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Pologne - Retour sur l’année 2016-2017

Pologne - Retour sur l’année 2016-2017

La droite conservatrice remporte les élections législatives. La Commission et le Parlement européens critiquent les atteintes à la démocratie constitutionnelle en Pologne. À Varsovie, le sommet de l’OTAN décide du déploiement de quatre bataillons multinationaux en Pologne et dans les pays baltes. À l’occasion des Journées Mondiales de la Jeunesse à Cracovie le pape François exhorte les Européens à accueillir des réfugiés.

31 octobre 2016 - par Józef Kwaterko 
 - © Flickr- Jorbasa Fotografie
© Flickr- Jorbasa Fotografie
Ambiance décontractée pour des paroles fortes aux JMJ (Ph : Flickr - Ministère Affaires étrangères PL)

POLITIQUE

Après la victoire du conservateur Andrzej Duda aux présidentielles en mai 2015, le parti nationaliste et eurosceptique Droit et Justice (PiS) a remporté les élections législatives le 25 octobre avec 38 % des voix en devançant les libéraux centristes de la Plateforme civique (PO) qui, avec 23,4 % des voix, se sont montrés usés par huit ans au pouvoir et affaiblis par le départ à Bruxelles de leur leader charismatique, Donald Tusk, aujourd’hui président du Conseil européen. Pendant la campagne électorale PiS a misé sur une allocation familiale de 500 zlotys (117 euros) par mois à partir du second enfant (entrée en vie depuis janvier 2016), la baisse de l’âge de la retraite à 60 ans pour les femmes, 65 ans pour les hommes (aujourd’hui à 65 et 67), les médicaments gratuits pour les aînés de plus de 75 ans et l’introduction d’un SMIC horaire. Ces promesses des aides sociales, estimées très coûteuses (autour de 14 milliards d’euros annuellement) ainsi que la politique de taxation des hypermarchés et des banques ont fortement joué dans ces législatives à l’issue desquelles la gauche a été éradiquée du Parlement, restée en dessous du seuil requis. L’apparente gagnante de ces élections dont la participation s’élevait seulement à 51,6 % est Beata Szydło, devenue Première ministre.

Elle doit toutefois sa nomination à Jarosław Kaczyński, le chef du PiS (et ancien Premier ministre) qui depuis trente ans anime le courant ultraconservateur de la droite polonaise. Jarosław Kaczyński a choisi cette fois de rester en retrait, mais il est, de l’avis de beaucoup, le véritable dirigeant de la Pologne auquel le président de la République, son allié et ancien élu du PiS, ainsi que les présidents de deux chambres du Parlement et tous les ministres doivent tout. La position de force du PiS lui permet de gouverner tout seul grâce à la majorité absolue au Parlement, mais sans les deux tiers de sièges nécessaires pour modifier la constitution. Afin de contourner cette contrainte et contrôler tous les leviers du pouvoir, PiS a fait voter en décembre 2015 une réforme controversée du Tribunal constitutionnel qui modifie les conditions de nomination des juges et la durée de leurs mandats. Ratifiée de façon expresse par le président Duda, cette réforme, dite « réparatrice » permettait l’entrée en fonction de cinq nouveaux juges, nommés par le nouveau gouvernement, avant l’expiration du mandat de trois de leurs prédécesseurs, nommés légalement par l’ancien gouvernement. En réponse, le Tribunal constitutionnel a jugé que la nomination de trois des cinq nouveaux juges était illégale et a invalidé des éléments de la réforme relatifs à son propre fonctionnement et sa composition. Or, le gouvernement a refusé de divulguer officiellement ce jugement le taxant de « politique ». En résultat, la situation est bloquée, le gouvernement reconnaît « ses » cinq juges que le Tribunal ne reconnaît pas. En juillet, le gouvernement a refusé de publier un second arrêt du Tribunal où celui-ci a jugé comme anticonstitutionnelle une version amendée de la réforme de décembre, déposée dans la précipitation pour tenter de rassurer les alliés occidentaux la veille de l’ouverture du Sommet de l’OTAN à Varsovie. En résultat, la Pologne est plongée dans une crise constitutionnelle unique depuis le retour à la démocratie en 1989.


Andrzej Duda face au peuple ! (Ph : Flickr - Platform obywatelska)

D’autres mesures qui entravent les droits constitutionnels ont été adoptées à la va-vite, sans consultation sociale, tout au long et l’hiver et du printemps : une loi sur les médias publics qui donne au gouvernement tous les pouvoirs et qui a entraîné d’importantes purges à la radio et la télévision en les transformant en institutions culturelles « nationales » (placées sous la responsabilité d’un nouveau Conseil des médias nationaux), une seconde sur les services secrets qui donne à celles-ci des compétences inédites menaçant les libertés publiques et une troisième sur la justice qui fusionne les postes du ministre de la Justice et de procureur général. Le ministre a désormais la prérogative de nommer et de révoquer les procureurs à sa guise et, par là même, de mettre au pas le parquet. En plus, le président Duda a refusé sans aucun motif apparent d’affecter à leur fonction dix nouveaux juges désignés par le Conseil National de Juridiction. Ce cul-de-sac et la paralysie du Tribunal constitutionnel ont provoqué un conflit ouvert entre d’une part le gouvernement et un président de la République qui entérine les nouvelles lois en apportant un soutien inconditionnel à la ligne autoritaire du PiS et, d’autre part, les juristes, la Cour Suprême, la Fondation d’Helsinki des droits de l’homme et plusieurs organisations nationales de juges dont les représentants réunis début septembre en une assemblée extraordinaire ont voté une motion qualifiant les lois votées par le nouveau parlement et les mesures prises par l’exécutif de « coup d’État rampant » qui met fin aux fondements de l’État de droit et à la démocratie constitutionnelle.

Les nouvelles législations et réglementations adoptées par la majorité au pouvoir ont soulevé de vives réactions de la part de Bruxelles. Le gouvernement polonais n’a pas pris en compte les recommandations de la Commission de Venise, un conseil d’experts juridiques en questions constitutionnelles, de respecter l’indépendance du Tribunal et de promulguer ses arrêts. En juillet, la Commission européenne a entamé à l’égard de la Pologne une procédure inédite de surveillance du respect des principes de l’État de droit. Si l’exécutif polonais n’élimine pas les obstacles au fonctionnement du Tribunal constitutionnel et aux libertés publiques, cette procédure pourrait aboutir à des sanctions comme une suspension des droits de vote au sein de l’UE.
En juillet, venu au Sommet de l’OTAN à Varsovie, le président Barack Obama a confirmé la décision de l’Alliance de renforcer son flanc oriental face à la Russie en déployant quatre bataillons multinationaux en Pologne et dans les pays baltes. Il a saisi cette occasion pour signaler au président Duda, lors d’une conférence de presse, son inquiétude face à la crise politique autour du Tribunal. Enfin, le 14 septembre, le Parlement européen a voté pour une seconde fois (après ses recommandations sur la sortie de la crise constitutionnelle en avril) une résolution constatant que « la paralysie du Tribunal constitutionnel menace la démocratie, les droits fondamentaux ainsi que l’État de droit en Pologne » et enjoignant à Varsovie, qui remet en cause la légitimité de la Commission européenne dans ce dossier, de résoudre la crise prolongée avant la fin octobre en respectant la légitimité des jugements rendus par le Tribunal et les droits fondamentaux inscrits dans les traités de l’UE.



SOCIÉTÉ

La dérive autoritaire du PiS, qui ressemble à la politique du Fidesz et du résident Victor Orbàn en Hongrie, a soulevé de vives réactions parmi les libéraux et la gauche, donnant lieu à des manifestations dans les plusieurs grandes villes de Pologne. Le 7 mai, à l’occasion de la Journée de l’Europe, un nouveau mouvement social, le Comité de défense de la démocratie (KOD), a rassemblé à Varsovie autour de 250 000 personnes, venues de toute la Pologne manifester leur attachement aux valeurs européennes et appeler le gouvernement au respect de la Constitution et au dialogue social. Cette large mobilisation a suivi un appel, lancé fin avril par trois anciens présidents de la République, le chef historique de Solidarité Lech Walesa, Aleksander Kwasniewski et Bronislaw Komorowski, au « rétablissement de l’État de droit démocratique » et contre l’isolement de la Pologne sur scène internationale. KOD organise l’opposition citoyenne en s’engageant sur d’autres thèmes : pour le rétablissement du financement de l’IVG (une nouvelle loi vient de le supprimer complètement), pour l’arrêt des abattages forestiers dans Bialowieza, le vaste massif de la dernière forêt primaire du continent (classée au Patrimoine mondial et réserve de biosphère par l’UNESCO), contre la soumission des fonds à la culture et à l’éducation à une « politique historique » révisionniste et mégalomane.
Dans le dossier de la crise migratoire, il donne son soutien à l’accueil des réfugiés du Proche-Orient et d’Afrique du Nord alors que le nouveau gouvernement, à l’encontre des engagements pris par l’ancien, refuse le système de quotas européens, en proposant en échange une aide financière et humanitaire au pays de ces régions. Cette proposition reste en divergence flagrante avec le discours du pape François, venu en juillet aux 31es Journées Mondiales de la Jeunesse à Cracovie. À la messe finale qui a réuni autour de 1,5 million de jeunes du monde entier, ce pape charismatique n’a cessé d’exhorter les jeunes catholiques à assumer leurs responsabilités envers les migrants et à s’engager et d’agir dans « un monde en guerre ».


Danger pour Bialowieza, le vaste massif de la dernière forêt primaire en Europe (Ph : Arnaud Galy - ZigZag)

CULTURE-SCIENCE

Malgré les crispations qui partagent la Pologne, la culture reste lieu ouvert, de libre pensée et de croisement d’esthétiques et d’expériences rebelles à toute politique identitaire. C’est dans cet esprit d’ouverture à l’échange que le Pavillon polonais à la Biennale de Venise a montré de juin à novembre 2015 sur un grand écran panoramique l’enregistrement d’une mise en scène à Cazale en Haïti de Halka un opéra romantique polonais de Stanislas Moniuszko joué pour la première fois en 1848. Cazale est un village haïtien où vivent les descendants des soldats polonais que Napoléon Bonaparte a envoyés à Saint-Domingue pour étouffer la révolte des esclaves. Les jeunes Poloné Aiysiens du village (Mulâtres aux yeux bleus) ont activement participé à ce projet interculturel qui raconte l’histoire d’un échec amoureux sur un double fond historique : le sort d’une jeune paysanne polonaise abandonnée par un fiancé de classe noble trouve son pendant « caribéen » dans le poème national haïtien, Choukoune, écrit par Oswald Durand en 1883, où un jeune paysan noir est délaissé par sa fiancée mulâtre qui lui préfère un «  ti Blanc » de la ville.


Halka un opéra romantique polonais de Stanislas Moniuszko (Ph : Damas Porcena aimablement prêtée par la Galerie Nationale « Zacheta » de Varsovie.)

Sur le même sujet, lire dans Agora l’article écrit par Sara del Rossi.


Les Haïtiens - le groupe « Chouk Bwa Libète » qui pratique mizik rasin (« musique des racines ») et qui chante en créole -, sont également présents au Festival «  À la croisée des cultures » fin septembre à Varsovie. On assiste aussi à une grande effervescence de l’activité théâtrale. Après le triomphe du Théâtre National de la Colline (Lorient-Paris) avec l’adaptation de Fin d’histoire de Witold Gombrowicz aux Rencontres des théâtres nationaux en octobre 2015 à Varsovie, deux metteurs en scène de renommée internationale, Krystian Lupa et Krzysztof Warlikowski, ont porté à la scène respectivement un roman iconoclaste de l’Autrichien Thomas Bernard, Des arbres à abattre : Une irritation (Holzfällen), qui partira en tournée encore cette année en Corée du Sud et au Japon, et Les Français, une adaptation de la « Recherche » de Proust, inscrite dans le contexte d’une Pologne nationaliste et xénophobe (elle sera jouée à partir de novembre au Théâtre national de Chaillot, à Paris).

Depuis plus d’un an, les spectacles d’une nouvelle troupe qui se nomme en français «  Le bordel artistique » et qui a déjà donné trente shows intitulés « Pożar w burdelu » (« L’incendie dans un bordel ») apporte une grande bouffée d’air frais à Varsovie. Il s’agit d’un cabaret politique qui, à travers un mélange de l’art et du kitsch et sous forme d’une «  chronique sociale », pratique la dérision et une subversion diffuse vis-à-vis de tous les événements d’actualité, là où les mythes nationaux et les bribes d’un discours clérical et ringard s’entrechoquent avec les mythologies consuméristes des nouvelles élites corporatistes à l’affût de la nouveauté.
Pour ce qui est des manifestations culturelles francophones, notons la participation de Lionel Trouillot, Tahar Ben Jelloun, Boualem Sansal, Nédim Gürsel et Pierre Assouline aux Foires internationales du livre en mai à Varsovie ; une rencontre « la Bande dessinée – une histoire belge  » et ateliers BD organisés en octobre 2015 à Varsovie par la Délégation Wallonie – Bruxelles ainsi que la parution d’un important numéro spécial sur la littérature québécoise (nº 2-3/2016) de la revue bimensuelle Literatura na swiecie (Littérature dans le monde) avec des extraits des œuvres traduites en polonais (Réjean Ducharme, Jacques Poulain, Yolande Villemaire, Nelly Arcan, Régine Robin, Dany Laferrière, Émile Ollivier, Sergio Kokis) et de nombreux commentaires critiques dont un entretien avec Dominique Garand, professeur à l’Université du Québec à Montréal, sur le roman québécois contemporain. Parmi les événements académiques, signalons deux conférences internationales d’envergure : « L’Europe et ses intellectuels », organisée du 30 mai au 2 juin par l’Institut d’études romanes et le Centre de civilisation française et d’études francophones pour marquer le bicentenaire de la fondation de l’Université de Varsovie, et le 7e Congrès de l’Association polonaise d’études canadiennes, « Le Canada et les guerres », organisé du 19 au 21 mai à l’Université Nicolas Copernic de Torun.

Jozef Kwaterko
Professeur titulaire
Université de Varsovie
courriel : kwaterko@uw.edu.pl

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