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BRÉSIL - Retour sur l’année 2016-2017

BRÉSIL - Retour sur l’année 2016-2017

15 septembre 2016 - par Cristina Casadei Pietraroia 
 - © Flickr - edward zulawski
© Flickr - edward zulawski

Une traversée difficile
Zica, avec « c », veut dire, en portugais, quelque chose de mauvais, un problème, une situation malheureuse ; son étymologie n’est pas connue, mais certains affirment que le mot est un abrégé de « ziquizira », qui signifie « pas de chance ». « Que zica ! » (Quelle zica !), par exemple, quand on se voit pris au milieu d’une histoire cauchemardesque comme attraper une grave maladie qui oblige la personne à rester un mois chez elle et, de ce fait, perdre des jours de travail, être renvoyée, ne pas pouvoir se mettre officiellement au chômage, car il n’y a personne pour s’occuper de ses enfants, qui ne peuvent pas rester seuls et qui ne vont pas à l’école, car il y a une grève des enseignants pour de meilleures conditions de travail et de salaire, etc., etc. « Que zica ! », ira-t-on dire.

Dilma Rousseff dans la tourmente (Flickr - Agencia Brasil Fotografias)

CONTEXTE POLITIQUE et ÉCONOMIQUE

Cette « zica » n’a rien à avoir avec le virus de la maladie zika, avec « k », pourtant, le malheureux jeu de mots est aujourd’hui présent dans la vie des Brésiliens, pour qui le deuxième semestre de l’année 2015 et le premier semestre de 2016 se montrent plus un cauchemar que le rêve annoncé dans la couverture du magazine The Economist du 12 novembre 2009, où le Christ de Rio de Janeiro décollait (« Brazil takes off »). Quatre ans plus tard, le 28 septembre 2013, sur la couverture de la même revue, il tombait du haut (« Has Brazil blown it ? »), ainsi que les Brésiliens…

Oui, nous sommes tombés des nues et, comme le Christ de la troisième couverture de cette série du magazine britannique (du 23 avril 2016), nous crions au secours. Le titre affiché (« The betrayal of Brazil ») reflète bien le sentiment d’une grande partie de la population brésilienne : le Brésil se sent trahi par sa classe politique, par les promesses qui n’ont pas été tenues, par la non-réalisation de réformes structurelles absolument nécessaires et par un système de corruption endémique qui s’est montré opérant partout, du Sénat aux entreprises en passant par les services publics.

Le gouvernement Lula (2003-2011) avait réussi à tirer de la misère plus de 25 millions de Brésiliens, mais cet important changement social n’a pas été fondé ni accompagné par un investissement effectif dans l’éducation, le seul moyen de transformer de façon positive, radicale et permanente la société. Selon Frei Betto, un des principaux acteurs du Parti des Travailleurs (PT) à son début, Lula a changé un projet pour le Brésil par un projet pour le pouvoir, et c’est cela qui, actuellement, met par terre de réelles conquêtes obtenues. Dilma Roussef, pour se faire élire pour son deuxième mandat, décide de jouer à quitte ou double ; elle remporte les élections, mais en sort sans possibilité de gouverner le pays, tel le niveau d’endettement des finances publiques. Tout au début de son deuxième mandat, Dilma Roussef admet que l’économie a besoin de quelques ajustements pour que le pays reprenne la croissance, mais les Brésiliens découvrent, effrayés, peu de temps après, le plus grand scandale de corruption au sein d’une compagnie nationale, la pétrolière Petrobras. L’opération Lava Jato (« Lavage rapide »), enquête de la police fédérale du Brésil, commencée en mars 2014 et dirigée par le juge Sergio Moro, montre que la Petrobas, jusque là considérée comme la fierté des Brésiliens, aurait versé pendant des années de l’argent à au moins 25 députés, six sénateurs et trois gouverneurs, principalement dans le camp du gouvernement, aux mains du Parti des Travailleurs, le parti de la présidente. Le parquet évalue à environ quatre milliards de dollars le total des sommes détournées en dix ans.

En mars 2015, autour d’un million de Brésiliens manifestent pour exiger le départ de la présidente, dont la popularité chute brutalement. Elle est confrontée à une récession économique qui la mène à adopter des mesures d’austérité impopulaires ; les révélations dévastatrices du scandale de corruption autour du géant public pétrolier Petrobras atteignent son parti et d’autres partis alliés, et une crise politique aiguë la menace de perdre sa majorité parlementaire. Des membres importants du Parti des Travailleurs sont arrêtés et condamnés : João Vaccari Neto, le trésorier du parti, et son prédécesseur, José Dirceu. L’ancien président Lula se voit, lui aussi, accusé de trafic d’influence, après avoir quitté le pouvoir, en faveur de l’entreprise de travaux publics Odebrecht, dont le président est incarcéré en juin 2015, condamné à presque 20 ans de réclusion.

Les manifestations continuent à avoir lieu dans tout le pays, contre ou pour la présidente, dont les comptes de campagne électorale sont rejetés à l’unanimité par le Suprême Tribunal Électoral. En outre elle est accusée d’avoir camouflé la réalité des finances publiques brésiliennes et creusé dangereusement le déficit en 2015. Après des mois de discussions, une procédure de destitution finalement est ouverte, le 2 décembre, à l’encontre de la présidente. Le Brésil, déjà frappé par la récession économique, entre désormais dans une période de profonde incertitude politique.

En français, s’il-vous-plait ! (Ph : Flickr - Babak Fakhamzadeh)

2016 arrive, mais on ne part pas du bon pied... Les accusations contre le Parti des Travailleurs augmentent, on parle de coup d’État, la population brésilienne se partage entre le croire ou pas. Le 12 mai, Dilma Rousseff est éloignée du pouvoir par la majorité des votes des sénateurs. Elle est remplacée par Michel Temer, son vice-président qui aurait obtenu 3 % des suffrages s’il s’était présenté à l’élection présidentielle. Devenu président par intérim à l’âge de 75 ans, cet homme politique d’origine libanaise a six mois pour essayer de redresser le pays et le mettre sur la voie de la croissance, en étant obligé, pour cela, d’adopter des mesures extrêmement impopulaires, comme les réformes fiscales, électorale et de la sécurité sociale, ainsi que des coupes dans les dépenses publiques pour relancer l’économie du pays. En sera-t-il capable ?


L’effondrement d’un barrage minier dans la région de Mariana (Ph : Flickr - Senado fédéral)

SOCIÉTÉ

De la boue partout
Comme que pour illustrer la boue dans laquelle s’embourbe la classe politique brésilienne, en novembre 2015, la plus grande catastrophe environnementale qu’a connue le Brésil a lieu à Minas Gerais : l’effondrement d’un barrage minier dans la région de Mariana (sud-est du pays) provoque une immense coulée de boue toxique qui fait au moins 17 morts, plus de 50 blessés, et engloutit tout un village de plus de 500 habitants. La coulée contamine un important fleuve de la région, le Rio Doce, et arrive au littoral de l’État d’Espírito Santo. Selon les spécialistes, il faudra entre 100 à 150 ans pour décontaminer la région.

La chasse aux moustiques (Ph : Flickr - Agencia Brasilia)

Un moustique : trois maladies
En plus de la corruption qui paraît insurmontable et de la boue ineffaçable à Mariana, les Brésiliens doivent faire face, à la fin de l’année 2015, à un autre cauchemar : le moustique aedes aegypti provoque, à lui aussi tout seul, des ravages par les maladies qu’il transmet : la dengue, la zika et la fièvre chikungunya, toutes les trois disséminées à cause du mauvais traitement sanitaire voire du manque total de traitement sanitaire dans les banlieues brésiliennes. Près de 700 personnes sont mortes en 2015 après avoir attrapé la dengue ; à la fin de cette même année, les médecins découvrent, ahuris, un lien entre la zica et la microcéphalie (crâne anormalement petit) chez les nouveau-nés. On parle de plus de mille cas confirmés par le ministère de la Santé et plus de 3000 cas suspects de malformation génétique. Aucun traitement ni vaccin n’existe à ce jour contre la zika, infection non contagieuse, mais dont on peut être porteur sans s’en rendre compte, d’où le risque de transmission de la mère à l’enfant, et celui de la microcéphalie. Il s’agit d’une vraie épidémie : on dénombre plus de 90.000 cas de contamination au virus zica du 3 janvier au 2 avril 2016, dans tous les États régionaux du Brésil.

Comme si cela n’était pas suffisant, l’épidémie de chikungunya connaît, elle aussi, une forte hausse en 2016 par rapport à 2015. Maladie similaire au zika et transmise par le même moustique, elle est en pleine expansion au Brésil : 39.017 cas probables ont été déjà notifiés au premier trimestre 2016.

ÉCONOMIE

Et les finances ?
Le pays a fini l’année 2015 avec la plus grande récession de son histoire. En 2016, la situation ne fait que s’empirer : le PIB en baisse, inflation grimpante, taux de chômage de11, 3 % (source IBGE) à la fin mai 2016, le plus grand depuis 2012. À Rio de Janeiro, l’état d’urgence financière est décrété à moins de 50 jours de l’ouverture des Jeux olympiques. Pour pouvoir assurer les services publics essentiels, le gouverneur de la région a publié vendredi 17 juin un décret qui autorise les mesures d’urgence et a demandé des fonds au gouvernement brésilien. Les Jeux débutent le 5 août et la situation est catastrophique. Qu’attendre donc de ces XXXIe olympiades de l’ère moderne tenues au Brésil ? Presque rien de la classe politique, mais un grand accueil et le meilleur sourire des Cariocas, qui sauront être, comme ils le sont toujours, des hôtes merveilleux, malgré la crise, la corruption, les maladies, malgré aussi le prix des haricots rouges…

Un haricot au rôle capital ! (Ph : Flickr - Victor Camilo)

Ce qui semble être une blague ne l’est malheureusement pas... En juin 2016 les Brésiliens ont été surpris, lors de leurs achats, par une importante hausse des prix des haricots rouges, légumes secs qui composent le principal plat brésilien, le «  feijão com arroz », mélange de haricots rouges et de riz très nourrissant, normalement peu cher, et mangé tous les jours au déjeuner et parfois au dîner chez les familles brésiliennes. C’est comme le pain et le fromage pour les Français, les pommes de terre pour les Allemands. L’explication : les fortes pluies qui ont accompagné le passage d’El Niño ont eu comme conséquence de faibles récoltes et le gouvernement a dû importer le produit, dont le prix a augmenté de 15 % en un an.

CULTURE

Comment s’en sortir ?
Les Brésiliens se sentent de plus en plus abandonnés par les pouvoirs publics, par une classe politique qui leur fait plutôt honte. Cette solitude avait été déjà très bien saisie par Alê Abreu, qui signe, en 2014, l’animation «  O menino e o mundo » (Le garçon et le monde), un kaléidoscope de formes, couleurs, collages et traits au crayon accompagné par une bande sonore qui nous enchante, éblouit et choque à la fois, car il s’agit de la lutte éternelle d’un homme ordinaire qui n’arrive pas à s’échapper de sa réalité. Récompensé au Festival d’Annecy, le film d’Alê Abreu est « une flamboyante fresque intimiste imprégnée de la culture musicale et esthétique du Brésil. Mais aussi une fable poignante et universelle sur le cours de nos existences qui rejoignent, toujours trop tôt, leur point d’origine. Magistral » (Xavier Leherpeur, www.lexpres.fr, 08/10/2014). En 2016, Le Garçon et le Monde est nommé à l’Oscar du meilleur film d’animation, prix remporté par l’animation américaine Vice-Versa.


Le garçon et le monde

Tout aussi solitaire que le petit garçon de l’animation d’Alê Abreu, le personnage joué par Regina Casé dans le film « A que horas ela volta ? » (Une seconde mère), se voit seule pour vivre avec sa fille dans l’immense capitale São Paulo, ce qu’elle réussi à faire grâce à une ténacité et une sagesse acquises dans la vraie vie de tous les jours. Réalisé par Anna Muylaert et sorti en 2015, ce film est sélectionné par le Brésil pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère lors de la 88e cérémonie des Oscars qui a eu lieu en 2016. Il ne reçoit pas la nomination américaine, mais il remporte un énorme succès au Brésil.

La coopérative de langues Cooplem ( Ph : Facebook Cooplem)

De la solitude de l’écran aux solutions trouvées ensemble
En quête de nouveaux moyens et des solutions pour faire face à la crise, les Brésiliens tentent de se débrouiller, exercent à fond leur créativité, cherchent de nouveaux modèles de travail, tel que le coopératif.
Les coopératives ne sont pas nouvelles au Brésil  : dans le domaine de l’agriculture, de la médecine et du crédit, la société brésilienne connaît bien ce système de travail et d’offre de service. Cependant, on voit naître, depuis quelque temps, des coopératives dans un domaine nouveau : celui de l’enseignement des langues. À Brasília, capitale fédérale, la coopérative de langues Cooplem, la première du genre, créée en 1999 par un groupe de professeurs de français, enseigne aujourd’hui le français, l’anglais, l’espagnol et le japonais à 9.000 élèves. À l’instar de cette initiative extrêmement bien réussie, un autre groupe de professeurs, de français également, mais travaillant à São Paulo, vient de créer la coopérative d’idiomes « Percursos » (Parcours). Toutes les deux ont comme but d’offrir des cours de langue à des prix accessibles au plus grand nombre de personnes et de promouvoir la formation continue des professeurs de langues étrangères, en leur offrant de meilleures conditions de travail, de rémunération, d’études et de vie.

La société brésilienne fait valoir, ainsi, de plus en plus, le proverbe africain : « Si tu veux aller vite, marche seul, mais si tu veux aller loin, marchons ensemble » ou, tout simplement, « Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. » Ce n’est ainsi que nous serons capables de traverser la tempête qui nous atteint après les années de stabilité qu’on croyait pour toujours.

Cristina Casadei Pietraroia
Université de São Paulo
crispi@usp.br

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