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RÉPUBLIQUE DU CONGO - Retour sur l’année 2016-2017

RÉPUBLIQUE DU CONGO - Retour sur l’année 2016-2017

14 novembre 2016 - par André-Patient Bokiba 

Les crises de la « nouvelle république »

L’événement majeur de la seconde moitié de l’année 2015 en République du Congo aura été l’organisation de la consultation référendaire du 25 octobre 2015 sur le changement de la constitution du 20 janvier 2002. L’on ne peut apprécier à sa juste mesure la portée politique de l’événement sans rappeler que la constitution en vigueur limitait à 2 le nombre des mandats (article 57), limitait l’âge du candidat aux fonctions de président de la République – 40 ans au mois et 70 ans au plus à la date du dépôt de la candidature (article 58) et écartait de manière stricte de la révision de la constitution les dispositions relatives à « la forme républicaine, le caractère laïc de l’État, le nombre de mandats du président de la République ainsi que les droits énoncés aux titres I et II » (article 185).


Octobre 2015, les mots sont sans equivoque (Ph : Flickr - Daniel Massamba)

La nouvelle constitution, pour l’essentiel, annule la limitation d’âge pour toute candidature aux fonctions de président de la République, la limitation du nombre de mandats et crée un poste de Premier ministre-chef du gouvernement. En somme, la nouvelle loi fondamentale lève les verrous d’une candidature du président Denis Sassou N’Guesso, au pouvoir depuis 32 ans, âgé de 72 ans et titulaire de deux mandats aux termes de la constitution du 20 janvier 2002. Ainsi s’est ouverte pour Denis Sassou N’Guesso la possibilité d’une nouvelle participation à l’élection présidentielle.
Après la promulgation de la constitution du 6 novembre 2015, l’agenda politique a été consacré à la mise en place des institutions de la « nouvelle république ». C’est ainsi que le 22 décembre 2015 un message à la nation du président de la République annonce l’organisation anticipée de l’élection présidentielle au premier trimestre 2016 au lieu du mois de juillet 2016 qui était l’échéance normale du mandat en cours. Le conseil des ministres de mercredi 30 décembre 2015 fixe la date de l’élection présidentielle au 20 mars 2016.

Dans son allocution traditionnelle de fin d’année, Denis Sassou N’Guesso rappelle la chute vertigineuse des ressources financières de l’État, à la suite de la baisse vertigineuse du prix du baril de pétrole, l’augmentation de 25 % de la valeur du point d’indice du calcul du traitement des fonctionnaires à compter du 1er janvier 2016 et l’organisation de la « municipalisation accélérée » de la Bouenza à Madingou.

L’agenda électoral a été ensuite mené au pas de charge. Le 23 janvier 2016 le président de la République promulgue la nouvelle loi électorale. Le 25 janvier 2016, Denis Sassou N’guesso reçoit l’investiture du Parti congolais du travail. Le décret présidentiel relatif à la nomination des membres de la nouvelle commission nationale électorale indépendante (CNEI) est signé le 17 février. Le 24 février 2016, la Cour constitutionnelle valide les candidatures de neuf prétendants à la magistrature suprême : le président sortant, Denis Sassou N’Guesso, Jean Marie Michel Mokoko, Claudine Munari, André Okombi Salissa, Joseph Kignoumbi Kia Mboungou, Pascal Tsaty-Mabiala, Engambe Anguios, Guy Brice Parfait Kolelas, Anguios Nganguia Engambe et Michel Mboussi Ngouari. L’unique candidature invalidée a été celle de Luc Parfait Tchignianga Mavoungou, pour défaut de paiement de la caution de 25 millions de francs CFA.

La campagne électorale a été menée sur fond de monopolisation par le candidat du Parti congolais du travail des médias d’État, du reste signalée par les représentants de la communauté internationale, et avec les tracasseries subtilement infligées à d’autres candidats, particulièrement ceux de la plateforme IDC-FROCAD. Le général Jean Marie Michel Mokoko, à son retour à Brazzaville s’est heurté dès l’aéroport de Maya-Maya à une agression organisée par des individus non identifiés.

La campagne électorale s’est par ailleurs déroulée dans un climat de psychose, de terreur et de suspicion dont une des illustrations aura été l’irruption dans la nuit du 1er au 2 avril 2016 dans la suite de l’ambassadeur de la République gabonaise au Congo, René Makongo, à l’hôtel Saphir d’hommes cagoulés pour une perquisition nocturne à la recherche d’armes. À cause de ce climat délétère, des candidats de l’opposition ont émis l’idée d’un report du scrutin, en vue d’une organisation apaisée et consensuelle de la consultation. L’atmosphère de suspicion à propos du traitement ultérieur des résultats explique la création le 10 mars 2016 par les candidats de l’IDC-FROCAD, d’une Commission Technique Électorale (CTE) parallèle à la CNEI (Commission nationale des élections officielle), instance qu’ils estiment non consensuelle et à la solde du pouvoir.

Le scrutin présidentiel du 20 mars 2016 s’est déroulé avec la suspension pendant quatre jours sur l’ensemble du territoire national des communications par téléphone, par internet et par SMS. En ce qui concerne les observateurs, l’on peut retenir le désengagement de l’Union européenne qui a motivé son retrait par le fait que l’anticipation du scrutin de trois mois ne permettrait pas une amélioration substantielle du fichier électoral, dont la qualité insuffisante risque d’affecter la crédibilité des résultats du vote. La déclaration a mis en doute la pleine participation de l’opposition et de la société civile indépendante au sein de la CNEI. Enfin l’UE a été préoccupée par le sort des membres et sympathisants des partis politiques arrêtés et en attente de jugement et par la nécessité de respecter les libertés fondamentales des candidats et de leurs partisans pendant les périodes de pré-campagne et de campagne électorale.


Un pays qui cherche la direction à suivre (Ph : Flickr - Sterglos Gogos)

La délégation de l’Union africaine, conduite par l’ancien premier ministre djiboutien, Dileita Mohamed Dileita, a reconnu les progrès du système électoral congolais, notamment avec l’institutionnalisation du bulletin unique, l’évolution des missions de la Commission Nationale Électorale Indépendante (CNEI), la régularité dans l’attribution du temps d’antenne et sur bien d’autres dimensions relatives à une élection crédible et transparente.
L’Union africaine a dit sa satisfaction pour le bon déroulement du scrutin présidentiel, du 20 mars dernier. Elle a toutefois formulé des recommandations au gouvernement, en lui demandant de « poursuivre le dialogue inclusif entre les différents acteurs de la vie nationale », ainsi que les reformes en vue de renforcer la démocratie et les institutions démocratiques au Congo.

À propos de l’OIF, Michel Kafando le représentant de la Secrétaire générale de cet organisme, Michaëlle Jean, s’est résolu à quitter Brazzaville avant la tenue du scrutin.

La compilation des résultats par le ministère de l’Intérieur a été contestée par le candidat Jean Marie Michel Mokoko qui a lancé un appel à la désobéissance civile. Ces résultats fortement contestés par les autres candidats et par la Commission technique électorale (CTE) seront confirmés par la Cour constitutionnelle dans la nuit du 4 avril 2016. Ils se présentent de manière suivante :

Sassou N’Guesso Denis : 838. 922 voix, soit 60,19 %

Nganguia Engambe Anguios : 2.905 voix soit 0,21 %

Tsaty-Mabiala Pascal : 65.025 voix soit 4,67 %

Mokoko Jean Marie Michel : 191.562 voix soit 13, 74 %

Okombi Salissa André : 57.373 voix soit 4,12 %

Kolelas Parfait Guy Brice : 209.632 voix soit 15,04 %

Munari née Mabondzot Claudine : 21.530 soit 1,54 %

Kignoumbi Kia Mboungou Joseph : 3540 voix soit 0,25 %

Mboussi Ngouari Michel : 3301 voix soit 0,24 %

La cérémonie de proclamation des résultats du scrutin a été accompagnée de détonations d’armes de guerre dans les quartiers sud de Brazzaville, à Bacongo et à Makelekele : le pouvoir accuse l’incursion des milices ninjas du pasteur Ntumi, quand l’opposition relève une machination préventive du pouvoir visant à contrer toute contestation des résultats qu’elle juge faux. Il s’ensuit le déploiement d’opérations militaires dans le Pool en vue de la répression de la présumée sédition du Pasteur Ntumi, resté introuvable. Ce dernier a été, du reste, relevé, par un décret du 7 avril 2016 de ses fonctions de délégué général auprès du président de la République, chargé de la promotion des valeurs de paix et de la réparation des séquelles de guerre.

En ce qui concerne les résultats proclamés par la Cour constitutionnelle, faute de leur publication intégrale au Journal officiel de la République du Congo, rien ne permet aujourd’hui d’avoir des données écrites par bureau de vote. Si certains candidats malheureux, notamment Michel Mboussi Ngouari, Nganguia Engambe Anguios et Joseph Kignoumbi Kia Mboungou en ont pris acte. La reconnaissance de la victoire de Denis Sassou N’Guesso est intervenue bien plus tard pour Guy Brice Parfait Kolelas qui a choisi d’introduire à la Cour constitutionnelle un recours qui, du reste, a été rejeté.

La crédibilité de l’élection présidentielle du 20 mars a été mise en cause par les États-Unis d’Amérique, l’Union européenne. La désapprobation de l’Union européenne a entraîné une crise diplomatique qui a conduit le ministre congolais des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso à demander le rappel de la Déléguée de l’Union européenne, Siska de Lang… Du côté français, Maurice Braud, secrétaire national à l’International, immigration et co-développement du Parti socialiste a contesté la recevabilité de l’élection de Denis Sassou N’guesso. C’est dans ce contexte de tension aigüe qu’il faut rappeler l’agression subie par trois journalistes de l’AFP et du quotidien français Le Monde qui sortaient d’un point de presse avec le candidat Jean Marie Michel Mokoko.

La crise post-électorale congolaise s’est déportée sur les réseaux sociaux et sur la place de Paris et États-Unis, notamment avec l’intervention de l’écrivain congolais Alain Mabanckou, Professeur associé au Collège de France pour la chaire de Création artistique. L’homme de lettres a été reçu à propos de la crise congolaise par le président français François Hollande.


Denis Sassou N’Guesso reçoit son homologue rwandais Paul Kagamé ( Ph : Communication Kagamé)

En dépit de cette crise de reconnaissance et de légitimité, le pouvoir renouvelé de l’ancien président a poursuivi imperturbablement l’exécution de l’agenda de sa consolidation et du fonctionnement de l’État. La cérémonie d’investiture de Denis Sassou N’Guesso a eu lieu le 16 avril 2016 en présence des chefs d’État d’Angola, du Gabon, du Sénégal, de la Guinée-Conakry, de Sao Tomé et Principe, de Namibie et du Niger. Le 23 avril 2016, Clément Mouamba a été nommé Premier ministre - chef du gouvernement. La nouvelle équipe gouvernementale est pour l’essentiel caractérisée par le départ de certaines personnalités proches de longue date de Denis Sassou N’Guesso, parmi lesquelles Rodolphe Adada, Florent Ntsiba, Aimé-Emmanuel Yoka, Isidore Mvouba, tous ministres d’État et l’entrée d’hommes et de femmes ayant activement participé à la campagne électorale du candidat.
Le nouveau chef d’État a effectué en Chine un voyage au cours duquel il a discuté avec les dirigeants de ce pays des perspectives de convertibilité du CFA en yuan. Denis Sassou N’Guesso qui est, par ailleurs, intervenu dans la question du dialogue en République démocratique du Congo, ne s’est cependant pas rendu cette année à l’Assemblée générale des Nations Unies. En ce qui concerne l’actualité diplomatique bilatérale, il faut retenir la nomination de Rodolphe Adada en qualité d’ambassadeur du Congo à Paris en remplacement de Henri Lopes et l’accréditation de Bertrand Cochery en qualité d’ambassadeur de France au Congo.

En face du pouvoir fortement préoccupé de la consolidation du fait accompli, l’opposition se présente pour l’essentiel en trois catégories :

 La première catégorie est celle soumise à la répression : cette catégorie comprend des personnalités qui n’ont pas reconnu les résultats du scrutin du 20 mars 2016. Il s’agit d’acteurs politiques embastillés pour affaires « judiciaires », en exil ou en fuite. Paulin Makaya qui avait manifesté contre le referendum constitutionnel en octobre 2015 a été condamné « pour incitation aux troubles de l’ordre public » le 25 juillet 2016 à deux ans de prison ferme avec une amende de 2 500 000 francs CFA. Parmi les personnalités objet d’un mandat de dépôt figurent Jean Marie Michel Mokoko et des membres de son équipe de campagne, Jean Ngouabi et Anatole Limbongo-Ngoka. Ils sont poursuivis pour atteinte à la sûreté intérieure de l’État, port illégal d’armes et trouble à l’ordre public. Parmi les opposants en fuite, il y a André Okombi Salissa dont le collaborateur Augustin Kala Kala a été soumis à la torture et abandonné près de la morgue municipale de Brazzaville. Me Massengo Tiassé fait l’objet d’un mandat d’arrêt international du procureur de la République André Oko-Ngakala : l’opposant, proche de Jean Marie Michel Mokoko, a, en effet, déposé au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme à Genève une liste des prisonniers politiques au Congo. Des personnalités assignées à résidence comme Claudine Munari ou Serge-Blanchard Oba ont ensuite recouvré leur liberté de mouvement.

 La deuxième catégorie est celle de l’opposition ménagée par le pouvoir. Elle comprend des personnalités qui ont pris acte des résultats de l’élection présidentielle. Le Collectif de l’opposition compte parmi ses membres Mathias Dzon, Christophe Moukoueke, Jean Itadi auxquels on peut joindre le secrétaire général de l’Union panafricaine pour la démocratie sociale (UPADS), Pascal Tsaty-Mabiala évincé, au profit de Claudine Munari de la présidence du cartel Initiative pour la démocratie au Congo (IDC) - Front républicain pour le respect de la constitution et l’alternance démocratique (FROCAD). À propos de ce cartel dont la coordination est animée par Charles Zacharie Bowao et qui rejette radicalement les résultats de l’élection présidentielle du 20 mars 2016, il convient de retenir la position singulière de Guy Brice Parfait Kolelas reconnu deuxième par la Cour constitutionnelle et tenté de jouer la carte des prébendes réservées par la nouvelle constitution au chef de l’opposition. Cette question du leadership de l’opposition affecte la position des uns et des autres par rapport au pouvoir.

 La troisième catégorie est l’opposition armée, combattue militairement par le pouvoir. Cette catégorie est incarnée par Frédéric Bintsamou alias le pasteur Ntumi, Les troubles consécutifs à la proclamation des résultats de l’élection présidentielle le 4 avril 2016 ont allumé aux quartiers sud de Brazzaville des troubles attribués par le pouvoir aux « nsiloulous » ou « ninjas » du pasteur Ntumi et qui se sont étendus dans le département du Pool. Le pouvoir et le pasteur Ntumi se rejettent l’initiative des hostilités. Le pouvoir accuse le pasteur Ntumi d’organiser des activités terroristes et organise sa traque. Frédéric Bintsamou déclare résister à l’agression du pouvoir et sollicite l’organisation d’un dialogue politique. La recrudescence des opérations militaires au mois de septembre 2016 a créé l’exode et l’errance des populations et un climat d’insécurité dans le département du Pool.


En apparence paisible (Ph : Flickr - Oscar W Rasson)

Dans ce climat post-électoral lourd d’incertitude et de soupçons, le cartel des partis du Centre est partagé entre la tentation de l’adhésion à la future majorité présidentielle et la sauvegarde d’une position de neutralité et d’arbitrage par rapport aux antagonismes du pouvoir et de l’opposition. L’adhésion est fortement préconisée par Digne Elvis Tsalissan Okombi, leader de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) titulaire du portefeuille de ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le parlement. La querelle de leadership à la tête du Conseil Supérieur du Centre (COSUC) entre Digne Elvis Tsalissan Okombi, Jean-Michel Bokamba-Yangouma et Marcel Valère Mabiala Mapa affectent à coup de destitutions successives l’homogénéité de cet espace pluriel.

Si la crise du Pool peut être perçue comme un dramatique révélateur de la crise sociopolitique que vit le Congo depuis un an, aucun consensus ne semble se dégager quant à la solution envisagée pour en sortir. Les acteurs politiques et l’opinion publique congolaise sont conscients de ce que les événements sanglants du Pool sont pour le pouvoir la confirmation ou l’accompagnement en termes de légitimité et pour l’opposition la contestation et le rejet des résultats de l’élection présidentielle du 20 mars.
Pour les tenants du pouvoir, le langage prioritaire sur les médias nationaux est celui de la répression de ceux qu’ils appellent « les terroristes », alors que les opposants, essentiellement sur les ondes de Radio-France Internationale, revendiquent l’organisation d’un dialogue. S’il est vrai qu’une dynamique de dialogue ne saurait éluder la question du contentieux électoral à l’origine des troubles du département du Pool, il demeure qu’en dehors d’une rencontre physique et d’un dialogue sans exclusive, c’est-à-dire assorti de la libération de tous les détenus politiques, comme le préconise la Déclaration finale de la 45e assemblée plénière de la conférence épiscopale du Congo, la décrispation de la vie politique en République du Congo, paraît à terme totalement compromise.

André-Patient Bokiba
Professeur des universités
apbokiba@yahoo.fr

Photo du logo : Flickr - WildRooster UK

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