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Michel Bühler, la chanson est l’objet d’art idéal !

Michel Bühler, la chanson est l’objet d’art idéal !

Extraits de « La chanson est une clé à molette » - Bernard Campiche Éditeur

"J’ai tenté de montrer que cet art de pauvres était un lieu de rencontre, de partage, porteur de mémoire, jamais innocent, capable de souder les foules, de réunir des amis... et c’est pour ça que je l’aime..."

30 juin 2011 - par Arnaud Galy 
 - © Lauren Pasche
© Lauren Pasche
Ph : Lauren Pasche

«  Je ne suis qu’un cri  » chantait Jean Ferrat, un Parisien exilé volontaire à la montagne. Michel Bühler, un montagnard suisse, exilé volontaire régulier à Paris, n’aurait aucun mal à reprendre l’affirmation. Un cri tout en douceur, tout en amour mais un cri quand même ! Cri passionné souvent jubilatoire, cri alarme, cri réveil... « La chanson est une clé à molette » dit combien « le Plus Petit Produit Culturel » a compté et compte encore plus que tout dans sa vie d’artiste. Usant d’exemples et d’anecdotes, remontant parfois à l’âge de pierre et du feu naissant dans les cavernes, Michel Bühler ne cesse d’argumenter. Il existe des chansons pour tout : aimer, quitter, faire la guerre ou déserter, décrire ou interpréter, construire ou détruire, rire ou pleurer... Qui mieux qu’une chanson accompagne les douceurs et les violences d’une vie ? Quel « produit culturel » est-il plus partageable, transportable, « archivable »... ? Michel Bühler n’a pas assez de mots, un comble !

Mais le cri d’amour est aussi un cri de colère. Un goutte d’eau a fait déborder son vase. Lors du Sommet de la Francophonie 2010, sur ses terres, à Montreux, il constate que le gala organisé par la télévision de la Suisse romande ne présente aucune chanson étiquetée « suisse ». Comme si la chanson francophone suisse était une exception marginale pas assez sexy pour figurer en bonne place. Colère ! Une colère tranquille, exprimée avec humour et dérision, ce qui ne la rend que plus puissante. Colère contre l’uniformisation qui guette ! Qui guette les jeunes chanteurs dans leur désir d’être célèbres et de vendre du disque pensant que hors de l’anglais point de salut ; qui guette les programmateurs qui cèdent avec une facilité déconcertante à la petite musique commerciale jouée par les maisons de disques ; qui guette l’auditeur qui n’est même plus choqué que la Suisse soit représentée au Concours de l’Eurovision par une chanson anglaise... et s’il n’y avait que la Suisse !

Derrière ce cri, lancé avec la bonhommie qui accompagne les convaincus honnêtes, se cache une critique acerbe d’une société qui ne semble plus capable de penser ensemble la solidarité entre les êtres et la diversité des cultures. Depuis sa douce Suisse privilégiée sur bien des plans, Michel Bühler parcours le monde à la dérive en homme libre, en guitariste, en artisan couturier des mots et des pensées. Histoire de vérifier que de la Palestine à Haïti, du canton de Vaud à Bali, de la Tunisie au Québec les hommes se ressemblent grâce à leurs différences ! Au risque d’entendre le copain d’un soir, Bolivien du Titicaca, lui réclamer agacé et agaçant : «  Tu ne connais pas une chanson de Michael Jackson ? ».


Ph : Lauren Pasche

EXTRAITS


On ne peut pas plaire à tout le monde, on peut choquer le public.

Dans ce domaine également, j’ai commencé très tôt.

Six ans, école enfantine. Le premier jour, dans le but de faire connaissance, la maîtresse avait demandé à ses petits élèves si l’un d’eux savait une chanson. J’avais immédiatement levé très haut mon bras, ce qui m’avait valu de me retrouver sur l’estrade, devant le tableau noir. Sérieux, sûr de l’effet que j’allais produire – j’avais déjà testé ma présence scénique sur la plupart des caissières et des vendeuses du village -, j’avais interprété d’un bout à l’autre ce qui était devenu mon grand succès : « Il était une boulangère. » Devant les yeux écarquillés de Mlle Birmann, je n’ai pas manqué un mot du refrain : « Elle a cassé la baleine de son corsage, Elle a cassé la baleine de son corset, Elle a cassé son parapluie, Tant pis pour elle, Et sur la gueule de son mari, Tant pis pour lui ! »

Riant sous cape, mes parents ont répondu à la convocation de l’institutrice... (page 32)


Dans les années septante

… Toute une jeunesse s’éveillait. Aux États-Unis, elle avait contesté la guerre du Vietnam, lancé le mouvement hippie ; une fissure était apparue dans l’Empire soviétique, avec le printemps de Prague ; en France avait fleuri le beau mois de mai ; la révolution tranquille était en passe de métamorphoser le Québec, et le Chili venait d’élire Allende.

Un monde nouveau était en chantier.

Chaque pays, chaque région, avec sa langue et son génie propre, apportait sa pierre à l’édifice. Pas de mouvement centralisé, non, pas d’hégémonie d’une culture sur les autres, toutes étaient les bienvenues, toutes étaient invitées à participer à un foisonnement créatif extraordinaire. Partout, la chanson était de la fête, et venait participer à ce bouillonnement. On entendait Dylan et Joan Baez, Vigneault, Leclerc, les Chiliens, les Cubains, les Portugais, les Catalans, les Wallons... En France, chaque province redécouvrait ses richesses, on chantait en occitan, en breton, en alsacien...

Dans ce contexte, il était tout naturel que l’on revendique son appartenance à la Suisse romande pour écrire des chansons, pour parler d’ici. C’est ce qu’a fait toute une génération d’auteurs-compositeurs, qui affichaient tranquillement leur origine valaisanne, jurassienne, fribourgeoise, vaudoise. J’étais de ceux-là.

Montrer à des amis lointains nos paysages, nos vies, nos personnages, rendre aux gens de chez nous une existence – oserai-je dire : une dignité ? - parce qu’on les raconte dans des couplets, voilà ce qui me guidait... et qui me pousse encore à écrire... (page 75, 76)


Combien de fois ai-je entendu :

Une chanson peut-elle changer le monde ?

Je ne pense pas. Ce n’est pas Vigneault, avec son superbe « Mon pays, ce n’est pas un pays : c’est l’hiver ! » qui est à l’origine de l’émancipation du Québec, ce n’est pas José Afonso et « Grâdola, vila morena » qui provoque la Révolution des œillets, ce ne sont pas Kessel, Druon, et leur « Chant des Partisans » qui chassent l’occupant nazi ! Et ce ne sont pas Boris Vian et son « déserteur », par ailleurs longtemps interdit sur les ondes, qui ont fait se retourner l’opinion publique contre la guerre d’Indochine, et provoqué la déconfiture de la France...

Mais ces chansons, et tant d’autres, ont accompagné les événements historiques, elles en sont devenues les symboles ; elles ont donné de la force et de la détermination aux femmes et aux hommes qui allaient agir.
La chanson comme un drapeau, comme un lieu de complicité, où l’on se retrouve. Comme le petit coup de gnôle que l’on se met derrière la cravate pour se donner du courage... (page 94, 95)


Faut-il instituer des quotas ?

Faut-il, par exemple, en Suisse romande, demander que 50% des chansons diffusées soient en Français, sur toutes les chaînes. Et que, pour assurer la diversité et l’ouverture aux cultures différentes, on n’y propose pas plus de 20% de rengaines dans la même autre langue ? Je pose la question.

Attention !
Dernier – énorme- panneau d’avertissement !

Demander que la moitié des chansons proposées soient dans la langue de chaque région, ce n’est pas du tout aller vers une fermeture aux autres ! Pas du tout ! Ce n’est pas s’approcher, même de très loin, des théories racistes et xénophobes de certain parti d’extrême droite, qui est un danger pour notre pays. Et que je ne cesserai de combattre ! Ses membres rêvent d’une Suisse qui tire à vue sur tout ce qui n’est pas blanc, chrétien, nationaliste. J’interdis à qui que ce soit d’entre eux, même q’il se prétend rappeur, même s’il a un catogan, de reprendre un seul de mes mots, pour nourrir sa propagande honteuse et faisandée !

Ce que je veux dire, c’est qu’il serait bien, d’abord, que l’on comprenne ce qui se raconte, et qu’on se rende compte que cela peut-être beau, ou important, ou – même ! - minable !

(Tiens, à propos... n’ayant peur de rien, j’ai regardé jusqu’au bout l’émission TV consacrée à la sélection de la chanson suisse, pour le prochain Grand Prix de l’Eurovision : neuf chansons sur douze en américain, et pas un mot sur le contenu ! Des commentaires sur la chorégraphie, les bottes d’une chanteuse, le trac d’un chanteur, mais rien sur les paroles, rien sur le sens !)

Ce que je veux dire, c’est qu’il conviendrait de se prémunir contre l’invasion d’une seule et unique culture, qu’il serait bien d’ouvrir nos fenêtres et d’aérer la maison en y accueillant, dans les mêmes proportions qu’on le fait pour le magnifique Tom Waits et ses collègues, et avec le même enthousiasme, des chansons venues du Kosovo, d’Irak, du Soudan, du Sri Lanka, du Vietnam, d’Algérie, de Bolivie, de Cuba, de Sibérie, de chez les Maoris de Nouvelle-Zélande, de Lugano et de Gerlafingen !

Faut tout expliquer ! Ah, là, là...
Bon. Fin du panneau. (page 189, 190)


Michel Bühler


« La chanson est une clé à molette »
Bernard Campiche éditeur - 2011

Lire l'article sur Michel Bühler - émission "le Passager" - TSR - 2009

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