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9 ans de guerre en Ukraine : abandonner le "tout russe" ?

9 ans de guerre en Ukraine : abandonner le "tout russe" ?

24 juin 2023 - par Olesia Tytarenko 
 - © Aviviad - Pixabay
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Mardi, c’est la journée de la langue russe”, ce message apparut sur le compte de l’ONU le 6 juin, le jour de la destruction du barrage de Kakhovka, où selon les données du Ministère des Affaires intérieures, 1800 maisons, 37 villes et villages ont été inondés. La communauté ukrainienne, résidant dans le pays et à l’étranger, n’a pas apprécié cette “impartialité statutaire” et quelques jours plus tard, a organisé une manifestation devant la représentation de l’ONU à Kyiv. L’ombudsman, le président du Parlement, le porte-parole du Ministère des Affaires étrangères, les journalistes et d’autres représentants de la société civile, à leur tour, via les publications sur les réseaux sociaux ont semblé également demander à la communauté internationale : la diversité culturelle est-elle devenue plus importante que l’écocide et la guerre ? Paradoxalement, la même question se pose aujourd’hui en Ukraine. La culture et la langue russe, ont-elles le droit d’y exister ? Même si pas directement liées au “rachisme” et à l’agression militaire ?

En 1989, deux ans avant la chute de l’URSS, la République socialiste soviétique d’Ukraine a adopté la loi, qui a donné à la langue ukrainienne le statut d’État et à la fois a reconnu la valeur de toutes les langues nationales. Selon ce document, la langue russe a été reconnue comme la langue de communication internationale entre les peuples de l’URSS. Pourtant, le choix de la langue “quotidienne” restait un droit inaliénable de tous les citoyens de la république. Le linguiste ukrainien Taras Marusyk raconte qu’en 1991, après que la langue ukrainienne a reçu le statut de langue d’État en 1989, des programmes pour son fonctionnement ont commencé à être développés. Au début, c’était un programme de dix ans, puis un programme de cinq ans a été introduit. Ils se sont terminés le 31 décembre 2010. À l’avenir, pas un seul gouvernement, à commencer par le gouvernement d’Azarov, n’a accepté de programmes linguistiques. Sous la présidence de Petro Porochenko et après de Vladimir Zelensky, la situation a changé. Tout d’abord, en réponse à la demande de la société civile, dont les demandes ont été satisfaites législativement.

En 2019, le président Porochenko a signé la loi garantissant le statut de l’ukrainien en tant que seule langue d’État, obligatoire pour les autorités de l’État et les sphères publiques dans tout l’État. Cependant, comme auparavant, les dispositions de la loi ne s’appliquaient pas à la langue de communication personnelle et aux rites religieux.

Dans la pratique, les normes de cette loi ont été introduites en Ukraine par étape
En 2020-2021, par exemple, l’ensemble du secteur des services et de la publicité, le tourisme, la culture, l’édition de livres, étaient censés, selon cette loi, passer à la langue ukrainienne. Il est également intéressant de noter qu’à partir de 2021, le test de langue ukrainienne est devenu obligatoire pour les fonctionnaires et les candidats à la citoyenneté. En été 2022, quelques mois après l’invasion russe, les journaux, les magazines et les publications en ligne ont été touchés par des changements similaires. En outre, le commissaire à la protection de la langue d’État a reçu le droit d’infliger des amendes aux contrevenants à la loi, principalement des fonctionnaires et des hommes d’État. Soit dit en passant, l’amende maximale pour une infraction primaire à la loi est d’environ 211 euros.
Avant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, les détracteurs de la nouvelle législation se sont plaints que les autorités ukrainiennes opprimaient ainsi la langue russe et son utilisation en Ukraine. La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a alors qualifié la loi de "décision qui intensifie la scission dans la société", dont le but est "l’ukrainisation forcée.”

Cependant, le statut officiel de la langue russe en Ukraine n’a pas changé. Seules les positions de la langue ukrainienne se sont renforcées, ce qui, entant que seule langue d’État du pays, est assez logique.
Le russe, comme le hongrois et le roumain, selon la Constitution, est aujourd’hui considéré en Ukraine comme la langue d’une minorité nationale. Jusqu’en 2018, il avait également le statut de régional, mais après la reconnaissance de la loi "sur les fondements de la politique de la langue d’État" comme inconstitutionnelle et la série de décisions au niveau régional, il ne l’est plus.

Il est intéressant à noter que selon les derniers sondages de l’Institut international de sociologie de Kyiv, 84 % des Ukrainiens estiment n’avoir aucun problème à utiliser la langue russe. Selon une autre enquête, celle du Centre Razumkov, au printemps 2023, le nombre d’Ukrainiens qui utilisent la langue ukrainienne dans la vie quotidienne est passé à 71 %. En 2022, ce chiffre était de 64 %.

Mais il est aussi impossible de dire que la tendance à passer à la langue ukrainienne est nouvelle pour l’Ukraine. Selon le linguiste Taras Marusik, "les gens, la jeune génération, se sont débarrassés du complexe "stimulé" par les autorités soviétiques”. Beaucoup de mes connaissances à Kyiv, en particulier, parlaient ukrainien à la maison, mais quand ils franchissaient le seuil de leur porte, ils passaient immédiatement au russe. Cela se produisait inconsciemment, automatiquement, pour ne pas sortir du lot ou faire carrière” explique-t-il.

Cependant, il est également impossible de nier que l’invasion de la Fédération de Russie en février 2022 a incité de nombreuses personnes à abandonner la langue et la culture russes. D’abord parce que, selon les historiens et historiennes de l’art, la culture est une composante importante de l’idéologie du rachisme, sur laquelle repose généralement l’idée d’invasion de l’Ukraine. Par conséquent, sa propagation dans tout le pays ne peut être ignorée, tout comme les chars et les avions russes qui tentent de percer la ligne de défense.

Le 2 mai, le parlement ukrainien a officiellement reconnu le « rachisme » comme l’idéologie de l’Etat russe et a appelé les organisations internationales et les gouvernements des pays démocratiques à soutenir la condamnation de cette politique. La déclaration a été soutenue par 281 députés ukrainiens. Le scientifique et philosophe Oleksiy Panych croit que cette décision donnera à l’Ukraine des leviers juridiques sur le plan international.

C’est un laissez-passer pour le tribunal international, ce qui arrivera tôt ou tard. Et c’est une analogie directe avec le procès de Nuremberg. Là, une composante de la condamnation du régime est la condamnation de l’idéologie comme misanthrope, celle qui pousse aux crimes contre l’humanité, aux crimes de guerre”, explique-t-il.

Pourtant, pour l’historienne Larysa Yakubova, cette idéologie est non seulement une réalité politique, mais aussi “une forme d’existence d’une société malade dont l’idée principale est l’expansion et l’idée fixe est la destruction de la civilisation libérale-démocratique de l’Atlantique Nord de l’Europe occidentale”. Selon elle, “le rachisme est apparu comme la troisième forme de totalitarisme russe après les totalitarismes de la Garde blanche et des communistes rouges bolcheviques du XXe siècle sur la base de l’idéologie d’Ivan Ilyin, le philosophe préféré de Vladimir Poutine”.
Par conséquent, toutes les soi-disant "initiatives anti-russes" de la part de l’Ukraine représentent une réponse à l’agression militaire russe et à l’idéologie du rachisme, qui s’est propagée aux livres, à la musique, au cinéma, à la peinture, et même au théâtre.
En juin 2022, le Parlement ukrainien a interdit la musique russe dans les médias et dans l’espace public. La démonstration publique, ainsi que l’utilisation de phonogrammes, de vidéogrammes et de clips musicaux d’artistes qui soutiennent l’agression russe sont aujourd’hui interdites en Ukraine.

Les restrictions s’appliqueront jusqu’à la libération de tous les territoires ukrainiens occupés et la cessation de l’agression par la Russie. Cependant, les restrictions ne s’appliquent pas aux artistes russes qui ont ouvertement condamné l’agression russe contre l’Ukraine et font partie d’une soi-disant liste blanche.
Paradoxalement, on ne peut pas dire que l’interdiction ait affecté les goûts des Ukrainiens. Les chansons russes figurent toujours dans le top 10 des chansons les plus écoutées sur Apple Music ou Youtube.

En ce qui concerne les théâtres et opéras ukrainiens, il y a aussi eu beaucoup de changements majeurs. L’Opéra national d’Ukraine ainsi que d’autres établissements culturels principaux a décidé d’abandonner le répertoire russe. Ainsi, par exemple, le public ne verra pas les ballets "Casse-Noisette" ou "Le Lac des Cygnes."
Le théâtre dramatique de Lessia Oukrainka à Kyiv, de son côté, s’est débarrassé du préfixe "drame russe" dans son nom. Toutes les performances basées sur des classiques russes ont été retirées du répertoire et d’autres œuvres ont été traduites en ukrainien.

En juin 2022, la Verkhovna Rada a également interdit l’importation et la distribution de produits éditoriaux russes en Ukraine. Cependant, pour que la loi entre en vigueur, elle devra être signée par le président. Comme Zelensky lui-même l’a expliqué il y a quelques jours en réponse à une pétition, il n’a pas encore signé cette loi, car ses normes peuvent ne pas être conformes à la Constitution et aux normes de l’UE et “peuvent donc compliquer le processus de négociations sur l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne”.

À ce jour, le président Zelensky a chargé le gouvernement d’étudier plus avant le document, en tenant compte des opinions des parties prenantes, de la position de l’UE et d’informer des résultats.

En résumant, il faut dire que les mesures prises ne visent pas à limiter la culture ou la langue russe, qui existent et continueront à exister dans la société ukrainienne dans les années qui viennent. Ils visent principalement le développement de tout ce qui est ukrainien, qui a longtemps été dans l’ombre de l’héritage russe. Personne ne contestera qu’il est temps d’apprécier le nôtre. Au moins, ce serait juste envers les gens qui donnent aujourd’hui leurs vies pour ça.


(1) Rachisme : le mot, nouveau, s’est diffusé en Ukraine après l’invasion russe du 24 février : « rachisme ». Contraction de « Russie » et de « fascisme », ce néologisme a aussitôt connu un grand succès. Omniprésent sur les réseaux sociaux, où les Russes sont renommés « rachistes », il a vite été repris par les médias ukrainiens, avant d’être adopté jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. (Le Monde - 25 08 2022)

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