, couchés, affalés,

Établis dans nos terres

En bordure de mer

Pour l’éternité.

Mais… un certain jour d’automne,

Alors que personne

Ne soupçonne

Que le temps vient de virer,

Souffle de l’est et du nordet

Un vent du large, un vent mauvais.

Et voilà les mots antiques

Pris de panique

Qui s’affolent,

Tricotent,

Et se collent

Les uns aux autres, face à l’ouragan,

Pour tenter

De sauver

Au moins l’accent.

Ils s’obstinent

Et s’agglutinent

Puis en plein désarroi

Laissent glisser dans la voix

Des laizes de mots

Nouveaux.

Un public venu écouter du slam, silencieux devant Madame Antonine Maillet !
Ph : Arnaud Galy - ZigZag

On s’agrippent à la tradition

Aux voyelles, aux consonnes, à l’intonation

Pour ne pas voir s’effacer

Les mots antiques :

Voir le grenier

Déloger l’attique ;

La nuque écraser le cagouette ;

L’étincelle éteindre la beluette ;

L’édredon bousculer la couette ;

Et les pigrouins

Disparaître dans les reins.

Voir même le râteau de l’échine

Tenez-vous bien !

Se transformer en épine

Dorsale.

Et la phale

Ne pensez point à mal, monsieur le cardinal

S’appeler dorénavant

Le devant

Et remplacer le jabot,

Cet ancien mot

Qui désignait,

Ne vous déplaise,

Ces choses que cache le corset.

Enfin la gorge… sortie du got,

Ce radical, ce premier mot…

La gorge avale en une seule goulée

Le gosier

Puis le gorgoton,

Et un peu plus bas, plus profond,

La gargamelle et la gargotière

Interloquée, attendrie, sans voix !
Ph : Arnaud Galy - ZigZag

Qui se disaient encore chez nos grands-pères.

Tant de mots partis au vent,

Mais qui sont restés

Fixés

Dans la mémoire

Des belles histoires

D’antan.

Des mots qui chatouillent

Et gargouillent

Et fouillent

Les reins et les cœurs ;

Des mots d’amour

Et de velours

Pour faire le tour

Des p’tits bonheurs.

Mais cette langue noble et vieille

Qui nous échappe,

Voilà qu’en cette nuit de veille,

On le rattrape

Dans un rap

À la mode du pays.

Le pays qui se chante,

Qui nous enchante,

Le pays de la vaillante

Acadie.

Acadie rap, râpeuse,

Rapace et rapporteuse,

Acadie mémoire

Du matin jusques au soir,

Acadie

De sur l’empremier

Enfin rapatriée

Pour entrer

Cette nuit…

Joyeuse,

Tapageuse

Et victorieuse…

En francophonie.

Antonine Maillet

Entourée par Grand Corps Malade et ses potes d’un soir !
Ph : Arnaud Galy - ZigZag

Amadou Lamine Sall, héritier de Senghor.
Ph : Arnaud Galy - ZigZag

Ma déclaration d’amour à la langue française

Toutes les langues sont belles… mais il en est une, déesse de feu au long corps d’érable, de chêne et de baobab, une langue qui enjambe océans et fleuves, chante sur les avenues, les chemins de brousse, dans des cabarets et des cases. Cette langue est une femme belle aux lèvres de café, aux yeux de sirop, aux mains de henné, à la bouche de vin de palme. Elle porte dans son ventre des enfants de toutes les couleurs. C’est une langue métisse, et le métissage culturel est l’avenir de notre civilisation. C’est une langue universelle, parce que langue de l’esprit et du cœur, langue de partage, langue de confiture et d’amour, de voyage et de bivouac. La langue française est une langue de pétulance au ramage multicolore, une langue de lune de miel et de soupirs, langue d’élégance, langue de cour, langue de frisson et de bravoure, langue de refus, langue de guépard et de gazelle, langue de galop, langue des lois et langue des rêves, langue d’éternité.

Comme telle, se décline également la Francophonie, espace linguistique de l’esprit, espace géographique du cœur. Cet espace est un espace de chair et de sang, ceinture fraternelle au service de la créativité. La langue française est notre maison, la Francophonie est notre famille, notre héritage, passé, présent et avenir confondus.

Il est heureux que la langue française comme l’espace qu’elle symbolise et nourrit portent toutes les deux la marque du féminin. C’est par delà tout l’éloge à la femme, celle par qui le monde naît et renaît. Chez nous en Afrique, la femme est le magister de la terre, car les ronces ne donnent pas de raisins.
En Afrique, nous ne sommes plus locataires de la langue française, mais copropriétaires !

« On ne peut vivre toute une vie avec une langue, l’étirer de gauche à droite, l’explorer et fureter dans ses cheveux et dans son ventre, sans que l’organisme ne fasse sien cette intimité »

Voici donc que le Québec nous reçoit, terre de poésie et d’honneur. « Je me souviens… » ! Nous devons tous nous souvenir, car c’est le passé qui porte le présent ; se souvenir veut dire ne pas renoncer à ce que l’on est. Nous voilà habitants d’un espace de tous les rêves et de tous les dons autour d’une langue que les dieux, les premiers, ont dû parler dés le frémissement de la terre.

La langue française est notre buisson ardent.

Réunis les tisons flambent, séparés ils s’éteignent. La Francophonie est notre grand feu de bois et la langue française ce soleil qui jamais ne se couche de Kinshasa à Port au Prince, de Rabat à Bujumbura, de Ndjamena à Beyrouth, de Tunis à Bamako, du Caire à Abidjan. « Aussi loin que l’on puisse regarder, notre belle langue ne disparaitra pas du paysage linguistique mondial ».

Ce n’est pas que le monde était triste que Dieu créa la France et nous envoya sa langue. C’est parce qu’autour d’une langue trempée, aguerrie, riche de toutes les saisons et venue du fond des âges, nous avions besoin de nous rencontrer, de nous découvrir, de nous parler, de nous connaitre, de nous aimer, de nous respecter, de proposer au monde une fraternité nouvelle, de bâtir ensemble un avenir pour nos enfants. Voila pourquoi nous avons choisi le français et que le français nous a choisis comme maison commune, comme un grand pont jeté sur le monde.

Jamais la langue française ne vieillira, car l’amour ne vieillit jamais. Telle restera la force invincible de la langue française, toujours visible, toujours élégante, toujours souriante, désirée désirante, conquérante, triomphante, toujours poreuse, toujours brûlante.

Nous nous sommes rencontrés et il est trop tard pour se quitter, car la femme est trop belle et nous avons déjà fait tellement d’enfants ensemble.

Notre Francophonie n’est pas un voisinage. Elle est un jardin commun. Nous cultivons le même champ. Nous logeons sous le même toit. Nous habitons ensemble une ville entière qui n’a qu’une seule rue et une seule maison, une seule adresse.

La langue française est devenue un lumineux panier de fruits, un mélange de cauris, de jasmin, de perles, de coquillages, de noix de coco, de jujubes, de magnolias, de bougainvilliers, d’oseille, de roses et de bambou ! Pour dire le parfum unique de notre langue commune.

Mettre en Francophonie les Français de côté et les maliens de l’autre, les Québécois de côté et les congolais de l’autre, c’est mettre les voitures d’un côté et les chauffeurs de l’autre.

En Francophonie, le lait à beau se vanter d’être blanc, le café le fera toujours déchanter, et le café aura beau se vanter d’être noir, le lait le fera toujours déchanter ! C’est cela également notre chance.

Devant un public bouche bée...
Ph : Arnaud Galy - ZigZag

La Francophonie est ce couple d’oiseaux dont parlait le poète, un couple où chacun a une seule aile et qui vole ensemble.
Qui pourrait égaler notre abondance de lumière et de force avec cette langue française qui a germé, conquis et charmé dans ses longs voyages la civilisation latine et grecque dont elle est l’enfant ?

Merci à Québec qui nous reçoit avec ce coeur plus grand qu’une cathédrale, en ce mois de juillet, juillet la saison des flamboyants et des manguiers en Afrique, saison que savait si bien chanter Senghor, le maître de langue.

La langue du Québec a toujours été et restera toujours pour moi « le soleil du cœur ». A une langue française habillée de tous les dons, le Québec, Miron à Vigneault, a greffé un rythme et des mots dont on aura du mal à égaler le goût et le parfum jusqu’aux lointains fruits du paradis.

C’est ici au Québec que la langue française regagne la lumière à chaque fois qu’elle prend le temps de s’attarder sur sa grandeur.

Oui, c’est dans les bras du Québec que la langue française fait ses plus beaux enfants !

Puisse la langue française reculer encore l’horizon dans une Amérique où elle s’affiche sans peur et avec panache.

La langue française sera comme un printemps jamais fini, parce que sa légende l’éclaire désormais pour toujours.

Je vous aime peuple d’une langue infinie.

Amadou Lamine Sall

Lauréat des Grands Prix de l’Académie française

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