Eliminons d’abord le sujet qui fâche : n’êtes-vous pas agacé par l’image négative véhiculée par la Moldavie, voire par la méconnaissance totale de la part des médias et l’opinion publique ?
- Florent Parmentier
On oscille effectivement entre une absence d’image et des considérations souvent dépréciatives, parfois scabreuses… La périphrase « pays le plus pauvre d’Europe » précède généralement un descriptif peu flatteur. On ne peut que s’agacer de stéréotypes, mais force est de constater qu’ils sont coriaces.
On peut pointer du doigt le miroir grossissant des médias, puisque le système journalistique tend à s’intéresser davantage aux trains qui déraillent qu’à ceux qui arrivent à l’heure. De plus, il n’est bien souvent pas évident de « vendre » un sujet sur la Moldavie : l’angle spectaculaire est encore ce qui est le plus efficace à cette fin. Il est sans doute légitime de parler des problèmes de pauvreté, de détresse humaine ou de divers trafics. Toutefois, l’impression d’ensemble qui est dégagé par l’agrégation de ces articles tend à donner une image extrêmement négative, sans doute à certains égards au-delà du raisonnable.
Il est important dans ce cas de disposer d’autres accès à l’information, qui permettent d’avoir une perspective plus large, traduite par exemple de la presse locale. C’est le pari du portail francophone de la Moldavie (www.moldavie.fr). D’autres sites contribuent à cette dynamique d’informations comme Nouvelle Europe (www.nouvelle-europe.eu), Regard sur l’Est (www.regard-est.com) et le Courrier des Balkans (http://balkans.courriers.info).
Quelles sont les raisons historiques qui expliquent la vivacité de la francophonie moldave ?
Parler de vivacité n’est pas un vain mot : c’est plus d’un élève moldave sur deux qui a pris le Français en première langue étrangère. C’est un taux exceptionnellement élevé, au-delà même de la Roumanie et de la Bulgarie, les deux autres pays phares de cette région dans ce domaine.
Cette présence francophone est ancienne, puisqu’à l’époque de la principauté de Moldavie, on retrouve déjà des traces de précepteurs, de voyageurs et de commerçants. On connaît l’importance de la francophonie pour l’espace culturel roumain, dont la langue, les références culturelles, politiques, portent en eux l’influence française. Entre la revendication de l’héritage latin et la volonté de distinction sociale, accordant au Français un statut de « langue d’élite », la langue de Molière a trouvé se place, non seulement auprès des intellectuels mais également d’un public plus large, et ce sur la longue durée.
La période soviétique n’a pas éteint la flamme ?
On peut observer une double réaction à ce niveau.
En effet, les dirigeants soviétiques n’ont pas dénigré le Français en Moldavie, puisque la République devait au contraire servir de lieu de formation pour les futurs coopérants vers l’Afrique francophone ou le Maghreb. La Moldavie a en outre formé d’éminents linguistes, comme Victor Banaru.
Dans le même temps, l’accès au Français pour les Moldaves eux-mêmes constituait une occasion rare de se rapprocher de ses racines latines, et, partant de là, de la Roumanie. Le Français devient ainsi une langue de résistance, un espace de formation de sa propre identité, en s’échappant de la pression soviétique. De nombreuses anecdotes montrent cette réappropriation par les intellectuels de l’époque.
Vous plaidez pour la tenue d’un Sommet de la Francophonie à Chisinau, quelle belle ambition !?
Effectivement, la tenue d’un Sommet de la Francophonie à Chisinau me paraît une idée prometteuse pour la Moldavie, mais également pour le mouvement francophone.
Balayons tout d’abord les aspects logistiques : on peut se demander d’un côté si Chisinau a véritablement les moyens d’accueillir ce type d’événement, et si le coût d’organisation n’est pas prohibitif pour ce pays. Sur ces points techniques, on peut sans doute trouver des solutions concrètes : Chisinau dispose d’infrastructures de qualité qui lui permettent d’accueillir les Sommets de la Communauté des Etats Indépendants. On ne part pas d’une base inexistante. En outre, la Moldavie a été partie prenante à des projets pilotes de l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie), comme la maison de la francophonie de Chisinau. En ce qui concerne le coût d’organisation pour la partie moldave, il peut sembler limité au regard de l’accomplissement que cela représenterait pour ce pays en termes d’image au niveau international.
L’essentiel est en fait ailleurs. La Moldavie est un pays multiculturel, où la majorité roumanophone coexiste avec d’autres minorités linguistiques, russophone ou turcophone notamment. Si l’idée d’organiser le Sommet à Chisinau peut connaître un écho positif auprès de la population, plus largement, elle pourrait sceller la rencontre entre les mouvements francophones et russophones, tout comme Beyrouth avait pu voir émerger un rapprochement entre les familles francophones et arabophones.
Qu’apporte la Moldavie à la francophonie ?
La francophonie moldave peut étonner. Après tout, ce pays fait preuve d’un engagement réel dans ce domaine, dans un pays où l’apprentissage du Français n’a pas été contraint, mais choisi. Il est intriguant de se promener à l’intérieur du pays dans des bourgades de quelques milliers d’âmes dont l’école est partiellement francophone ! Il est également intéressant d’observer l’importance prise par la Québec dans la stratégie migratoire des Moldaves… De plus en plus de Moldaves émigrent vers cette destination, les critères linguistiques du Québec favorisant les francophones.
La Moldavie fournit un champ d’expérimentation privilégié pour la francophonie, un laboratoire de ce qui pourrait être fait à plus large échelle. La maison de la francophonie n’est qu’un exemple parmi d’autres. On pourrait imaginer développer les relations entre la Moldavie et les pays francophones, par exemple avec des jumelages d’école : à l’heure du numérique, cela est possible à moindre coût !
Revenons à la première question... en quelques mots... donnez-nous l’envie d’aller découvrir la Moldavie ?
Si l’on prend la liste des pays, on trouvera la Moldavie entre la Micronésie et Monaco. La Moldavie n’a ni les rives du Pacifique, ni celle de la Méditerranée pour accueillir les touristes. Partir en Moldavie demande un certain état d’esprit, celui du voyageur curieux qui n’attend pas instantanément d’admirer un paysage de carte postale, mais qui souhaite découvrir un endroit à propos duquel il n’a guère d’a priori.
La Moldavie est un lieu de confluence des cultures latines, byzantines et russes. Ces héritages multiples se retrouvent dans l’architecture, les habitudes et les restaurants. Se promener en Moldavie, c’est prendre son temps, se « hâter lentement » (festina lente en latin), s’inspirer de ses paysages de plaines et de collines, rester en terrasse et partir à la découverte. C’est ensuite que l’on pourra apprécier le musée Pouchkine et celui d’histoire naturelle, les monastères et les lieux insolites comme celui de Soroca, les caves (Cricova) et les lieux archéologiques comme Orheiul Vechi. Différents circuits de route des vins sont possibles.
Osez la Moldavie, vous y serez nécessairement dépaysés !