francophonie, OIF, Francophonie, Organisation Internationale de la Francophonie, langue française, diplomatie culturelle, littérature, théâtre, festival, diversité culturelle, les francophonies

MENU
10/10 propulse la francophonie en haut de l’affiche ! Acte I

10/10 propulse la francophonie en haut de l’affiche ! Acte I

Partenariat AGORA / GRAND TOUR 2017 - Par Arnaud Galy
14 février 2017 - par Arnaud Galy 

Un vent francophone tourbillonnant venu de Montréal, de Yaoundé, de Belgique, de France et de Suisse s’est abattu sur la Silésie. Sur Zabrze. Ville industrielle, où le charbon est roi, devenue pour quelques jours la capitale du théâtre francophone vivant. L’Éole polonais s’appelle Jan Nowak, c’est lui qui fournit l’énergie à cette tempête pacifique et culturelle. Zabrze, ville phare de la francophonie ? Oui, trois fois oui. Immersion en 2 actes dans cette étape du Grand Tour. Le premier acte ci-dessous ! Le second à suivre...


Zabrze, la mine comme décors du théâtre...

Dans un fracas de lourdes portes en fer, l’ascenseur bégaie sa descente. Éva, Sabine, Sufo, Martin et Marie s’enfoncent doucement dans les noires et odorantes entrailles de la mine de Guido. Martin respire le plus calmement possible. Ce Québécois volontiers drôle et caustique ne plaisante pas. Limite claustro ! 350 m de descente à 4 m par seconde peut sembler une éternité... Mais la petite équipe accepte les règles du jeu. Elle s’immerge dans la ville qui les accueille afin d’écrire de courtes pièces de théâtre qui seront jouées de festival en festival dans des pays aussi variés que la Serbie, la Roumanie, l’Allemagne, le Brésil, le Japon, la France, la Belgique, l’Albanie, l’Arménie ou bientôt la Moldavie. Les pièces écrites à l’occasion de ces résidences servent de support aux professeurs de français désireux de théâtraliser l’apprentissage du français jusqu’à organiser un festival. Opération appelée 10/10*
Arrivés à - 350 mètres, chacun choisit son lieu d’écriture. La cafétéria de briques rouges aux lumières tamisées ou la magique salle éclairée par des lampes de mineurs suspendues au plafond, meublée de tables et de chaises indestructibles taillées dans le même acier que les portes de l’ascenseur ! Les ordinateurs et les casques sortent des sacs. Chocolats chauds et tartes aux pommes sont au programme. Les voilà prêts à poursuivre l’aventure dans laquelle Jan les a embarqués.


Un ciel étoilé à 350m de profondeur, de quoi inspirer !

Jan Nowak, l’Éole !
Jan, un drôle de jeune bonhomme. Du charisme à revendre, un brin d’insouciance, certains disent, avec grand respect, d’inconscience ! Déjà gamin, il étonnait. À l’école, bon en tout sauf en français ! Il se souvient d’un professeur de français pas pédagogique pour 2 zlotys, incapable de transmettre, générateur de découragement ! Jan parle surtout d’un professeur de sports, sans doute aussi fin psychologue, qui savait écouter ses élèves et « voulait les préparer à la vie. Il m’a guidé. Il anticipait l’Europe à venir et parlait de l’allemand comme une langue du passé. Contre toute attente, il m’encourageait sans détour à me consacrer au français ! » Un surprenant conseil qui prit forme lorsque Jan, dans une librairie, «  tomba » sur un Bescherelle franco-polonais. Ce type de livre de grammaire qui fait tant souffrir les jeunes Français et tous les apprenants du monde fut une révélation pour le futur chantre polonais de la langue française ! « Ce fut l’illumination ! Son contenu remit en place tout ce qui me rebutait depuis que j’apprenais le français. Tout devenait simple. Très vite, au lycée, je gagnais tous les concours de langue française et je laissais tomber les autres matières ! » La langue française était sur les rails, restait à apprivoiser le théâtre ! Mais quand Jan veut, Jan peut...

2007. Le jeune homme participe à la vie d’une troupe de théâtre au lycée. Première confrontation directe avec un texte fort : La Leçon de Ionesco. Avec sa jeune partenaire, il envoie une K7 vidéo au Festival de théâtre étudiant de Cracovie qui les invite. « Grande salle, grand public ». Bilan pour cette première : « Meilleure comédienne et meilleur comédien. » Coup double dont la récompense est un séjour au Festival d’Avignon. « J’ai passé mon temps au Off. Une expérience qui a confirmé mon pressentiment que le théâtre pouvait être mon avenir. Je suis revenu en Avignon l’année suivante. J’avais écrit à tous les théâtres du Off pour faire une demande stage. Une directrice a dit oui. Une seule réponse, un oui... J’ai passé le festival a m’occuper de la buvette ce qui m’a permis de gagner une somme d’argent conséquente par rapport au niveau de vie polonais. » La jeune directrice finit par acheter un théâtre en Avignon et embauche Jan. Comme tout semble simple. Mais il n’oublie pas la Pologne. En Avignon, il rencontre Iris... comédienne française, qui n’hésite pas à le suivre en Pologne ! Là, les affaires s’emballent... Chez lui, à Poznan, Jan crée une école de langue française par le théâtre. Il travaille les textes d’auteurs vivants rencontrés en Avignon. Comme l’annonce de ce qui devait suivre... En 2011, il met au point une méthode d’apprentissage et en profite pour créer Drameducation... une nouvelle aventure commence !

Coup de pouce du destin, Poznan signe un accord de coopération avec Wallonie Bruxelles. Un metteur en scène belge Laurent van Wetter est invité à animer un stage. Ce Wallon, fidèle au cliché, est porteur d’un humour très... belge qui ne fait rire personne. Les Polonais ne goûtent pas l’humour belge sauf... Jan, évidemment. La complicité est immédiate. Le duo de choc phosphore de concert. Laurent propose à Jan de traduire une de ses pièces et le guide dans les dédales des aides financières à la création. Le Service de Promotion des Lettres de WB apprend à connaître l’entreprenant Polonais à qui il ne faut pas répéter deux fois les marches à suivre... S’enchaînent moult initiatives, qui l’une après l’autre confortent Jan, Iris et Laurent qu’un autre monde est possible... un monde où la Pologne, forte de ses traditions théâtrales s’ouvrirait au français. L’implication d’Iris est un tournant capital, car proposer à de jeunes acteurs polonais francophones de suivre des stages menés par une actrice française est une voie presque royale ! Les stages se multiplient, dans tout le pays...

Routine est un mot banni du vocabulaire, pourtant riche, de Jan. Son appétit de projets et sa soif de partager ne sont pas rassasiés. Pourquoi ne pas monter un bureau de traduction d’œuvres théâtrales ? Banco, c’est fait ! Les pièces viennent d’Afrique, d’Haïti, du Québec, de Belgique, de France... Pourquoi ne pas ouvrir une maison d’édition dédiée aux auteurs contemporains, structure inexistante aussi étonnant que cela puisse paraître. Encouragé par le pointu éditeur belge, Émile Lansman, Jan cède aux sirènes. Banco ! Pourquoi ne pas jouer le rôle d’agent auprès des auteurs traduits par Jan ? C’est vrai quoi, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Preuve que l’idée n’est pas saugrenue : deux mois après l’édition de la traduction de la pièce de Laurent van Wetter, « Éduquons-les », celle-ci est jouée dans un théâtre de Varsovie. Avec 5 ans de recul, le résultat est plus qu’appréciable : 40 traductions sont publiées et 70 pièces ont été traduites. Pourquoi ne pas diffuser, distribuer au travers du réseau des bibliothèques ? Objectif ? Proposer à ces dernières d’ouvrir une catégorie « Théâtre francophone ». Le projet est en cours... à chaque jour suffit sa peine, non ? Pourquoi ne pas penser à une bibliothèque exclusivement consacrée aux théâtres francophones afin de satisfaire les besoins des étudiants et des chercheurs ? Aucun problème : 2800 pièces d’auteurs francophones sont à leur disposition à Poznan. De l’audace, toujours de l’audace !

Jan Nowak et Iris Munos dévoilent la couverture du prochain recueil 10/10 !

Pour ne pas s’ennuyer, Iris et Jan ont inauguré, en 2013, une grande tournée à travers toute la Pologne. Jouer dans les écoles... avec des surtitres en polonais, en présence de l’auteur qui assure une conférence et dont le livre est donné à chaque élève. Dans quelques jours l’édition 2017 se mettra en branle. Un texte suisse (la Grève des becs*), une compagnie belge et la mise en scène d’Iris. Pourquoi pas une bande-son québécoise ? C’est à l’étude ! Sans aucun doute le plus grand événement francophone de Pologne : 15 villes et 17 représentations, 1 mois de tournée pour 7000 jeunes spectateurs. Faut-il encore un exemple de la farouche volonté du duo Jan et Iris de ne pas se laisser anesthésier par les difficultés ? Juste un ! En 2014, lors du Festival étudiant qui se tenait à Poznan, ils avaient comme partenaires, la Comédie Française, le Festival d’Avignon et le Théâtre de la Colline qui s’étaient engagés à venir suivre le Festival et à inviter les troupes récompensées à venir en retour en France. Jan et Iris sont capables de tout, n’est-ce point cela le charisme ? Du charisme à revendre ? Sans doute...

Le regard des observateurs francophones

Quand un Délégué de Wallonie-Bruxelles et un Ambassadeur de France garnissent leurs albums de souvenirs !

On ne peut se cacher que la Pologne n’est pas le pays le plus clairement francophone d’Europe. Cet évident constat ne donne que plus de valeur au pertinent travail de Jan et Iris. Durant la résidence de Zabrze, ne croisait-on pas dans les couloirs les représentants de Wallonie-Bruxelles, de la Suisse et de la RDC ? L’ambassadeur de France n’était-il pas l’invité spécial du grand repas offert par la ville ? Dans d’autres conditions, cette présence institutionnelle pourrait être vécue comme un simple exercice professionnel. Mais, incroyable, toutes ces personnes semblaient pleinement heureuses d’être présentes. Jan est vraiment très fort ! Le travail accompli, en si peu de temps, sidère. Différentes approches :

Roger Ngimbi Di Makwala1er Secrétaire de l’ambassade de République Démocratique du Congo en Pologne.
La RDC est dotée d’une richesse potentielle inouïe, mais nous sommes confrontés à un indéniable problème de développement. Instruire et éduquer la population sont les bases du développement et ce projet 10/10 est un formidable exemple à suivre. Les acteurs, auteurs, dramaturges de talent sont très nombreux en RDC, mais ils sont quelque peu abandonnés à eux-mêmes. J’aimerais beaucoup qu’un auteur congolais participe à cette résidence et qu’il revienne au pays avec l’idée d’un projet similaire. Cette année, le Cameroun est représenté par Sufo, cela nous montre le chemin. J’aimerais que nous puissions distribuer en RDC des exemplaires des 10/10 passés afin de montrer le principe. Les auteurs en RDC n’ont pas de moyens financiers et ils doivent s’inscrire dans un mouvement tel que celui-ci. Des financements publics congolais pourraient accompagner un collectif d’auteurs travaillant en RDC qui trouverait sa légitimité en collaborant à des projets internationaux. Les textes écrits pourraient servir de support dans les écoles. 10/10 est une action à taille humaine bien adaptée à la société informelle congolaise.

Martin MicheletChef de mission de l’ambassade de Suisse en Pologne.
D’abord nous sommes très heureux de compter une auteure suisse parmi les participants à la résidence. En 2016, on en comptait 4. Nous nous sentons donc très impliqués et soutenons Jan, car il met en exergue le multiculturalisme et la francophonie si chers à la Suisse et que les Polonais connaissent si peu. Faire la promotion et donner de la visibilité aux actions francophones sont aussi les rôles du GADIF* que je préside encore pendant quelques semaines. C’est grâce à la chanson, au cinéma ou ici au théâtre en langue française que les Polonais font le lien entre des pays aussi différents que la Belgique, la Québec ou la RD Congo. À Varsovie, même si les projections sont confidentielles, les films sénégalais par exemple ont toujours du succès. Cela vient de curiosité pour la langue française. Une curiosité aussi animée par un intérêt économique puisque de plus en plus de marchés s’ouvrent vers l’Afrique ou le Maghreb où il est indéniable que la connaissance du français donne une clef de réussite supplémentaire. C’est dans ce contexte-là que le travail de Jan doit être lu. Il participe grandement à la diffusion de la langue française.

Franck PezzaDélégué Wallonie-Bruxelles en Pologne.
Il ne faut pas se voiler la face, un pays comme la Pologne, coincé entre l’Allemagne et la Russie, n’a aucune raison naturelle d’être francophone. Ce qui se passe ici est tout simplement extraordinaire. Le français est particulièrement choyé dans la région de la Silésie et notamment ici à Zabrze qui compte beaucoup de classes francophones qui dispensent 2 à 3 fois plus d’heures de cours en français que les classes « normales ». Wallonie-Bruxelles finance des bourses pour les professeurs ou les étudiants. Nous sommes partie prenante dans la chaîne « école – université - emploi » et sommes très heureux de constater qu’un jeune maîtrisant le français est embauché plus vite et a un meilleur salaire. Ici on croit beaucoup à l’apprentissage de la langue française par le théâtre. C’est pourquoi les actions de Draméducation menées par Jan et Iris sont si appréciées. WB s’implique dans l’accueil des auteurs belges qui y participent, car nous avons su tisser des liens de complicité et de fidélité avec Jan. Il construit en marchant ! Il avait deux passions, la langue française et le théâtre et il a cherché à les associer. Je ne crois pas qu’il avait une stratégie, il est énergique et a beaucoup de culot ! Rien ne l’arrête. Il est rafraîchissant ! Il attire les mécènes qui sont fascinés par une forme d’innocence. WB a tout intérêt à le suivre, car la Pologne est un grand pays de théâtre, même si l’âge d’or était dans les années 60 et 70. Les auteurs belges doivent s’y mettre en valeur et ainsi diffuser la francophonie.

* 10/10 signifie 10 auteurs, 10 pages, 10 personnages, 10 jours.
* La grève des bisous
* Groupement des Ambassades Délégations et Institutions Francophones : France, Suisse, Wallonie-Bruxelles, RD Congo, Canada, Tunisie, Maroc, Liban et Roumanie. Le GADIF a été créé à Varsovie en 2014.

Subjectivité assumée !

La reconnaissance par le Grand Tour du travail accompli par Jan et Iris fait chaud au cœur. Il est parfois difficile pour les initiatives venues de pays observateurs de l’Organisation Internationale de la Francophonie ou de pays n’ayant pas de rapport direct avec cette organisation de recevoir la « bénédiction » d’en haut. Mais 10/10 et les différentes actions qui en découlent sont tellement époustouflantes, tellement en harmonie avec les valeurs que défend la Francophonie qu’il serait injuste de ne pas voir ces Polonais engagés récompensés. Le Grand Tour l’a bien compris et a labellisé leurs actions et c’est tant mieux, l’OIF devrait leur emboîter le pas. Inévitable et tellement bénéfique ! Car enfin quoi... Jan Nowak et Iris Munos favorisent l’apprentissage du français, diffusent des auteurs francophones de théâtre dans le monde, éditent du théâtre francophone écrit par des auteurs vivants, font vivre à des centaines de jeunes dans le monde des expériences théâtrales inoubliables, portent en eux une flamme qu’aucun avion bombardier d’eau ne pourra éteindre... Dans 20 ans, ils seront Chevaliers des arts et des lettres et dans 30 ans, prix Nobel de la Paix. Je m’emballe, je sais, mais ils sont emballants ! Le Grand Tour mise sur l’avenir !

Partagez cette page sur votre réseau :