francophonie, OIF, Francophonie, Organisation Internationale de la Francophonie, langue française, diplomatie culturelle, littérature, théâtre, festival, diversité culturelle, les francophonies

MENU
TOGO - Kossi Efoui

TOGO - Kossi Efoui

EXTRAITS de "l’Ombre des choses à venir" - Seuil

L’absurdité et la violence des dictatures, Kossi Efoui en connait les tours et les contours. Le dramaturge togolais ne cesse de poser des mots gorgés de poésie et de surréalisme sur les maux des individus broyés par ces régimes tragiques.

26 novembre 2011 - par Arnaud Galy 
Kossi Efoui
Ph : Seuil

L’absurdité et la violence des dictatures d’ici ou d’ailleurs, Kossi Efoui en connait les tours et les contours. Le dramaturge togolais, exilé en France depuis une dizaine d’années, ne cesse de poser des mots gorgés de poésie et de surréalisme sur les maux des individus broyés par ces régimes tragiques. « L’ombre des choses à venir  » creuse le même sillon. Roman qui pourrait être une pièce de théâtre tant le décor sombre et nu occupe une place prépondérante dans l’histoire de cette nuit de récit. Récit d’un jeune homme de 21 ans, qui ne doit sa survie qu’à des personnages haut en couleur et en fort en caractère qui prirent la place d’une mère devenue folle et d’un père écrasé par le pouvoir totalitaire. Un roman qui fait la part belle à la musique ou à l’absence de musique, à la voix ou à l’absence de la voix et à la pensée permanente pour les absents. Une nuit dans l’intimité d’un être. Une nuit dans laquelle se reflète les intimités de tant d’individus confrontés à de semblables machines à broyer...


EXTRAITS

Kossi Efoui
Ph : Seuil

Le vent fouettant ma face était une gifle bienveillante qui me forçait à me souvenir que ce n’était qu’un rêve, le vent était bruissant d’histoires que je connaissais bien, des histoires où il était question d’enfants s’étant retrouvés seuls après l’éloignement des parents, qui étaient adoptés de force en haut lieu par des couples distingués qui avaient besoin de jouets. Ou alors ils étaient placés dans des institutions spéciales où, selon les dires, on leur apprenait à haïr leurs parents, et parfois, toujours selon les mêmes dires, on y arrivait.

Le fils Untel, seul à neuf ans après éloignement des parents, placé dans un centre d’éducation spéciale, revenu au bout de trois ans dans le quartier, habillé comme un dieu nouveau, parlant une langue sophistiquée dans laquelle on finit par comprendre que ses parents, à son avis, ce qu’il leur était arrivé, leur disparation, leur malheur, c’était parce qu’ils étaient de mauvais sujets. Sinon, ils n’auraient pas été frappés par le règlement.

Son oncle, après mille précautions d’hospitalité, lui dit :

« Mais, toi, tu sais qu’ils n’ont jamais rien fait. »

Et lui, d’un air administrateur : « Sait-on jamais ? »

Son oncle ne dit plus rien, prit peur, parce qu’il venait de comprendre que, malgré les apparences, ce n’était pas son véritable neveu qui était là. Il venait de comprendre que le garçon qui se tenait là en face de lui et qui riait, c’était le simulacre de son neveu, rempli d’une parole enregistrée qui empruntait, par possession, la voix et le corps de son neveu mort et transformé en zombi.

Dans une autre version de cette histoire, on entend le neveu dire : « Les gens qui disparaissent méritent ce qui leur arrive. »

L’oncle : « Y compris tes parents ? »

Le neveu : « Y compris mes parents. » (page 20, 21)


Et comme ça arrivait de plus en plus souvent, Maman Maïs sortait de plus en plus souvent la poupée en bois raccommodée au fil de fer et à la cordelette de chiffon, un pantin mutant comme nous, grandeur bébé, dont elle se servait pour enseigner aux plus grands l’art de porter les plus petits sur le dos. « Je ne vous demande pas d’être frères ou sœurs, je vais vous apprendre à être une mère pour tous. »

Garçon ou fille, apprendre à se cambrer, à se maintenir légèrement à l’oblique, à attacher le pantin sur son dos, les bras dehors selon qu’on l’imagine réveillé, ou les bras à l’intérieur du pagne selon qu’on l’imagine endormi.

Et les petits qui avaient plus d’une fois vu le pantin rouler au sol et regarder le ciel d’un air embêté ne craignaient pas de prendre sa place, des petits qui avaient l’élégance de rouler dans la poussière, avec la vaillance d’un vrai pantin cascadeur. « Très bien, très bien », disait Maman Maïs de sorte que les atterrissages en catastrophe étaient un show si attractif que même Abi, elle qui ne riait jamais, s’étonnait de rire plus que les autres, et de se lancer dans l’exercice plus souvent que tout le monde. (page 34, 35)


Le lendemain, pendant que je lisais à mon père le document que m’avait remis l’officiel dans le bureau du directeur, la pluie de la veille s’obstinait encore aux fenêtres, l’excitation couplée à la sécheresse de la langue administrative me faisant buter contre plus d’un mot ministériel - « au vu des mérites et en conclusion d’une attentive appréciation des antécédents ». Tel que c’était écrit, il était question de me faire « évoluer dans le confort d’un internat de pointe, l’Institut laboratoire ».

L’Institut était considéré surtout le territoire comme une garantie pour l’avenir, un accès direct au magasin du bonheur, un lieu où même les flèches de la malchance ricochent contre le blindage du savoir.

Je me sentais ce jour-là comme quelqu’un qui aurait longtemps vécu sous cloche, et qui voyait soudain tout un ciel s’ouvrir et livrer des visions inouïes.

Il faut imaginer ce qu’on peut éprouver le cœur d’un homme qui aurait été séparé de la mer par des hautes murailles, qui aurait entendu le bruit des vagues toute sa vie sans avoir vu l’océan, il faut imaginer la respiration de cet homme un matin où les murailles s’écroulent sous ses yeux. (page 48, 49)


Une autre fois, alors que j’approchais de la cabane, j’ai entendu un chant d’oiseau, non pas un sifflement mélodieux mais une sarabande de voyelles ricochant les unes sur les autres, puis une autre voix lui répondant, oui, jouant des voyelles pareillement que l’oiseau, mais comment dire, avec un accent d’humain, c’était la voix de mon père vocalisant avec l’oiseau.

J’ai réglé mon œil sur l’ouverture dans la serrure, et voici ce que j’ai vu : l’oiseau, les plumes débarrassées de la gangue de boue, sautait plus qu’il ne volait, plumes écartées dans une brillance de rayons, et puis sans cesse retombait sur l’épaule de mon père ou dans sa main.

Et je ne parle pas, dit l’orateur, du souvenir que j’ai encore de son visage, avec ses pommettes et son menton, la jachère de sa barbichette, pompeuse malgré toute la maigreur et la sècheresse. Je regardais sa bouche que j’avais connue jusque-là froncée dans le coin gauche. Il faut imaginer la lèvre inférieure, comment elle se crispait et s’agrippait aux dents.

Je regardais cette bouche se dénouer, s’abandonner à un sourire d’innocent sur le visage étonné.

Mon père répondait à l’oiseau, étonné de lui-même de jacter du larynx, des narines, de la poitrine, de la nuque, ces envolements de sons, qu’il enchaînait couramment, suivant les lignes de force qu’imprimaient les montées, les descentes, les suspensions de l’oiseau et je ne sais pas celui des deux qui a fait silence le premier. Mais j’ai vu l’oiseau quand tout son corps a tremblé d’un rire, oui, dit l’orateur, d’une explosion sonore semblable à un rire, mélangé à des battements d’ailes, comme s’il applaudissait la bêtise complice d’une bonne blague...

… Pendant que se poursuivait sur le mode fondu enchaîné l’échange entre la voix de mon père et celle de l’oiseau, ma pensée était arrimée à la certitude que j’assistais à un rendez-vous hors du monde commun, un rendez-vous clandestin entre mon père et ma mère enfin transformée en oiseau selon son vœu. (page 76, 79)


Kossi Efoui

L’ombre des choses à venir

Seuil - 2011

Lire l'article sur Portrait de Kossi Efoui - La Grande Librairie - TV5

Partagez cette page sur votre réseau :

Précédents Agora mag