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Les cabarets de Paris

Les cabarets de Paris

Le monde des paillettes et des aiguilles

Irina Korneeva écrit pour le journal « Salut ! Ça va ? » publié par les francophones de la région Amourskaya en Russie. Elle a rencontré son compatriote Dimitri Kuchin, danseur au Paradis Latin.

13 avril 2015
 - © Paradis Latin
© Paradis Latin

Il est impressionnant de constater à quel point les danseurs (hommes et femmes, peu importe !) arrivent à garder une allure irréprochable et une certaine souplesse du geste, même en dehors de la scène dans une situation tout à fait courante. La manière dont ils prennent leur tasse de café, dont ils « ouvrent » et « ferment » leurs bras lors d’une conversation pour expliquer quelque chose… Eux-mêmes ne s’en rendent jamais compte, mais nous, les « non-danseurs », l’apprécions toujours.
Cette fois ne fait pas exception. J’ai devant moi Dimitri Kuchin, danseur au cabaret le Paradis Latin. Il ne s’aperçoit même pas (et je pense que c’est notable surtout de l’extérieur) qu’il est assis impeccablement droit et que ses épaules ne sont absolument pas tombantes, contrairement aux miennes, surtout si je suis assise devant un café, surtout hors des heures du travail ! Bref…
Nous nous sommes fixés rendez-vous pour parler du métier de danseur en général et des cabarets de Paris en particulier, et surtout d’un rêve devenu réalité pour celui qui affirme avoir toujours bien lu les signes du destin.

Dimitri Kuchin - Ph : Paradis Latin

À la fin de 2014, notre cabaret a participé à une émission télévisée Paris en fête consacrée au Paris du début du XXe siècle et diffusée sur France 3. – Dimitri commence par me monter quelques jolies photos. - Nous étions honorés de danser des French-cancans dans l’immense et beau hall du musée d’Orsay. Beaucoup de vedettes d’opéra de toute l’Europe étaient également là tout comme l’orchestre philharmonique de Radio France… C’était juste magique ! Un moment hors du réel !

La scène de Paris était votre rêve d’enfant ?

C’est plutôt le destin qui l’a voulu, moi, je n’ai jamais brûlé d’envie de vivre à Paris. Vous savez, âgé de cinq ans, j’ai été emmené par mes parents à la classe de danse. Puis j’ai fait de la musique aussi. À l’époque, on habitait la ville de Grozny, la capitale de la République de Tchétchénie. Quand nous avons senti que la guerre arrivait, j’avais 13 ans, nous avons déménagé au sud de la Russie où mes parents se sont vus proposer un bon travail. Eux-mêmes sont du milieu culturel : ma mère dirige une chorale et mon père est musicien dans la région de Krasnodar. J’ai fait mes premières études à la faculté de chorégraphie de l’Université de Culture et à la sortie, j’ai dansé au sein du show-ballet Yugra, devenu très prestigieux au fil du temps grâce à sa participation à des concours internationaux : nous sommes devenus champions du monde en 2005 ! En 2008, deuxième diplôme, celui de l’Université d’État de thermalisme et de tourisme de Sotchi en poche, et puisqu’on s’y préparait déjà aux Jeux olympiques, j’ai commencé à réfléchir sur une carrière dans le tourisme…. Mais un jour, j’ai reçu une lettre d’un ami de Paris m’expliquant que le cabaret Paradis Latin avait besoin de jeunes danseurs et il me proposait donc de venir tenter ma chance. En touriste, dans le cadre d’un simple voyage en bus à travers l’Europe, je suis arrivé à Paris au mois de mars 2008. Je me suis présenté au cabaret et… j’y suis resté ! Il y a quelques semaines, en février 2015, j’ai obtenu la nationalité française.

Félicitations ! À votre avis, serait-ce possible pour vous de faire exactement le même parcours aujourd’hui, en 2015 ?

Cela fait un peu bizarre de comparer l’époque d’aujourd’hui et celle d’hier, mais je pense qu’à vrai dire tout est possible ! Beaucoup dépend de la chance : tu tombes à un moment précis dans un endroit précis… Cela marche non seulement dans l’art, mais dans tous les domaines professionnels. Ce qui compte c’est bien sûr ta capacité de travail, mais aussi, et surtout tes qualités personnelles ! Il y a beaucoup de bons danseurs, mais tout le monde n’est pas capable de rester et de continuer : il y en a qui sont lâches et beaucoup trop ambitieux…

Cela me fait penser au film américain Show Girls où il y avait de tout : de la jalousie, de l’hypocrisie, des aiguilles sur les marches d’escalier…

Oui, on peut se confronter à cela ! Sans les aiguilles, mais cela peut arriver ! Souvent, les gens sont dirigés par l’envie d’être leaders puisque la danse est aussi un sport en quelque sorte. Chacun veut se détacher, prendre sa place au soleil…

Et le temps presse…

Oui !

Surtout pour les femmes…

On peut voir de tout. Heureusement, cela ne m’arrive pas souvent.


Ph : Paradis Latin

J’entends souvent dire que dans l’ensemble des cabarets parisiens on apprécie beaucoup les danseurs russes (ou plutôt slaves, puisqu’il s’agit aussi des Ukrainiens et des Biélorusses). Le confirmez-vous ?

Oui, je confirme. Les Russes ont depuis longtemps la réputation les meilleurs danseurs. Il y a cent ans, déjà, grâce aux célèbres Saisons Russes de Serge Diaghilev qui emmenait à Paris les meilleurs artistes pour les spectacles au Théâtre du Châtelet. Dès lors, on attribue aux danseurs russes de très hautes compétences professionnelles. Dans notre cabaret, les cinq garçons et trois filles sur douze sont Russes. Notre chanteuse vient également de Russie. Je sais qu’il y en a aussi beaucoup au Lido et au Moulin Rouge (de 20 à 30 %).

Arrivent-ils à maintenir leur bonne réputation ? On connaît bien les préjugés et stéréotypes attribués aux traits du caractère russe…

Les Russes sont connus comme des pros, des travailleurs quasi infatigables… Ils sont appréciés pour cela. Ensuite, ils ne sont pas aussi capricieux que certains artistes français, par exemple. Il est reconnu qu’il est bien difficile de réussir le concours au Crazy Horse où les danseuses sont sélectionnées d’après les critères physiques très stricts.

N’avez-vous jamais connu ce genre d’exigences dans votre expérience ?

Et bien, chaque cabaret a ses particularités. Pourquoi au Crazy Horse tout le monde est-il en effet de même taille ? Vous savez, c’est lié avant tout à l’architecture du bâtiment, la spécificité de la scène et du plafond qui n’est pas très haut en fait… Voilà pourquoi la taille idéale pour une danseuse y est d’un mètre soixante-treize/soixante-quinze. Du coup, les filles n’y sont pas grandes comme des mannequins, par exemple. Chez nous, ce n’est pas aussi compliqué, mais d’après mon contrat, je ne dois pas peser plus de soixante-quinze kilos. En revanche, j’ai appris récemment que j’avais pris quelques kilos (mais il s’agit sûrement de la masse musculaire), donc on m’a demandé de maigrir un peu(sourire).

Quels sont d’autres points intéressants figurant dans votre contrat ? Défense de se marier ?

Heureusement, ce genre de choses reste très personnel, mais il n’est pas apprécié d’avoir des relations amoureuses au travail. Mon contrat n’en dit rien, c’est une règle non dite. Mais… j’avoue que cela n’empêche pas que cela existe quand même dans notre univers ! On est des êtres humains ! (sourire)

Qu’aimez-vous le moins dans votre travail ?

J’aime tout ! Parfois, on a le trac, cela arrive juste quelques minutes avant le début du spectacle. Mais c’est très bien, vous savez. Cela signifie que tu n’es pas indifférent à ce que tu fais, tu vis chaque instant à fond ! Le travail pour moi, c’est quand tu n’as pas l’envie de faire quelque chose, mais obligé. Et là, au contraire, tu fais cela avec plaisir, inspiration… tout en étant rémunéré en plus ! Ce n’est que du bonheur !

Très franchement, d’après vous, les cabarets parisiens représentent encore aujourd’hui un art bien particulier et propre à cette belle ville, ou c’est devenu une machine qui apporte beaucoup d’argent et qui finalement n’a que cet objectif ?

Initialement, comme genre, le cabaret a toujours été vu comme un art. Et c’est vrai aussi qu’on ne le trouve qu’à Paris : les gens viennent voir un spectacle durant lequel ils mangent, boivent, se détendent… En France, on a réussi à conserver ce genre artistique sous la forme qu’il avait il y a un siècle. En même temps, oui, c’est aussi une grosse « machine de fabrication d’argent » : chacun rêve de visiter au moins une fois Paris, de monter sur la tour Eiffel, de manger un vrai croissant et… de passer une soirée dans l’un des célèbres cabarets parisiens ! Évidemment, cela apporte des sommes fabuleuses : un spectacle passe tous les jours au Paradis Latin, mais il y en a deux chaque jour au Lido et au Moulin Rouge ! Mais cela s’explique aussi par la demande, par le nombre de touristes étrangers que reçoit Paris. Les gens y viennent du monde entier et ils veulent en profiter pleinement.

Quels sont vos projets, professionnels et personnels, pour l’année qui vient de commencer ?

Dimitri Kuchin... Français depuis peu !

Avec l’obtention de la nationalité française, mes horizons vont s’élargir ! J’ai pas mal de projets pour cette année, surtout sur le plan personnel : je vais devenir pour la première fois papa ! Ensuite, avec un ami, j’ai créé une structure à Paris, un show-ballet Russkiy Standardt qui nous permet d’organiser des spectacles et des fêtes nous-mêmes… À l’avenir, j’aimerais bien me mettre à l’enseignement, mais en même temps je n’ai pas l’envie de faire mes adieux à la scène ! C’est comme une drogue douce : une fois testée, tu ne peux plus t’en passer !


Crédit Photo : Dimitri Kuchin et Paradis Latin

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