Il y a un siècle, à Smyrne au cœur de l’Empire Otttoman, naissait Henri Langlois. Homme que tous les cinéphiles français, ou non, connaissent pour l’œuvre grandiose qu’il accomplit sans relâche toute sa vie durant : la création et l’animation de la Cinémathèque française*. Lieu culte encore aujourd’hui... Honorons la mémoire d’Henri Langlois en établissant un lien direct avec ce que l’Organisation Internationale de la Francophonie entreprend en cette année 2014. Henri Langlois peut reposer en paix, en Francophonie, on perpétue la mission qu’il s’était fixée : conserver et faire vivre le patrimoine audiovisuel. Direction le continent africain et Haïti pour découvrir le projet Capital numérique.
- Abusan - 1972, réalisé par Henri Duparc. Côte d’Ivoire et Guinée.
Depuis 1988, l’OIF est le principal guichet de financement du cinéma des pays du Sud. Les cinéastes africains, haïtiens, cambodgiens ou vietnamiens ont su se partager l’enveloppe allouée par l’Organisation pour offrir quelques pépites cinématographiques aux publics du monde. 1500 œuvres ont vu le jour, ou plutôt les salles obscures, grâce au dispositif appelé Fonds francophone d’aide à l’audiovisuel du Sud. En contrepartie de l’aide apportée les créateurs fournissent à l’OIF une copie 35mm ou numérique de leur œuvre. Petit à petit, l’OIF s’est constituée une mémoire unique du cinéma de ces dernières années. Pourquoi unique ? Simplement, car, dans bien des cas, les années passant la copie déposée à l’OIF est la seule à avoir été conservée dans un lieu sain... et donc en bon état. Mais que faire de ce stock d’images contenant une part du génie africain, comment le faire vivre ? La réponse vient de tomber !
- Si Gueriki, la reine-mère - 2002, réalisé par Idrissou Mora-Kpaï. Bénin.
L’OIF a signé un accord avec La Bibliothèque Nationale de France qui a la mission de mettre à disposition du public des œuvres soigneusement conservées. Les cinéphiles, les étudiants et les chercheurs peuvent consulter ce patrimoine sur place. Notons que la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (ADOPI) autorise la numérisation des œuvres sans l’autorisation explicite des ayants droit. La BNF aura donc le droit de numériser les œuvres afin de mieux les conserver et les diffuser. Un autre lieu de visionnage ouvrira sous peu à Ouagadougou (Burkina Faso) grâce à un accord avec l’Institut burkinabé Image dirigé par le réalisateur Gaston Kaboré. Quel bonheur de savoir que le Sud sera dépositaire de cette richesse au même titre que le Nord !
Autre axe de travail initié par l’OIF, la sauvegarde du patrimoine télévisuel de 19 pays africains accompagnés d’Haïti. L’Organisation travaille de concert avec le Conseil international des radios et télévisions d’expression française (CIRTEF) afin de mieux organiser l’archivage des productions des télévisions publiques et de quelques télévisions privées. Toutes ces chaines sont équipées d’un même logiciel d’indexation et de numérisation. Les œuvres de fiction, les documentaires et le fil d’actualité peuvent ainsi être « mis à l’abri ». Les vingt pays concernés ne sont pas tous logés à la même enseigne. L’instabilité politique des uns, le manque de moyens techniques et financiers des autres voire même pour certains la volonté défaillante des décideurs font que la numérisation et la sauvegarde ne sont pas égales entre le Bénin et le Niger ou Haïti et Madagascar. Mais l’urgence est de stopper au plus vie cette catastrophique perte de mémoire. La numérisation des anciens supports est la priorité absolue.
- Festival de danse de Dosso, 1979, Niger. Image d’un documentaire réalisé par la télévision nigérienne.
L’Union Européenne s’est jointe à l’OIF pour débloquer 685 000 €, fonds nécessaires au lancement du projet. Pour que la réussite soit au rendez-vous, les professionnels et les décideurs de l’audiovisuel des 20 pays doivent se mobiliser, être investis dans la mission ! Pour cela l’OIF et le CIRTEF doivent démontrer que ces archives ont une valeur artistique et informative, mais aussi financière. Chacun doit réaliser que « faire du neuf avec du vieux », autrement dit recycler n’est pas seulement valable pour les ordures ménagères, mais aussi pour les milliers d’heures d’émission. C’est là qu’intervient Archibald ! Archibald n’est pas le nom d’un vieil archiviste à lunettes, mais celui d’un logiciel de pointe élaboré par l’Institut National de l’Audiovisuel, l’organisme français qui gère le sujet pour la France et qui fait figure de modèle à suivre... Archibald permettra de mettre en réseau les archives des 20 pays et fournira une matière première de qualité et diversifiée à chaque télévision qui pourra ainsi créer ses propres programmes. Un concept d’émission nommée Flash-back est en gestation. Il s’agira de très courts-métrages de 2 min ayant trait à la politique, l’économie, la culture ou le sport utilisant comme support les images d’archive. Ces programmes seront échangés entre les pays et, souhaitons-le, démontreront par l’exemple les possibilités infinies offertes par le « vieux qui ne demande qu’à se transformer en neuf ! ». Ensuite... pourquoi ne pas vendre dans l’Afrique entière, pourquoi ne pas exporter en Europe ou en Amérique du Nord ?
La réussite de Capital Numérique est dans les mains des professionnels africains. La prise de conscience du besoin a eu lieu, l’alimentation du système est en cours. Nous devons rendre moderne la notion de mémoire et faire en sorte que l’effacement de la mémoire s’arrête. Ce programme permettra la résurgence de la mémoire... l’ambition de Capital Numérique est ainsi résumée par Pierre Barrot, son responsable à l’OIF. Une belle ambition que n’aurait pas reniée Henri Langlois !
* Avec Georges Franju et Jean Mitry
- L’mrayet - 2011, réalisé par Nadia Rais. Tunisie.