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Le Français, quelle histoire !

Le Français, quelle histoire !

Julie Barlow et Jean-Benoît Nadeau... le couple qui donne la pêche !

Un livre qui bat en brèche les arguments des « déclinologues » qui ne cessent de prévoir un avenir sombre à la langue française et à l’idée de francophonie. Régénérant et documenté !

16 juin 2012 - par Arnaud Galy 

Jean Benoît Nadeau et Julie Barlow ont écrit une somme rythmée qui se lit sans pesanteur. Ils offrent et décortiquent moult statistiques ou faits historiques et brossent une nuée de portraits qui battent en brèche les arguments des « déclinologues » qui ne cessent de prévoir un avenir sombre à la langue française et à l’idée de francophonie. Leur mot d’ordre à l’adresse des francophones est simple : Créez et cessez de vous flageller ! C’est en tout cas, ce que la rédaction de ZigZag a retenu de ce livre... à vous de juger !


Entretien avec Jean-Benoît Nadeau

Un duo qui n’engendre pas la mélancolie !
Photo : Collection JBN et JB

Il souffle un vent d’optimisme et j’ose dire « de foi laïque » tout au long de votre livre. Il est régénérant ! Comment est-il né ?

Avec Julie, nous avons beaucoup cherché et on s’est beaucoup perdus ! Plus sérieusement, vous savez ce livre a d’abord été publié en anglais, en 2006. À la suite de la parution nous avons participé à de nombreuses conférences et discussions qui nous ont permis d’approfondir nos angles et nos visions. Quand Télémaque, l’éditeur français, a décidé de nous publier, j’ai voulu réécrire des pans entiers pour y intégrer cet approfondissement et de nouvelles statistiques. La motivation première était que nous pensions que la France résistait à la mondialisation et nous cherchions pourquoi... mais nous nous sommes rendus compte que la France ne résistait pas du tout à la mondialisation ! Qu’elle était même au cœur de cette mondialisation grâce à sa langue. La langue française est un phénomène qui dépasse la France. Nous avions l’intuition qu’il fallait faire une anthropologie de la langue, étudier la centralité de Paris, interroger la politisation de la culture, définir les actes fédérateurs... N’oublions pas que la langue française s’est découplée de la France il y a 1000 ans, qu’elle s’est exportée très tôt et que son histoire est très liée à l’Histoire tout court !

Vous pensez que les Français n’en sont pas assez conscients ?

Pour beaucoup, sans doute. Nous n’avons pas voulu écrire un livre angélique mais les faits sont là ! Le désamour des français pour leur langue est un sujet d’étude à lui seul ! Nous avons considéré les faits : Par le passé le français a été une langue européenne parlée dans toutes les cours royales puis a été la langue de la bourgeoisie. Aujourd’hui, il est toujours une langue européenne mais aussi africaine et son influence dans le commerce, l’industrie ou la diplomatie ne se dément pas. Je prends deux exemples : Celui du rôle joué par Paris, Strasbourg et Bruxelles dans la vie de l’Union Européenne. Ce sont trois villes phares et trois villes à la base francophone.Autre exemple, regardez les flux des traductions de l’UNESCO, l’anglais est en tête mais le français est deuxième. Des grandes langues parlées dans de grands pays comme le russe, l’espagnol ou le japonais sont loin derrière. Il est faux de prétendre que le français recule ! Il est parlé par de plus en plus de personnes dans le monde, c’est un fait statistique ! De plus en plus de francophones de langue maternelle et de plus en plus d’apprenants...

Comment expliquez-vous ce malentendu ?

Il y a toujours eu en France un genre littéraire de type « apologie de la France », de son génie et de sa beauté. Mais depuis la révolution française, un autre genre s’est développé : la critique outrancière. On dit n’importe quoi pour rabaisser la France ! Ces déclinologues professionnels alimentent un masochisme qui touche l’économie ou la culture et par ricochet la langue. Si je devais faire une thèse, je prendrais ce sujet là : l’outrance. Derrière cette outrance, se cache un discours subliminal, peu avouable. C’est la peur de la perte de la centralité de Paris et de la France. Dans les décennies qui viennent la langue française vivra d’abord en Afrique ! Ceux que cette perspective dérange disent que le français est en mauvaise santé. Le malentendu vient aussi, en partie, du fait de la domination des médias anglophones dans le monde. Médias qui véhiculent leur propre vision du français, de la France et de la Francophonie qui finit par atteindre les français eux-mêmes. Des tas d’idées fausses et de clichés sont véhiculés. L’amour-haine développé par les anglophones vis à vis du Français vient du fait que le latin de l’anglais est le français. Je m’explique : les Français ont développé leur langue en opposition au latin et les Anglais ont défini leur identité en opposition au français. 30 à 40% de la langue anglaise viennent du Français, à tel point que les Anglais lisent bien mieux l’ancien français que les français eux-mêmes. Les anglophones vivent d’une manière symbiotique avec le français depuis 1000 ans et ils développent une francophilie couplée à une francophobie... d’où la persistance de clichés ou d’idées fausses reprisent par les déclinologues français !

Ne pensez-vous pas que beaucoup confondent la France, la langue française et la notion de francophonie ?

Sans doute. Vous savez, par le passé la langue française est devenue internationale car la France avait de multiples ambitions : politique, économique et culturelle. La France produisait de l’attraction. Mais aujourd’hui, la francophonie a bousculé le point d’équilibre ! Dans bien des cas, la langue française s’est substituée à la France. On assiste à une multiplication des réseaux : Des Québécois participent à des projets de développement avec des Algériens ; des Vietnamiens et des Sénégalais engagent des programmes autour de la plantation du riz ; la constitution de l’Ile Maurice a été écrite avec le soutien de juristes du Nouveau Brunswick ! Paris ou même Bruxelles ne bénéficient plus automatiquement de leur histoire et du rôle d’intermédiaire. La France n’est plus seule à produire des normes et de l’attraction, la Francophonie avance et cela fait grincer les dents des conservateurs.

Conservateurs qui, selon vous, freinent la mise en place de l’énergie francophone ?

Certaines personnes font beaucoup de commentaires sur l’idée qu’ils se font de la langue et non sur la langue elle-même ! La notion de pureté est idiote. Ceux qui pensent que la pureté est intrinsèque à la langue ont tout faux. La langue a toujours été traitée avec désinvolture. Qui fait la langue française d’aujourd’hui ? L’ Académie Française ou la jeunesse de Kinshasa ? Ni l’un, ni l’autre car la première est une rigolade qui n’en a pas la compétence et la seconde ne produit pas assez de normes pour être écoutée. Mais ces deux champs si éloignés l’un de l’autre prouvent que la langue pure est un faux débat. Nous devrions tous nous réjouir que les langues internationales soient exploitées et traitées de multiples manières, l’enrichissement vient de là ! Un Français, un Québécois et un Congolais tripotent la langue différemment et tant mieux ! Les Américains et les Anglais écrivent-ils de la même manière ? Non. Pour revenir à votre question, le conservatisme et la déclinologie ne sont pas les meilleurs outils pour affronter l’avenir !

Malgré tout, vous êtes optimiste, la langue française et la Francophonie sont donc plus qu’un cailloux dans la chaussure de la marche du monde ?

La décontraction n’est pas un défaut !
Photo : collection JBN et JB

Bien entendu ! Le français est incroyablement enseigné dans le monde. 120 millions de personnes qui n’ont pas le français comme langue maternelle l’apprennent. A part l’anglais, quelle autre langue peut se vanter d’un tel succès ? Aucune ! Pas l’allemand, pas le chinois, pas le russe, pas l’arabe... pas même l’espagnol ! Aux États-Unis, aujourd’hui, la langue qui monte est l’espagnol mais le français reste au même niveau, il ne baisse pas. Au-delà de l’enseignement, ne perdons pas de vue le rôle des individus. La franco-sphère est vivante. Les réseaux professionnels et artistiques sont actifs, échangent et communiquent. L’attraction de la langue française et de l’espace francophone sera d’autant plus grand que les individus qui l’utilisent et qui y vivent seront créateurs de valeurs. Les découvertes scientifiques, les idées politiques nouvelles, les systèmes économiques de l’avenir et la création artistique sont pourvoyeurs de curiosité et d’intérêt. Si les francophones sont inventeurs et créateurs de valeurs, les autres apprendront le français pour avoir accès à la modernité. Cela a été vrai dans le passé, c’est ce que nous racontons dans le livre, et ce sera vrai dans l’avenir. Il ne faut pas virer fou et dire à tout bout de champs « protégeons le français, protégeons le français... » Il faut avant tout que des gens parlent en français, créent en français, réfléchissent en français et aient de l’ambition pour eux-mêmes. La langue n’est qu’un outil ! Le français d’aujourd’hui n’est pas le même que celui parlé il y a deux siècles et n’est pas le même que celui qui aura cours dans deux siècles. Lisez Montaigne ou Villon dans le texte original et vous verrez ! En 2000 ans, l’espace qu’on appelle la France aujourd’hui a changé 3 ou 4 fois de langues... et alors !? Dans deux siècles, nos descendants auront bien du mal à lire Houellebecq ! Alors, ne nous flagellons pas, les Français, les francophones et les gens qui parlent le français font ce qu’ils veulent de la langue... et font ce qu’ils veulent de leur vie. Certains, les plus ambitieux, les plus intelligents, les plus talentueux ou les plus créatifs produiront des faits qui porteront la langue vers des horizons qu’on ne soupçonne pas. Comme toujours ! C’est l’histoire de la langue...

Le français, quelle histoire !

Le français, quelle histoire !
Jean-Benoît Nadeau & Julie Barlow
- éditions Télémaque - 2011

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