francophonie, OIF, Francophonie, Organisation Internationale de la Francophonie, langue française, diplomatie culturelle, littérature, théâtre, festival, diversité culturelle, les francophonies

MENU
Habiba Benhayoune : Le hammam au scanner !

Habiba Benhayoune : Le hammam au scanner !

Extraits de "L’exil dans la vapeur" - L’Harmattan

Ce lieu propice aux clichés et aux fantasmes apparaît comme un monde complexe où se joue bien plus qu’un moment de détente pour les unes et de travail pour les autres.

26 janvier 2011 - par Arnaud Galy 
L’exil dans la vapeur - Habiba Benhayoune - © L'Harmattan
L’exil dans la vapeur - Habiba Benhayoune
© L’Harmattan

Qui lira « l’exil dans la vapeur » devra affiner voir changer le regard qu’il portait sur le hammam. Lieu propice aux clichés et aux fantasmes qui apparaît, sous les mots de Habiba Benhayoune, comme un monde complexe où se joue bien plus qu’un moment de détente des unes et de travail des autres. Ici la nudité dévoile mais aussi cache, maquille, manipule. Dévoile car l’intimité, la sensualité et la proximité des femmes entre-elles font du hammam une loupe qui grossit chaque faille, chaque blessure et chaque secret. Mais parfois la loupe ne parvient pas à éclairer les maux, ni à leur donner du relief. Ainsi ce lieu d’hygiène et de paroles est-il éprouvant pour les employées du hammam, les tayabates, dont le quotidien est bien moins sensuel que les peintres, les écrivains ou les hommes ne font semblant de l’imaginer : La chaleur humide et permanente, la crasse des corps, les gestes puissants à répéter sans fin, la fausse impression d’être entre femmes alors que le rapport réel est celui d’employée à cliente... Inversement, les clientes n’ont-elles comme seul désir celui de leur bien-être ? Doutons-en... parfois le hammam est un prétexte à s’isoler du monde des hommes, une thérapie que d’autres trouvent en fréquentant les psychothérapeutes, un soin se substituant à ceux dispensés par un médecin. Toutes vivent l’expérience du hammam en jouant les autruches cachées la tête dans le sable, refusant de s’avouer une réalité sombre. Pourtant, pour toutes ces raison, le hammam est un refuge, un cocon, un ventre ou l’illusion fait disparaître les maux de l’exil, du machisme, du mensonge...


EXTRAITS

L’exil dans la vapeur - Habiba Benhayoune
L’Harmattan

Elle évoque le hammam comme un endroit où on ne pense qu’à soi, concentré, à l’écoute de son coeur et de son corps. De par sa culture, elle a toujours perçu le hammam comme un lieu qui invite à la détente en permettant à la femme de se reposer, se sentir libre de ses mouvements et d’abandonner son corps à des mains expertes qui vont en prendre soin par des gestes tactiles réconfortants dans un rapport d’intimité, de sensualité. Siham se souvient qu’au Maroc, le hammam a longtemps joué, pour les femmes, un rôle comparable à celui des cafés pour les hommes. Aujourd’hui, la tradition se perpétue encore.
Ce lieu étrange au sein d’un environnement confiné offre un espace de pureté. Siham garde en mémoire le temps où elle était cliente et plaisir à en parler :
La propreté du corps est aussi importante que la pureté de l’âme.

(page 33)


Si l’objectif du hammam est la beauté des autres, Siham a aussi pensé à la sienne. Ce corps est aussi un objet de séduction offert en exemple aux baigneuses. Les employées sont toutes mères de famille, leur silhouette paraît impeccable et sans rondeurs. Elles cultivent une recherche dans la présentation d’elles-mêmes et restent, en dépit des conditions de chaleur, toujours pimpantes, bien maquillées, les cheveux agréablement coiffés et relevés. Elles s’adonnent au jeu de la séduction face à la cliente et au sein de l’équipe. Leurs propres gestes de toilette au quotidien sont ceux d’une femme maghrébine traditionnelle. Elles ont aussi le respect d’elles-mêmes et le montrent aux clientes. Le corps doit contenir aussi ses sentiments et surtout ne pas afficher la fatigue, il doit être avenant et faire toujours bonne figure pour éviter les plaintes des clientes. Les employées ne doivent pas se laisser aller à une tentative de paresse au cours de leur activité.
Le hammam représente pour Siham une bouée de sauvetage qui lui permet de vivre dans la dignité et compenser les besoins basiques non assouvis dans l’enfance. Il s’agit pour elle de tendre vers une évolution individuelle de son statut de femme. Elle n’a pas le choix.
Pendant une discussion, je sens Siham envahie d’un sentiment de grande culpabilité envers ses enfants laissés au pays. Le regard fuyant, elle semble anéantie par cette culpabilité de l’abandon maternel pour l’Eldorado rêvé. Elle ne peut digérer cette souffrance latente causée par le troc de laisser derrière elle ses enfants pour leur préparer un ailleurs possible et meilleur. Fait-elle mal ? Fait-elle bien ? A-t-elle le choix ?
(page 49)


Le soir, son grand-père qu’elle a peu connu mais dont elle se souvient très bien lui racontait, jour après jour, pour l’endormir les histoires de marins. Sa générosité l’a comblée à jamais. Elle a gardé de lui d’heureux souvenirs. Elle se souvient encore de la paume de ses mains rugueuses et pleines d’ampoules à cause du maniement des cordes et des filets de pêche qu’il passait sur son front pour le caresser. Il faisait partie de cette génération de marins-pêcheurs qui aimaient leur travail et se contentaient de ce que la mer pouvait leur offrir. Il serait furieux de voir aujourd’hui tous ces jeunes qui ne rêvent que de quitter leur pays pour conquérir l’Europe. Ces jeunes assoiffés d’aventure, assoiffés d’eau. Cette même eau qui étanchera leur soif lorsqu’ils partent entassés dans des barques de fortune, ivres d’un rêve de conquête de lendemains meilleurs. Ils boiront cette eau jusqu’à ce qu’elle les étouffe avant d’en rejetter certains parmi eux à la terre. Ces jeunes qui regardent monter de l’océan, non pas cet avenir tant espéré mais la mort ! La mort gratuite ! La mort prématurée ! C’est ainsi que le mirage scintillant berce leur rêve d’un ailleurs impitoyable. Ils se retrouvent livrés à la mer telle une offrande, laissant derrière eux leur mère ou leur jeune épouse, avec ou sans enfants, pleurer. (page 85)


Parfois, dit Siham, je réalise que je ne suis pas si mal que cela au hammam... quand je regarde Mimouna, une cliente habituée, avec des traces de coups sur le corps, je sais qu’elle a été battue. J’en tremble moi-même. Son mari, au chômage, va l’attendre à la sortie de son travail et s’il la voit discuter avec un collègue, il le lui fait payer. Au lieu d’aller voir le médecin, elle se réfugie au hammam pour atténuer la douleur des hématomes grâce à la chaleur du bain et pour se soulager. Elle sait que nous l’écoutons et la comprenons. C’est bon pour son moral. C’est important pour elle de savoir que personne ici ne lèvera le doigt pour aller dénoncer le responsable de ces coups. Je me sens un peu coupable de ne pas lui apporter plus d’aide. C’est être complice avec son bourreau de mari. (page 144)

Habiba Benhayoune

L’exil dans la vapeur

L’Harmattan - 2010

Partagez cette page sur votre réseau :

Précédents Agora mag