Il est des livres dont l’intelligence et la pertinence vous sautent aux yeux dès l’abord. « L’Afrique contre la démocratie », d’Ousmane Diaye, est de ceux-là. A rebours des idées reçues et raisonnements simplistes, il invite à réfléchir au sens des mots, en particulier celui, si galvaudé et instrumentalisé, de démocratie.
L’ouvrage dresse un constat et inventorie les mythes à l’œuvre dans les commentaires sur les processus démocratiques en Afrique. Il décrypte les dénis en cours et identifie les périls majeurs pour l’épanouissement démocratique sur le continent.

Démonstration implacablement décisive de l’inanité des slogans anti-occidentaux qui placent l’Occident comme référence involontaire mais obsédante de ses pourfendeurs les plus acharnés. Occident bouc émissaire pour justifier les dérapages totalitaires (ce qui n’absout en rien ses erreurs d’ingérence paternaliste et néocolonialiste).
La description des populismes médiatiques vaut le détour, comme celle de l’absolution donnée aux coups d’Etat militaires « parce qu’ils sont plus honnêtes et gèrent mieux la nation », assertion méticuleusement et scientifiquement démentie par une observation rigoureuse des faits. La kagaméphilie, admiration sans bornes du dictateur rwandais, trouve ici ses limites objectives, comme la sankaraphilie, brandie sans examen historique réel par les militants aveuglés du panafricanisme. Un panafricanisme mythifié, solution potentiellement miraculeuse aux maux du continent, mais si illusoire dans sa mise en œuvre.

Le cas du Mali, autrefois porté en exemple démocratique, est particulièrement et judicieusement disséqué. L’un après l’autre, Alpha Condé, Laurent Gbagbo, Abdoulaye Wade, sont confrontés à leurs contradictions : on se demande où l’auteur pourra revoyager tranquille en Afrique de l’Ouest ! Pas plus qu’en Tunisie, dont il illustre concrètement la dérive autoritaire après les espoirs de la révolution printanière.
Non sans finesse, Ousmane Ndiaye dresse le (mauvais) bilan des actions de l’évangélisation démocratique, par les institutions internationales ou les ONG, et dévoile les mauvaises manières des condescendances et des doubles standards d’analyse.
Exigeante lecture, mais passionnante. Au passage, rappel original des pratiques démocratiques ancestrales violentées par la colonisation, des décentralisations du pouvoir au sein des communautés locales, à l’instar des fokonolona malgaches.
A lui seul, ce livre démontre, si l’on en doutait, que bien sûr, l’Afrique est entrée dans l’histoire, y compris l’histoire de la démocratie, depuis longtemps, que ses acteurs sont majeurs et capables, qu’ils doivent simplement en prendre conscience sans complexes ni hésitations.
Au chapitre de la démocratie, vivement que la période coloniale ne soit plus qu’une parenthèse ! Qu’elle ne serve pas de paravent aux dérives d’aujourd’hui ni aux déviances de demain.

PS – Un excellent numéro (le 39, été 2025) de la Revue des littératures de langue française des Editions Riveneuve présente une synthèse tout à fait passionnante de la collection « Pépites jaunes », avec une interview de son directeur El Hadj Souleymane Gassama, dit Elgas et des extraits significatifs d’une quinzaine de livres, dont celui d’Ousmane Ndiaye

Ousmane Ndiaye, L’Afrique contre la démocratie. Mythes, déni et péril, Riveneuve Editions Paris, collection Pépites jaunes, 174 pages, 10,50€