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Géorgie - Retour sur l’année 2018

Géorgie - Retour sur l’année 2018

2 janvier 2019 - par Mirian Méloua 
Tbilissi - © Flickr - wogo24220
Tbilissi
© Flickr - wogo24220

Avant-propos

L’art de vivre en Géorgie fut longtemps un secret bien gardé, que les francophones - en particulier - évitaient d’ébruiter. Fin 1858, lorsque le baron Finot, Consul de France, accueille Alexandre Dumas à Tiflis, ce dernier imagine se reposer quelques jours et reprendre la route vers l’Orient : il y restera plusieurs mois. En 1995, lorsque Bernard Pivot débarque à Tbilissi, il imagine enregistrer un numéro banal de son émission télévisée « Bouillon de culture » : dans un contexte de résurgence de la culture française et devant l’accueil des Géorgiens, un numéro spécial est tourné et figure encore dans l’anthologie de l’audiovisuel français (1). Depuis le secret s’est éventé ; en 2017, la Géorgie a été visitée par 1,7 million d’Azerbaïdjanais et autant d’Arméniens, par 1,4 million de Russes et 1,2 million de Turcs ; en 2018, les statistiques sont encore plus fortes. L’année fut le théâtre de nombreux évènements, souvent plaisants comme la célébration du centenaire du retour à l’indépendance du pays et de la naissance de la première république, les multiples exploits des sportifs lauréats de médailles aux championnats d’Europe et du monde, une quantité jamais atteinte de bouteilles de vin exportées, de nouvelles inscriptions au patrimoine immatériel de l’humanité à l’UNESCO, parfois aussi moins plaisantes comme les gros yeux de l’Union européenne vis-à-vis du doublement des demandes d’asile dans l’espace Schengen. Pourtant l’évènement le plus singulier fut l’élection du 5e Président de la République, une femme, ancienne diplomate française, retournée au pays de ses ancêtres. L’histoire ne dit pas si la francophonie y gagnera : en tout cas, le pays qui avait accordé le droit de vote aux femmes en 1918 prend de vitesse une nouvelle fois bien des pays européens et nord-américains.

Une femme présidente de la République

Née en France, de parents géorgiens émigrés à la suite de l’invasion de leur pays par les armées de la Russie soviétique, Salomé Zourabichvili, se trouve confrontée à une série de situations paradoxales. La première est qu’elle a dû abandonner la nationalité française, comme son principal concurrent - Grigol Vatchadze, ancien diplomate soviétique - avait dû abandonner la nationalité russe : la Constitution géorgienne l’exige. La seconde provient du fait qu’elle s’est opposée à posteriori à la politique menée par Mikheil Saakachvili - ancien président -, qui l’avait nommée ministre des Affaires étrangères, et à son parti, devenus ainsi de rudes adversaires. La troisième situation paradoxale est créée par son principal soutien, Bidzina Ivanichvili - milliardaire enrichi en Russie, ex-Premier ministre - : au pouvoir depuis plusieurs années par l’intermédiaire de son parti, il attend la campagne électorale pour promettre l’effacement des dettes de 600 000 Géorgiens. Une autre situation paradoxale est consécutive à l’évolution constitutionnelle ; partie d’un régime présidentiel, la Géorgie aboutit progressivement à un régime parlementaire ; le président de la République joue un rôle protocolaire et représentatif, mais il commande aussi les armées nationales et garde un regard sur la politique étrangère. Enfin, dernière situation paradoxale, parmi les présidents de la République de l’histoire géorgienne (Gamsakhourdia, Chevardnadze, Saakachvili, Margvelachvili et Zourabichvili), seuls Saakachvili (ancien étudiant à Strasbourg) et Zourabichvili maitrisent la langue française, mais ne portent pas la nationalité française : Ivanichvili la porte (l’ayant acquise lors de ses années d’exil à Paris), sans vraiment maîtriser la langue française (2).


Salomé Zourabichvili, nouvelle présidente de Géorgie et son principal soutien Bidzina Ivanichvili

La France et la Géorgie

Les relations bilatérales entre la France et la Géorgie ont été marquées par la visite, le 26 mai, à Tbilissi, de Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, pour les cérémonies de célébration du centenaire de la restauration de l’indépendance et de la proclamation de la république, par l’entretien, le 4 juillet, à Paris, de Giorgi Gakharia, ministre géorgien de l’Intérieur et Gérard Collomb, ministre français de l’Intérieur, par la visite, le 11 novembre 2018, à Paris du Président géorgien Guiorgui Margvelachvili, pour les cérémonies du centenaire de l’Armistice de la Première Guerre mondiale et par l’entretien, le 7 décembre, à Paris, de Levan Izoria, ministre géorgien de la Défense, et Florence Parly, ministre française de la Défense. La France était représentée, le 16 décembre, à Telavi, par Nicolas Sarkozy, ancien président, à la cérémonie d’investiture de la nouvelle présidente de la Géorgie. Outre les questions de politiques étrangères, deux thèmes ont préoccupé la partie française, la lutte contre la criminalité organisée en France (plusieurs arrestations coordonnées par les services de sécurité des deux pays ont été opérées) et l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile, et un thème a préoccupé la partie géorgienne, l’extension de la défense anti-aérienne du territoire géorgien déjà équipée de matériels français (de nouveaux contrats ont été signés).

L’Union européenne et la Géorgie

Lors des consultations antérieures, votes ou sondages, l’opinion publique géorgienne s’est tournée vers l’Europe : les racines chrétiennes de son histoire – rappelées sur son nouveau drapeau national — en constituent selon elle le passeport. En droit, la Géorgie est associée à l’Union européenne depuis le 1er juillet 2016 et les citoyens géorgiens sont exemptés de visa pour entrer dans l’espace Schengen lors des séjours courts (moins de 90 jours) depuis le 27 février 2017. Dans les faits, la Commission européenne a mis en garde la Géorgie en décembre 2018 ; le doublement du nombre de demandes d’asile géorgiennes (9 680 sur les six premiers mois) d’une année à l’autre (4 770 sur les six premiers mois 2017) constitue pour elle un signal d’alarme ; elle attribue cette évolution aux Géorgiens restés au-delà de la durée autorisée, et participant potentiellement aux effectifs de l’immigration illégale. Les sanctions pourraient être financières pour la Géorgie et réglementaires pour les Géorgiens, comme la suppression de l’exemption. Les deux derniers Premiers ministres géorgiens, Guiorgui Kvirikachvili et Mamuka Bakhtadze, se sont empressés de calmer les inquiétudes de Bruxelles, arguant des dispositions prises par leurs ministres de l’Intérieur à la sortie du territoire géorgien. Mais la situation reste complexe (3).

La Russie et la Géorgie

Depuis la guerre russo-géorgienne d’août 2008 et l’annexion de facto de 20 % du territoire géorgien (Abkhazie et Ossétie du Sud) par l’administration russe, les relations diplomatiques entre les deux pays n’existent plus, à l’exception des négociations de Genève chargées de régler les conséquences sécuritaires et humanitaires de ce conflit ; leur 45e session s’est tenue le 14 décembre 2018 sous l’égide des Nations Unies et de l’Union européenne, non sans rappeler les positions antinomiques des deux parties, et l’importance du Mécanisme de réponse et de prévention des incidents (IPRM) ; dans ce cadre, la Mission de monitoring de l’Union européenne (EUMM) – présente sur le terrain avec 200 observateurs — a tenu sa 90e réunion à Ergneti (Géorgie), le 18 décembre 2018, afin d’entériner la libération de deux Géorgiens arrêtés par les autorités ossètes près des lignes de séparation.
En termes énergétiques (gaz, pétrole, électricité), la Géorgie s’est progressivement libérée de la dépendance énergétique russe créée à l’époque soviétique : elle a recours à ses propres ressources, à celles de l’Azerbaïdjan et de la Turquie. En termes touristiques, par le nombre de visiteurs, la Géorgie classe la Russie au 3e rang, après l’Azerbaïdjan et l’Arménie. En terme d’importation, la Géorgie classe la Russie au 2e rang derrière la Turquie (voire au 3e rang, derrière la Turquie et la Chine, certaines années). En matière d’exportation, la Géorgie classe la Russie au 2e rang, voire au 3e rang certaines années (à l’exception du vin pour lequel le principal marché demeure celui de la Russie). Concernant le transfert de devises, la Géorgie classe la Russie au 1er rang : la diaspora géorgienne y est forte de plusieurs centaines de milliers de personnes.
En terme de transit, la Géorgie autorise l’approvisionnement quotidien de l’Arménie par la Russie. Les camions de marchandises russes entrent sur le territoire géorgien par le poste-frontière de Kazbegui- Zemo Larsi (seul point de passage, le tunnel de Roki aboutissant en Ossétie du Sud, aujourd’hui coupée du reste de la Géorgie) et se dirigent ensuite vers le territoire arménien. Le gaz naturel russe transite également par le territoire géorgien grâce à un gazoduc spécifique aboutissant à Erevan. Toute interruption de service (intempéries ou accidents) impacte directement l’économie arménienne.

Le Saperavi, cépage qui fait la renommée du vin géorgien

Le vin

Les Géorgiens, comme d’autres peuples du Caucase ou du Moyen-Orient revendiquent l’origine du vin ; il est vrai que des chercheurs internationaux ont découvert sur leur territoire des récipients datant de 8 000 ans qui en contenaient des traces, peut-être jusqu’à de nouvelles découvertes plus anciennes, en Géorgie ou ailleurs. Les autorités géorgiennes ont fait du vin un objet de communication vers l’étranger, un axe de développement économique et une priorité pour les exportations. Durant les six premiers mois de l’année, la Géorgie a exporté 38, 2 millions de bouteilles vers 48 pays, ce qui correspond à un revenu de 90,3 millions de dollars, soit une progression de 21 % par rapport à la même période de l’année précédente (selon l’Agence nationale géorgienne du vin) : les principaux pays importateurs en ont été la Russie (24 millions), l’Ukraine (4 millions), la Chine (3 millions), le Kazakhstan (1,6 million) et la Pologne (1,5 million). Par ailleurs durant cette même période, 8,4 millions de bouteilles de brandy ont été exportées, en progression de 23 % par rapport à la même période de l’année précédente. Il convient de préciser qu’à côté de la vinification traditionnelle procédée dans des « kvevris » enterrés (sorte d’amphores) et délivrant un vin particulier (parfois nommé vin orange), s’est développée une vinification plus classique délivrant un vin de qualité au goût adapté à la consommation mondiale.

Le sport

Le sport est l’une des composantes essentielles de la société géorgienne, surtout lorsqu’il s’apparente au combat, individuel (lutte, judo, voire tennis… et échecs féminins) ou collectif (rugby), ou non (haltérophilie, football, basketball). La moisson de médailles pour l’année 2018 s’inscrit sur la trajectoire des années précédentes.
Remportent des médailles, en lutte libre, à Budapest, Geno Petriashvili (champion du monde), Avtandil Kentchadze (vice-champion du monde), Zurabi Iakobishvili et Elizbar Odikadze (classés 3e au Championnat du monde), en judo, à Bakou, Guram Tushishvili (champion du monde), Varlam Liparteliani (vice-champion du monde) et Amiran Papinashvili (classé 3e au Championnat du monde), en tennis, en Chine, Nikoloz Basilashvili (vainqueur du tournoi ATP et 21e au classement mondial), aux échecs féminins, en Slovénie, Nona Gaprindashvili (6e titre mondial féminin senior). En rugby, la Géorgie, championne d’Europe de 2e division, termine l’année 2018 à la 13e place mondiale, devançant des pays comme l’Italie et la Roumanie : la moitié de l’effectif potentiel de son équipe nationale (une cinquantaine de joueurs) œuvre en France, en TOP 14 ou en Pro D2. En haltérophilie, à Achgabat, sont médaillés Lasha Talakhadze (champion du monde), Irakli Turmanidze et Revaz Davitadze (3e au Championnat du monde) ; Talakhadze détient en outre le record du monde à l’arraché (220 kg) et à l’épaulé-jeté (263 kg), soit au total 477 kg. En football, la Géorgie disputera en 2019 les qualifications pour l’euro 2020, après avoir remporté son groupe de pré-qualification contre Andorre, le Kazakhstan et la Lettonie. En basketball, lors des éliminatoires pour la Coupe du monde 2019, la Géorgie bat Israël à deux reprises.
Chaque victoire et chaque médaille gagnées font l’objet d’articles, de photographies et de vidéos qui inondent les journaux, les chaînes de télévision et les réseaux sociaux, le sport constituant pour la Géorgie un facteur d’existence et de fierté, surtout lorsqu’elle bat des nations plus grandes – et parfois voisines. Même si ses champions s’expatrient, et prennent une autre nationalité (deux d’entre eux sont actuellement champions du monde de judo dans leurs catégories sous les couleurs de l’Espagne et de la Russie), leurs exploits sont regardés avec intérêt.

Les inscriptions au patrimoine de l’humanité (UNESCO)

Outre les 3 sites géorgiens déjà inscrits sur la liste du patrimoine de l’humanité et les 15 autres sites géorgiens inscrits sur la liste indicative, les trois éléments déjà inscrits sur la liste représentative du patrimoine culturel et immatériel de l’humanité (Le chant polyphonique géorgien, la méthode géorgienne de vinification à l’ancienne dans les « kvervris » et la culture vivante des systèmes d’écriture de l’alphabet géorgien), un nouvel élément a été inscrit le 1er décembre 2018, le « chidaoba » (lutte en géorgien) : il est très populaire et à l’origine de la passion des jeunes Géorgiens pour la lutte libre (5 médailles aux championnats du monde de ces dix dernières années).



Le tourisme

L’évolution des infrastructures de transport (aéroports, autoroutes et routes) (4), des infrastructures hôtelières (adaptées aux segments de clientèle les plus aisés) et le développement du logement chez l’habitant (souvent de qualité et répondant aux traditions d’hospitalité géorgienne) ont provoqué un fort développement du tourisme en quelques années. À côté de la clientèle professionnelle induite par les organismes internationaux implantés à Tbilissi et par les grandes entreprises internationales s’intéressant au développement économique du pays, à côté du tourisme de proximité provenant d’Azerbaïdjan, d’Arménie, de Russie et de Turquie, se développe un tourisme international (pays de l’Union européenne, Israël, États-Unis ..) qui conduit en juillet et août à une saturation des équipements d’accueil existant : un important effort est engagé afin d’augmenter le nombre de lits, non seulement dans la capitale, mais dans toutes les régions. Pour l’année 2017, la Géorgie avait accueilli 7,9 millions de voyageurs, dont 6,4 millions de visiteurs (16 053 Français) d’une journée ou de plus d’une journée. Au 1er décembre 2018, ces chiffres étaient déjà dépassés pour les 11 premiers mois de l’année, 8,1 millions de voyageurs, dont 6,7 millions de visiteurs (20 861 Français), selon l’Administration nationale géorgienne du Tourisme. Ces chiffres sont à rapporter au nombre d’habitants de la Géorgie, inférieur à 4 millions. Les autorités géorgiennes font du tourisme un axe de communication vers l’étranger, mais surtout une priorité du développement économique : il contribue au Produit intérieur brut du pays à hauteur de 6 à 7 % selon les années et est en nette croissance.


Libraire dans une rue de Tbilissi

La francophonie

Alexandre Dumas a illustré la chaîne des clercs qui avait tissé depuis le Moyen-Âge un tissu de relations entre la Géorgie et la France : il donna son nom de 2002 à 2011 à l’organisme de promotion de la langue française à Tbilissi. Bernard Pivot, quelques années après la chute du régime soviétique et quelques mois après la fin de la guerre civile, rouvrit à Tbilissi une fenêtre francophone vers l’Europe occidentale : il marqua une génération de jeunes Géorgiens aujourd’hui aux affaires.

L’Institut français de Géorgie s’inscrit dans cet héritage et est la pierre angulaire de la francophonie dans ce pays. Parallèlement, certaines écoles (École Marie Félicité Brosset, Collège Saint Exupéry) ou certains lycées (École française du Caucase, forte de 46 enseignants et de 370 élèves) et certaines universités effectuent la promotion de la langue française, qui reste une langue d’étude et de culture. Le mois de la francophonie, en mars, a touché la capitale géorgienne, mais aussi certaines métropoles de province comme Batoumi : projection de films français, conférences, animations s’y sont succédé. Le 26 mai un accord intergouvernemental était signé à Tbilissi ayant pour objectif la création d’une université franco-géorgienne à horizon 2020, dans les domaines du tourisme, de l’agriculture et de l’informatique, réunissant d’une part l’Université Rennes 1, l’INSA de Rennes, SupAgro de Montpellier, les universités Lyon 2 et Paris 8, d’autre part l’Université d’État de Tbilissi et l’Université technique de Géorgie (5).


Notes
(1) « Bouillon de culture, Spécial Géorgie » par Bernard Pivot https://www.imdb.com/title/tt4686564/?fbclid=IwAR1-PWcFCXW_49MM-BnKkqaunbQpX904c6Wj7neGveVzxXYCOSJr5AXRInU
(2) Regards sur l’Est. Géorgie : analyse de l’élection présidentielle 2018 http://regard-est.com/georgie-analyse-de-lelection-presidentielle-2018
(3) Commission européenne : deuxième rapport dans le cadre du mécanisme de suspension de l’exemption de visa https://ge.ambafrance.org/Commission-Europeenne-deuxieme-rapport-dans-le-cadre-du-mecanisme-de-suspension
(4) Tbilissi, nouvelle destination d’Air France https://ge.ambafrance.org/Tbilissi-nouvelle-destination-Air-France
(5) Université franco-géorgienne https://institutfrancais.ge/fr/page/universit-franco-gorgienne/


Pour en savoir plus :
Francophonie en Géorgie https://fr.wikipedia.org/wiki/Francophonie_en_Géorgie
Institut français de Géorgie https://fr.wikipedia.org/wiki/Institut_français_de_Géorgie
École française du Caucase https://fr.wikipedia.org/wiki/École_française_du_Caucase
Relation scolaire et universitaire entre la France et la Géorgie https://fr.wikipedia.org/wiki/Relation_scolaire_et_universitaire_entre_la_France_et_la_Géorgie

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