26 – 28 janvier 2015 — La Fondation Alliance Française (Paris) a réuni son réseau pour un colloque intitulé « L’avenir numérique des Alliances françaises ». Vaste programme pour un vaste réseau. La Fondation est depuis peu présidée par Jérôme Clément, connu du grand public pour avoir mis la chaîne de télévision franco-allemande Arte sur les rails. Pour son premier colloque, Jérôme Clément, a mis les petits plats dans les grands en invitant de prestigieux intervenants : Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du Développement international ; Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du Numérique ; Olivier Poivre d’Arvor, directeur de France Culture ; Bernard STIEGLER, philosophe...
Nous vous proposons ici la lecture d’interventions entendues de-ci de-là et d’interprétations... La rédaction de ZigZag était présente à cet événement, dans les semaines et les mois à venir nous enrichirons nos magazines (ZigZag et Agora) par des contributions inspirées par des rencontres faites en ces derniers jours de janvier... Affaire à suivre.
- Jérôme Clément, bien entouré.
- Ph : A. Galy - ZigZag
Interventions entendues de-ci de-là et interprétations
Inégalité
Gervais Rufyikiri est un homme à double casquette. Président de l’Alliance française de Gitega dans son cher pays qu’est le Burundi et vice-président de celui-ci ! Il se dit, lui-même, jaloux de certains de ses confrères bien mieux dotés que lui... « nous organisons des concerts en plein air, car nous n’avons pas de salle en dur et quand il pleut c’est la débandade ! Nous travaillons dans la modestie, dans une maison d’habitation avec quelques ordinateurs... » La modestie, une bien belle valeur qui à des limites, parfois !
Décloisonnement
Anne-Marie Descôtes (directrice générale de la mondialisation, du développement et des partenariats — ministère des Affaires étrangères – France) souligne que depuis l’arrivée de Jérôme Clément à la présidence de la Fondation Alliance Française, un décloisonnement s’est opéré à la suite de l’impulsion d’un nouvel état d’esprit. « … pour mieux défendre les enjeux au cœur de nos actions... » Une manière diplomatique de se réjouir que les différents acteurs de la francophonie parviennent à échanger et à dépasser le poids de leurs chapelles afin de mieux coopérer. Croisons les doigts pour que ce décloisonnement tant attendu par le terrain se vérifie concrètement très vite !
- Tablée studieuse...
- Ph : A. Galy - ZigZag
Universitaires de tous les pays, unissez-vous !
Bernard Cerquiglini, connu de tous les téléspectateurs adeptes de TV5 Monde grâce à l’incontournable « merci professeur » qui décortique les pièges et les délices de la langue française, est aussi et surtout, le recteur de l’Agence universitaire de la francophonie. Conteur né tout autant que redoutable pragmatique, le professeur rappelle aux étourdis que le premier Campus numérique fut installé à Dakar en 1991. Le minitel, jugé ringard aujourd’hui, mais précurseur à l’époque, y était roi. Les tablettes ont depuis pris la place qu’elles méritent et l’énergie nécessaire au fonctionnement du Campus est produite in situ ! « Les campus sont les premiers outils de la lutte contre la fuite des cerveaux. Ils permettent de former les étudiants sur place. On en compte aujourd’hui 68 tant en Afrique subsaharienne, qu’en Chine ou au Mexique. Ils permettent de passer des examens, de suivre des cours à distance ou des séminaires organisés par le Collège de France... » Sourire aux lèvres, Bernard Cerquiglini rappelle avec force deux évidences : … que le numérique ne doit pas tuer la présence humaine ! « L’apprentissage à distance passe par la présence. » Et que « le premier combat pour que vive la francophonie est celui du contenu, du contenu, du contenu ! » Évidences toujours bonnes à rappeler, non ?
L’avenir de la langue française ?
… passe par la formation professionnelle. Alain Rousset, le président de l’Association des régions de France (et de la Région Aquitaine) n’y va pas par quatre chemins. « Quand je vois qu’un technicien marocain travaillant pour Renault doit apprendre l’anglais pour réparer une Renault fabriquée au Maroc, je suis inquiet pour l’avenir de la langue française. » La langue française : langue de l’entreprise, de la technique, de l’informatique... pas seulement de la culture, oui, perspective passionnante ! « Nous devons professionnaliser les échanges entre les régions et ne plus nous satisfaire de la construction d’un dispensaire ou d’une école. Les structures doivent se professionnaliser... » La pensée d’Alain Rousset est claire comme de l’eau de roche : pour être conquérante la francophonie doit être économique et « professionnelle » ! « Nous devons développer la mobilité des jeunes, dans les deux sens. Une mobilité tant des universitaires que des apprentis ou des élèves de lycées agricoles... » L’homme fort des Régions françaises termine son intervention par une réflexion qui nécessiterait un colloque à elle seule : « Pourquoi ne pas délocaliser des entreprises (françaises ou "du Nord") vers les pays “du Sud” s’il y a un intérêt pour le développement. Cela changerait totalement les rapports et l’image... »
Fracture numérique ou fracture générationnelle ?
Jeune entrepreneur naviguant entre culture et numérique, Steven Hearn n’a pas l’air d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il est presque gêné d’être là. De son propre aveu, il n’est pas habitué à être l’objet de tous les regards, pas plus qu’il ne l’est à s’exprimer en public... Pourtant, par petites touches, il bouscule le confort des invités qui, démontrant qu’ils ont une certaine lucidité sur eux-mêmes, sourient et ne s’offusquent point. « Nous sommes ici à un colloque sur le numérique, mais aussi, je pense, à un colloque sur l’intergénérationnel. Je n’ai pas connu l’époque où l’on écrivait à la main et où l’on timbrait les lettres... » Rires dans la salle.
Un autre éléphant... Bruno Patino
Directeur général délégué aux programmes, aux antennes et aux développements numériques à France Télévisions, ce brillant orateur aime prendre le public à témoin. Anecdotes après anecdotes, il embarque son auditoire qui a l’impression de comprendre les réponses à des questions qu’il ne s’était jamais posées ! Florilège : « Pour les plus de 30 ans, le numérique est un plus, il enrichit la pratique culturelle. Pour les jeunes, il n’ajoute rien. Ils sont connectés en permanence. La télévision c’est juste le plus grand écran de la maison. Ils ne peuvent pas comprendre les questions que nous nous posons au sujet de l’impact du numérique sur les pratiques culturelles ou sur l’enseignement. » … « Les jeunes ne fonctionnent pas comme nous ! »… « La télévision et les Alliances françaises travaillent pour ces deux générations, c’est compliqué ! Anthropologiquement, nous nous adressons à deux types d’humains. Les néo-humains sont le centre, avec les algorithmes tout se structure autour d’eux en permanence. L’algorithme change la donne pour la diffusion de la culture. Il impose le fatras dans le cerveau des jeunes... il faut donc inventer de nouvelles politiques culturelles pour nous adapter à ce fait. » … « L’information ou la culture viennent à la jeunesse, elle ne va pas la chercher. L’algorithme apporte... » … « Pour nous, le précieux est la connexion, pour les jeunes, le précieux est, ou sera, la déconnexion. » Matière à cogiter !
La conclusion revient à une voix qui s’est élevée dans la salle, une voix camerounaise, rappelant que toutes ces belles paroles et pertinentes interrogations n’avaient de sens que si la fracture numérique se réduisait. Car, au Cameroun comme dans bien des contrées, l’électricité et la connexion ne sont pas « automatiques » ! Sage réflexion.