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Bernard Quiriny : Femmes et totalitarisme

Bernard Quiriny : Femmes et totalitarisme

Extraits de « Les Assoiffées » - Seuil

Que les féministes dans l’âme se rassurent, Bernard Quiriny n’est pas « féministophobe » ! En revanche les dictatures et les intellectuels engagés l’inquiètent...

5 décembre 2010 - par Arnaud Galy 
Les Assoiffées - © Editions Seuil
Les Assoiffées
© Editions Seuil
Ph : ZigZagthèque

Bernard Quiriny n’y va pas par quatre chemins ! Ce jeune écrivain n’a pas peur de forcer le trait afin de dénoncer les dictatures grotesques et les liaisons dangereuses que certains intellectuels, dits engagés, entretiennent avec ces mêmes dictateurs grotesques ! Belge, il n’a pas eu à chercher bien loin le décor de son roman en choisissant... le Benelux. Puis il imagina une révolution fomentée par une féministe intégriste qui n’a de cesse que d’éliminer tout ce qui est mâle de la surface de son royaume. Il y a quarante ans que les femmes belges du peuple sont soumises à d’autres femmes belges autoproclamées supérieures ! Bernard Quiriny décrit un univers baroque et autoritaire dont le fonctionnement n’a rien à envier à ce que l’on peut imaginer à l’œuvre dans certains pays ubuesques et totalitaire du 21e siècle réel !

Le roman pourrait s’arrêter à cette description factuelle, drôle car souvent caricaturale, angoissante car parfois plausible. Mais le malaise ressenti par le lecteur vient de l’intervention d’une poignée d’intellectuels venus de France, invités par le pouvoir féminin et féministe en place à Bruxelles. Un malaise causé par l’impression de déjà lu ou déjà entendu qui assaille le lecteur. Point la faute de Bernard Quiriny ! La faute à certains intellectuels, journalistes ou hommes politiques qui, au cours du 20e siècle furent courtoisement invités à découvrir des pays fermés au commun des mortels et qui écrivirent des articles aussi grotesques et terrifiants que le dictateur qui les invitait. Rappelons-nous les belles pages d’écriture des uns et des autres décrivant leur émerveillement suite à un voyage éclair en URSS, dans l’Allemagne des années 30, en Corée du Nord des années 90 ou en Birmanie récemment ?

Et si le roman de Bernard Quiriny n’était pas si drôle que l’auteur le souhaitait ?


EXTRAITS

Les Assoiffées
Editions Seuil

Après la danse, on leur projeta un film sur la Révolution. Pour le regarder, les fillettes s’assirent en tailleur à même le sol, dans un alignement parfait. Les brigadières tirèrent des tentures sur les baies vitrées.
L’image était médiocre, le matériel de projection sans doute obsolète, et la pellicule rayée à force d’être projetée. Mais on ne perdait pas grand-chose : Golanski connaissait presque toutes les images de ce film, pour les avoir vues durant la préparation du voyage. - elles figuraient dans tous les documentaires sur la Révolution belge. Ingrid jeune femme, haranguant la foule lors d’un meeting, à la fin des années 1960. Les défilés féministes de 1965 et 1966 à Utrecht, à Rotterdam, à Amsterdam. Ingrid parmi des femmes qui discutent, qui rient – des femmes trop jolies pour n’être pas des comédiennes, des scènes trop belles pour n’être pas des reconstitutions. Puis des images de la Révolution proprement dite : des hommes agenouillés devant leurs nouvelles maîtresses, des rebelles arrêtés ; la Grande Marche vers Bruxelles, l’invasion du Palais, la fuite du roi, autant de scènes primitives de l’épopée impériale. Il n’y avait aucun commentaire, juste la même musique que pendant les danses, et que Golanski trouvait fatigante. Il s’ennuyait. Kristin, devant lui, semblait passionnée ; on aurait pu s’attendre à ce qu’elle connaisse ces images par cœur, et n’y accorde aucune attention. A ses côtés, Gould semblait absorbé lui aussi ; mais pouvait-il paraître autrement, entre Kristin et Mme Vanlecht ? Lotte était studieuse, Alvert examinait ses ongles. Bordeaux, lui, se rendormait ; quant à Langlois, il lui fit un clin d’œil pour dire qu’il s’ennuyait aussi. Mais personne n’osait murmurer ni bouger. Les fillettes demeuraient immobiles, comme hypnotisées. Golanski fut frappé par cette discipline ; quand il était écolier, les films pédagogiques étaient toujours l’occasion de chahuts. Ici, rien. L’air dans la salle était chargé d’une tension qui prouvait que c’était pour ces enfants plus qu’un film, plus que des images, une communion fervente. (page 109, 110)


Je ne saurais décrire ici tout ce que nous avons vu lors de cette balade dans la ville en fête : il faudrait parler des manèges, des trampolines et des jeux d’adresse où se pressaient les enfants, de l’odeur des confiseries et des baraques à frites, des jongleuses avec leurs balles et leurs quilles, des cracheuses de feu et des acrobates sur leurs monocycles... Tout cela, en plus, était gratuit.

Poussée par Virginie, j’ai participé à un jeu de tir : il fallait lancer des balles en caoutchouc sur un petit homme enfermé dans une cage qui, au troisième impact, s’écroulait en faisant le mort. La gagnante recevait un lot – un bijou de pacotille, ou une médaille à l’effigie de la Bergère.

Il y a aussi eu des chasses à courre : on jetait dans la foule un homme à qui, entre les deux sonneries de cor qui marquaient le début et la fin du jeu, chacun pouvait donner la chasse. C’est spectaculaire, parce que cela génère énormément d’agitation. Le gibier détale comme un rat, il se défend à toute force, mord, griffe et cogne ; cela peut même être dangereux. Judith a voulu jouer, mais je le lui ai défendu ; ce n’est pas de son âge. Elle a pris sa mine boudeuse et a tenté de me forcer la main en jurant que ses amies ont la permission, mais j’ai tenu bon.

Tout cela a duré jusqu’à la nuit. Dans le noir, le caractère exceptionnel de cette journée était encore plus sensible : à une heure où d’habitude les rues sont vides et la ville endormie, il y avait encore du monde partout, surtout sur la Grand-Place et dans les rues alentour, où se concentraient les stands et les animations. (A propos de la Grand-Place, je sais, on doit l’appeler aujourd’hui « place de la Bergère », mais rien à faire, l’ancien nom me vient toujours sous la plume.) (page 146, 147)


12 mai. Un nouveau poème de Judith a été lu à la radio. Je lui reproche de m’avoir caché qu’elle écrivait de nouveau ? Elle proteste :
C’est une toute petite chose, un poème de rien du tout. Il n’est même pas bon.
Mais ton peuple l’apprendra par cœur quand même.
Eh oui. Mais il vaut mieux un mauvais poème de moi qu’un poème d’une autre, ou pas de poème du tout. Le peuple, il ne faut jamais qu’il soit tranquille, vois-tu ? C’est comme du métal en fusion : tu dois avant qu’il refroidisse, lui donner la forme désirée.
Bergère, chaudronnière, le troupeau de tes moutons bêle ! (page 263)

Bernard Quiriny était de passage en France à Cognac, pour la manifestation culturelle appelée Littératures Européennes.

Lire l'article sur Retrouver Bernard Quiriny ; Interview dans le Nouvel Observateur (France)

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