À l’occasion du Sommet de la Francophonie 2024, Agora francophone a invité des journalistes francophones à travailler au sein d’une rédaction décentralisée afin de rendre compte de l’événement :
Falilatou Titi (Bénin), Bigué Bob (Sénégal), Ramcy Kabuya (RDC/France), Samia El Achraki (Maroc) et Motchosso Korolakina (Togo).
Edgar Fonck (Belgique) membre d’Agora francophone Internationale et Anne-Françoise Counet (Belgique) journaliste à Nouvelles de Flandre complètent l’équipe.
Action soutenue par la Délégation au Sommet de la Francophonie – Ministère des Affaires étrangères (France).
- Alexandre Dumas
- © Cité internationale de la langue française
Un voile gris assombrit le ciel de ce matin de début octobre. Il n’empêche, la ville se dresse avec une certaine prestance, révélant des détails architecturaux raffinés et une atmosphère singulière qui captivent le regard. Bienvenue à Villers-Cotterêts ! Ici est né Alexandre Dumas. Ici également se trouve un château historique rénové sous le magistère du président Emmanuel Macron et qui accueille aujourd’hui la Cité de la langue française où s’est tenu ce 4 octobre le 19e Sommet de la Francophonie. Le choix n’est pas hasardeux.
En 1539, François 1er a signé dans le château de Villers-Cotterêts une ordonnance historique pour, entre autres, imposer le français dans les actes administratifs et juridiques. Tout un symbole ! Ici, la langue vibre dans chaque pièce de ce qui constitue le Parcours de visite permanent situé au logis royal. On accède à la première pièce de l’itinéraire découverte en empruntant les escaliers du roi. L’exposition s’ouvre sur une histoire du château. Elle est d’ailleurs intitulée « Un château, un territoire ». Une belle part d’histoire y est racontée avec des outils de notre génération… et plus comme cette Bibliothécaire 5.0 qui, par sa voix, pose des questions à ses hôtes et leur donne après des conseils de lecture francophone suivant leur état d’esprit du moment. Une inspirante expérience qui s’inscrit au milieu d’une installation variée avec des écrans projetant des extraits de films d’époque, de sketches d’humoristes, etc. On apprend dans cette salle qu’on n’habite pas un pays, on habite une langue et des Francophones du monde y racontent leur relation avec le français. Juste à côté, sont exposés des visages de la langue française, de la Francophonie dont Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf (deux anciens présidents de la République du Sénégal).
- © Cité internationale de la langue française
L’apprentissage par le jeu
À la Cité de la langue française, les découvertes ne se limitent pas aux seules pages du passé. Les visiteurs peuvent également s’adonner à des jeux captivants tels que des mots mêlés projetés sur grand écran. Ils auront l’occasion de se mesurer, en outre, à la stature de François 1er, de s’engager dans un défi interactif où, guidés par deux personnages à l’écran, ils répondront à des questions d’orthographe tout en bénéficiant d’explications enrichissantes. Le visiteur peut également s’immerger dans l’univers de tétraglotte, un jeu où les participants peuvent créer « un texte chimère » en utilisant des cartes de différentes couleurs : bleu pour le registre courant, jaune pour le registre soutenu ou désuet, violet pour le registre familier ou l’argot et orange pour explorer les variantes francophones et régionales. Car comme disait Victor Hugo et rapporté sur l’un des murs du Parcours de visite : « Une langue ne se fixe pas. L’esprit humain est toujours en marche, ou si l’on veut en mouvement et les langues avec lui. » Ainsi, la langue française a connu des métamorphoses au fil des ans et selon les régions. Une partie de ces évolutions et changements est exposée dans le château de Villers-Cotterêts. Ceci a participé à enrichir la langue.
Par ailleurs, si en parlant du français on dit la langue de Molière, les commissaires de l’exposition permanente de la Cité française pensent que c’est parce que ce dernier, contemporain de Racine ou encore La Fontaine, se démarque en donnant à entendre toutes les formes du français de son temps. À travers une riche galerie de caractères issus de différents milieux, Molière met en scène la diversité des parlers et des registres de langue. À travers « la comédie du français » on montre comment Molière a inspiré les auteurs francophones.
La Francophonie représente également une Affaire d’État, une dimension essentielle qui trouve sa place au sein de l’exposition permanente. En effet, après avoir exploré les aspects didactiques et ludiques, le visiteur peut découvrir cet aspect presque à la fin du parcours dans une salle empreinte d’un peu de solennité où l’on découvre l’Acte 2 de la Constitution française : « La langue de la République est le français ». En déambulant dans les méandres de cette pièce, on peut presque entendre les échos des débats qui ont façonné la langue que nous parlons aujourd’hui. Celle qui a vu à la Renaissance des centaines de mots italiens entrer dans la langue française, comme on l’apprend dans la partie de l’exposition dédiée à l’influence italienne.
Une aventure évolutive
On sort de la Cité de la langue française en pensant avoir tout vu. Mais c’est sans compter sur l’ingéniosité de ceux qui ont pensé cette ville. Les magnificences du français nous accompagnent jusqu’à la gare du Train Express Régional. Sur des tableaux accrochés le long des grilles entourant l’arrêt, se déploient des messages et des déclinaisons de la langue de Dumas, organisés autour de thématiques soigneusement choisies.
Ainsi, sous le thème Autour des animaux se dévoilent des expressions provenant de divers horizons tels que « Rire comme une baleine » ou « S’ennuyer comme un rat mort ». Le thème « Autour du corps » invite à découvrir des « Morceaux choisis » de l’espace francophone, parmi lesquels l’expression sénégalaise « Marcher sur la langue », signifiant « Lui ôter les mots de la bouche », et la formule belge Jouer avec les pieds de quelqu’un , qui évoque l’idée de faire tourner en bourrique autrui. L’exploration se poursuit avec Autour des vêtements , où nous croisons l’expression québécoise « Passer la nuit sur la corde à linge », illustrant le fait de ne pas fermer l’œil. Ces tableaux, véritables témoignages de la richesse des expressions francophones, révèlent que le français est une « Langue en mouvement ».
Ainsi, une véritable « Aventure du français » attend les visiteurs à la Cité internationale de la langue française, un lieu où la langue s’épanouit et se réinvente à chaque instant.
- © Bigué Bob
Ce qu’ils ont dit…
Sur un des tableaux qu’accueillent les murs de la Cité de la langue française se distingue un ensemble de portraits de personnalités du monde francophone qui parle de leur rapport à la langue française, à la France. La question de la colonisation n’est pas éludée.
LEOPOLD SEDAR SENGHOR
"La Francophonie, c’est cet humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre : cette symbiose des ‘énergies dormantes’ de tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire.’’VÉNUS KHOURY-GHATA
"Mots choisis d’Orient ou de la Francophonie, la langue française danse sur mes lèvres, innocente et irrévérencieuse.’’FRANTZ FANON
"Le Noir n’est pas un homme. Il faut être blanc pour être un homme. Sinon il n’est qu’un « Nègre », Le « Nègre » du Blanc.’’PAULETTE NARDAL
"Césaire et Senghor ont repris des idées qui nous étaient familières et en ont exprimé avec beaucoup plus d’éloquence. Nous n’avons jamais été féministes. Nous avons balisé les pistes pour les hommes.’’ABDOU DIOUF
"La langue française n’appartient pas aux seuls Français, elle appartient à toutes celles et tous ceux qui ont choisi de l’apprendre, de l’utiliser, de la féconder aux accents de leurs cultures, de leurs imaginaires, de leurs talents.’’ASSIA DJEBAR
"Oui, enseigner aux filles l’arabe ou le français est une libération et une conquête... L’analphabétisme général est en soi un des maux les plus cyniques d’une société.’’RENÉ DEPESTRE
"De temps à autre, les grands empires raciaux ont donné quelques pages au sourire d’une femme noire. C’est la dette qu’ils reconnaissent devoir à l’intelligence du Nègre rêveur.’’MICHÈLE LALONDE
"Il est question de ton peuple, il est question de ton peuple partout en France, à Washington, à New York, il est question de ton peuple. Et l’on en parle comme d’un peuple à qui il faudra plus de sagesse que d’ange ou de Bible.’’LÉON-GONTRAN DAMAS
"Mets ta grâce dans la douceur de tes yeux, Nègre-Jeune-Nègre debout et libre, debout et fier mon frère Nègre, Nègre nous.’’KATEB YACINE
"J’écris en français pour dire aux Français que je ne suis pas français.’’ONÉSIME RECLUS
"La langue française n’est plus la langue d’une nation, mais celle d’un peuple.’’