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Elias Sanbar, une Palestine intime

Elias Sanbar, une Palestine intime

Dictionnaire amoureux de la Palestine - Seuil

La francophonie d’Elias Sanbar ne peut être contestée. Lui qui, à l’âge d’un an, suivit ses parents dans un exil libanais, vint s’installer à Paris en 1971. Très vite il rencontra et côtoya les intellectuels les plus engagés politiquement comme l’écrivain Jean Genet, l’historien Pierre Vidal Naquet, le philosophe Gilles Deleuze ou l’éditeur Jérome Lindon qui lui permit de fonder la Revue d’étude palestiniennes. Inlassable « combattant » de la paix, son érudition et son charisme lui ouvrent les portes du monde de la diplomatie. Ambassadeur de Palestine auprès de l’UNESCO et membre du parlement palestinien en exil, Elias Sanbar publie un « Dictionnaire amoureux de la Palestine ». Une vision éclairante et différente !

1er juillet 2010 - par Arnaud Galy 
Elias Sanbar - © Alain Bordes
Elias Sanbar
© Alain Bordes

À la politique - mais comment ne pas aborder le volumineux dossier politique quand il s’agit de présenter la Palestine ? – Elias Sanbar a ajouté la poésie, la cuisine, les amis et l’anecdote. Comme le nom le laisse entrevoir, ce « Dictionnaire amoureux de la Palestine » n’a rien d’une somme ennuyeuse et factuelle sur le sujet. Cet érudit qui n’a jamais vécu sur la terre de ses ancêtres nous livre sa vision d’exilé. Pour ce faire il décharge la Palestine du poids de son histoire conflictuelle et dramatique pour s’attacher au rôle qu’elle joue dans sa propre intimité. Le lecteur découvre « La » Palestine d’Elias Sanbar : Une Palestine réelle ou rêvée, objective autant que subjective. Elias Sanbar n’a de cesse d’affirmer que l’exil peut et doit être généreux. Si la souffrance est inéluctable elle ne doit pas anéantir tout autre sentiment. Le conflit qui touche la Palestine depuis si longtemps est vécu comme un enferment par les populations qui y vivent, tout comme l’enfermement guette les exilés, à tous Elias Sanbar offre la preuve que la Palestine n’est pas qu’une tragique histoire de conflit et d’exil. Pour s’en convaincre, lisons le préambule, souvenir d’une discussion entre l’auteur et l’immense poète de Palestine Mahmoud Darwich* :

Que ferons-nous, toi et moi, lorsque nous serons vieux ?
Nous serons assis sous un figuier, sur le parvis d’une maison en Palestine.
Les gens répondent habituellement à cette question par une activité, une occupation, toi, tu désignes un lieu. Je dis : « Que ferons-nous ? », tu entends : « Où serons-nous ? » …
C’est vrai, mais je peux te dire aussi que nous nous fixerons pour règle de n’échanger que des banalités. Nous parlerons du temps qu’il fait et des nuages qui passent.

* Mahmoud Darwich (1941 - 2008)


EXTRAITS

Darwich aura ainsi été l’homme qui, par le miracle de son poème, a permis à son peuple d’effectuer la traversée de l’infiniment petit vers l’infiniment grand, de la petite nation à la grande et il restera, à ce titre, celui qui aura redonné la visibilité culturelle aux siens.
La Palestine est bien entendu présente partout dans son œuvre. Mais il s’est battu durant, sans jamais mettre son « drapeau dans sa poche », pour qu’on le considérât comme poète et Palestinien, « poète de Palestine », non comme « poète palestinien », ainsi qu’on le présentait, comme si la poésie était question de passeport, de nationalité.
Il aima la vie, sa terre, sa langue et, beaucoup, ses amis. (page 89, 90)


M… Mur

S’agissant de Béthléem, le Mur passe sur 2 km à l’intérieur de la ville, entoure le site du Tombeau de Rachel et coupe la route qui reliait Béthléem à Jérusalem. Béthléem vivant principalement du tourisme religieux, ce secteur est en chute dramatique depuis la deuxième Intifada, du fait des régimes de fermetures – les autorités militaires déclarent régulièrement telle ou telle zone ou ville fermée - , ou des restrictions d’octroi de permis aux guides.
Peu de pèlerins ou de touristes passent la nuit à Béthléem, plus de la moitié d’entre eux étant logés à Jérusalem dans les hôtels israéliens, car le parc hôtelier de Jérusalem-Est est très réduit du fait de la quasi-impossibilité d’obtenir un permis de construction de nouvelles installations hôtelières.
Une fois achevé, le Mur aura isolé totalement Béthléem de son hinterland traditionnel.
Au nord de la Cisjordanie, la zone dite « de suture », enclavée entre le Mur et la Ligne verte, s’est vu décerner le surnom de « limbes » par les organisations humanitaires.
Quinze communautés palestiniennes, totalisant près de 10 000 âmes, y vivent. Là, toute personne de plus de seize ans a besoin d’un permis pour continuer à vivre chez elle. Les citoyens israéliens, les colons ou toute personne d’origine juive se trouvant dans cette zone sont exemptés de cette formalité.
Ce « permis de résidence » n’est valide que pour cette zone militaire et ses porteurs sont interdits d’accès au territoire israélien contigu. De même, enfants, personnes malades et paysans de l’enclave ne peuvent accéder au côté palestinien, en fait à leurs terres agricoles, qu’en passant par l’une des portes installées dans la barrière. Certains enfants sont autorisés à rejoindre leurs écoles situées de l’autre côté, à bord d’autobus agrées par Israël, mais de nombreux autres écoliers sont contraints de rejoindre leurs écoles à pied par tous les temps et en toute saison. (page 271, 272)


P… P ou B ? B ou P ? Telle est la question

… Les Palestiniens souffrent d’une incapacité, une invalidité d’ordre linguistique en fait, que je ne suis jamais parvenu à expliquer mais dont je continue à sourire, avec tendresse, il faut le préciser.
Pensez donc, ladite « élite intellectuelle du monde arabe », le peuple qui s’est en permanence acharné à apprendre, ceux qui, partis dans des dures conditions de l’exil ou de l’occupation, se retrouvent aujourd’hui à des positions clefs dans nombre d’universités, de centres de recherche, d’institutions arabes ou étrangères sont dans leur écrasante majorité incapables de prononcer la lettre P.
On pourrait me faire remarquer que mon étonnement est surfait, que l’explication est simple, évidente. Le P n’existant pas en arabe, il n’y aurait pas lieu de s’interroger sur cette incapacité. À quoi je répondrai que les choses sont moins évidentes qu’il n’y paraît puisqu’il suffit de parcourir quelques kilomètres, d’aller au Liban voisin pour constater qu’un autre peuple tout aussi arabophone que le palestinien n’a aucune difficulté avec ce sacré P…
… L’on se dit que ces polyglottes ont dû quand même en rencontrer, des lettres P, à chaque détour de mot quasiment. Mais rien n’y fait puisque vos interlocuteurs diront invariablement B dès qu’apparaîtra un P et que vous entendrez toujours des : « La Balestine est au cœur du broblème israélo-arabe et nous luttons pour notre indébendance. » Déformation persistante, inscrite dans « la longue duré », pour parler comme un historien de la célèbre École des Annales et donner quelques vernis scientifique à ce travers national. (page 316, 317)


P… Paix et réconciliation

… Mais que signifie ce mot de quatre lettres, si galvaudé, si trahi qu’il en est venu à perdre son sens ? « Faire la paix » n’est pas simplement le contraire de « Faire la guerre », une action pacifique par opposition à une autre, violente…
… Faire la paix signifie avant tout se faire violence, se vaincre soi-même pour supporter de se retrouver parlant à celui que l’on considère comme l’artisan de son malheur, la source de ses peines…
… Ce sur quoi j’insiste ici, c’est la violence que je me suis faite pour n’avoir ne serait-ce qu’une envie d’adresser la parole aux délégués israéliens qui se tenait devant moi.
Je l’ai pourtant accompli au détriment de mes sentiments, de mon corps également, par conviction politique, parce que le temps était venu de donner sa place à la parole, que les Palestiniens allaient être reconnus dans la foulée, qu’ils allaient quitter l’absence. Je pensais aussi que la seule façon de sortir de l’impasse et du blocage consistait précisément par commencer à être voisins. J’ai adhéré au principe du partage, parce que je n’ai jamais supporté les bains de sang et que la perpétuation du conflit ne pouvait aboutir qu’à de nouveaux morts et victimes. La paix, telle que je la percevais et perçois encore, valait la peine de se faire violence… (page 320, 321)


Elias Sanbar

Dictionnaire amoureux de la Palestine

Plon

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