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Ajar-Paris - Fanta Dramé

Ajar-Paris - Fanta Dramé

6 juin 2023 - par Arnaud Galy 
Fanta Dramé - © Arnaud Galy - Agora francophone
Fanta Dramé
© Arnaud Galy - Agora francophone

Né à Ajar, Mauritanie.
Héros du quotidien depuis bientôt 50 ans à Paris

Fanta Dramé, vraie parisienne, selon ses propres paroles, au sourire généreux, traversait sa vie sans trop se poser de questions sur son identité, ses origines et le pourquoi du comment. Née en France d’un père mauritanien et d’une mère sénégalaise, la jeune femme bien dans ses baskets, génération Harry Potter avala tous les copieux classiques français, sans tout comprendre, pour se forger un bagage et intégrer un lycée dans le chic Marais parisien...

Une vraie Parisienne qui organise des brunch, se réapprovisionne en boissons sucrées américaine en canettes rouges à des heures où les Angoumoisins dorment déjà et vit à 100 à l’heure. Ses 36 ans lui autorisent ces joyeusetés ! Professeure de français en proche banlieue parisienne depuis que son Master en lettres classiques et son CAPES lui en ont ouvert les portes...

… jusqu’à ce qu’un appel téléphonique dramatique la fasse entrer dans une seconde partie de sa vie. Celle des questions ! C’était en 2013. Un appel qui apprend à la famille de Fanta Dramé que la grand-mère paternelle venait de décéder...

Impossible de ne pas rendre un dernier hommage à cette lointaine mais aimée personne. Cap sur Ajar, village au Sud de la Mauritanie qui aurait pu se trouver au Sénégal ou au Mali si les découpeurs de l’Afrique avaient déplacé leur règle de quelques centimètres sur la carte. Le cœur lourd, Fanta Dramé et les siens prennent l’avion. Pour elle c’est une Première. Choc. La vraie Parisienne est aussi estomaquée que dépitée. Ajar, Le Ajar dont elle entend parler depuis toute petite est encore plus désespérant que dans ses cauchemars : une grande mosquée financée par la diaspora mauritanienne, quelques maisons, une boutique qui se vide sous les assauts répétés des « français » consuméristes. S’impose à elle, ses frères et sœurs, une furieuse envie de quitter ce lieu où reposera leur grand-mère et où est né et à grandi jusqu’à l’âge de 26 ans son père. Le cerveau et le cœur de la jeune femme bouillonnent. Ses frères et sœurs ne sont pas au mieux, non plus !

Retour à Paris. Le chagrin du moment s’estompe, c’est la vie ! Mais une foule de questions tambourine dans le crâne de la vraie Parisienne ? Avoir vu Ajar bouleverse ses logiciels comme dans d’autres temps Vierzon chamboulait un certain chanteur belge ! Il lui arrive même de penser que peut-être Romain Gary s’est inspiré du nom du village natal de son père pour construire la légende d’Emile ? Vraiment Fanta Dramé est perturbée... Plus sérieusement, elle mouline : comment mon père a-t-il pu vivre à Ajar au milieu de RIEN ? Comment a-t-il émigré, qui l’a aidé, par quelle voies, comment s’est-il installé dans la capitale française ? Comment a-t-il vécu la réussite obligatoire qui est assigné à chaque candidat à l’exil ? Que fait-il ici, presque vrai Parisien, fonctionnaire de la ville de Paris ? Et puis... comment s’est-il débrouiller pour réaliser ces travaux herculéens sans parler ni lire le Français au début ! Sans papier ! Et ma mère, venue de Dakar, comment l’épouse-t-il, comment se retrouve-t-elle à la tête de sa famille de 9 enfants ?
La fille de ce père taiseux et soudain romanesque passe à l’offensive : Papa je veux écrire un livre sur ta vie ! Moment de silence.

Peu de gens, voire personne, ne prend la jeune femme au sérieux. Mais elle se met au travail, achète un carnet qu’elle intitule Ajar Paris et comme une journaliste pose des questions indiscrètes à son père qui tombe des nues ! Lui qui avait caché, refoulé, tabooïsé tant de faits et gestes joue le jeu, répond... parfois ne répond pas – par pudeur ou pour ne pas mettre dans l’embarras des gens qui l’ont aidé en 1975 ! - Là se trouve l’explication du mot « Roman » qui s’affiche sur la couverture du livre de Fanta Dramé. Elle a comblé les creux avec d’autres témoignages que paternels.

Au delà de l’histoire de ce père besogneux, pour qui le mot loisir est hors de propos et qui croit fermement que la dépression est une maladie de blancs, Ajar-Paris est une fresque historique de ces années 75 – 95 du siècle passé, années pendant lesquelles les émigrés furent considérés avec un respect qui n’a plus cours depuis longtemps. Un parcours individuel qui doit résonner dans l’oreille de bien des émigrés, mauritaniens, sénégalais et pourquoi pas italiens ou polonais d’une autre époque.

Au père de l’écrivaine, parlez de régularisation de tous les émigrés présents sur le sol français, de regroupement familial et d’ouverture des concours de la fonction publique... en un résumé bien trop rapide, parlez-lui de François Mitterrand, vous verrez ses yeux briller !
Aujourd’hui, tous ses enfants ont suivi des études, travaillent... et tous se souviennent que lorsque leur père a annoncé la voix éraillée par la tristesse que « Tonton est mort », il ne parlait pas d’un vieil oncle de Dakar mais du Tonton de Jarnac !

Les jeunes élèves de Fanta Dramé se rendent-ils compte du modèle qu’ils ont face à eux à chaque cours ? Dans une époque où politiques et experts se demandent en boucle comment faire en sorte que la jeunesse trouvent des inspirateurs qui leur ressemblent et des sources d’énergies venues d’outre Méditerranée, d’outre Sahara, d’outre Danube ou du fil du Mékong. Fanta Dramé est de cette race ! Les gamins l’ont vu sur YouTube, signe qu’elle est en cours de validation au collège...


Merci à Musiques Métisses et Littératures Métisses (Angoulême - France) d’avoir tout mis en œuvre pour que cette rencontre avec Fanta Dramé ait lieu dans de si belles conditions.


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