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BURKINA FASO - Mamounata, modèle d’une éducation résiliente

BURKINA FASO - Mamounata, modèle d’une éducation résiliente

La situation sécuritaire au Burkina Faso a entrainé un déplacement massif des populations (1 579 976 personnes déplacées internes au 31 décembre 2021, selon le Conseil National de Secours d’Urgence et de Réhabilitation (CONASUR)) dont des élèves. Tandis que certains élèves sont hors des classes, d’autres ont eu la chance d’être accueillis dans des écoles pour poursuivre leurs études. C’est le cas de Mamounata, élève en classe de Cours élémentaire première année (CE1), première de sa classe, que nous avons rencontrée le vendredi 11 février 2022, à l’école La solidarité de Pazani.

8 mars 2022 - par Alice Thiombiano 
 - © Alice Thiombiano
© Alice Thiombiano

Il est 9 h 40 lorsque nous arrivons à l’école la Solidarité de Pazani dans le secteur 38 de l’arrondissement 9 de la ville de Ouagadougou. Une école sans clôture, avec en son sein, 385 élèves dont 70 déplacés internes, nous accueille. Tous les enfants sont en classe. Dans les salles, on entend la voix des enseignants, et parfois celle des élèves.

Accueillie par le promoteur de l’école La solidarité, Nehimiah Bamogo, quelques heures d’échanges ont lieu, en attendant la recréation.
Il est 10 h. La cloche retentit. Les élèves, à pas de lièvre, quittent les salles pour vivre ce petit instant de pause hors des classes. Cependant, il n’y a pas de petit marché, ce lieu habituel où les apprenants peuvent se trouver un goûter. Ils s’adonnent alors à leurs multiples jeux, dont la marelle pour les filles.

Appelée par le directeur de l’école, Mamounata, d’un air surpris, dans son hidjab, avance vers nous. Elle nous rejoint dans la salle qui est libérée pour le petit temps d’échange. Mamounata semble inquiète. Mais celle qui tient la tête dans la classe de CE1 est rassurée par la présence de son père.

Âgée de 8 ans, Mamounata, inscrite pour cette année scolaire, est dans une classe de 40 élèves. Elle est arrivée à Ouagadougou avec ses parents en 2019, après avoir fui la région du Sahel, plus précisément la commune de Kelbo, pour cause d’insécurité. Comme les autres élèves déplacés internes, elle a pu intégrer l’école depuis 2021, grâce à l’intervention du chef de Pazani, le Manegre Naaba Koanga. Ils sont soutenus par l’ONG CREDO.

Cette élève suit les cours comme les autres et est première de sa classe, suite aux résultats de la première composition. Marque de résilience. « Depuis mon arrivée ici, j’arrive à étudier. Je recopie les leçons et une fois à la maison, je les apprends. J’ai rencontré de nouvelles amies ici et on s’entend très bien. J’ai travaillé dur pour être la première de ma classe », rassure-t-elle.

Son secret pour la réussite, c’est l’abnégation. « Pour réussir en classe, si j’arrive à la maison, j’apprends bien mes leçons. Parfois je laisse le travail pour bien étudier et quand je ne comprends pas une leçon, je demande des explications à ma grande sœur ou à mon maitre. Je vais continuer à bien travailler pour toujours être parmi les meilleurs », explique la brillante élève déplacée interne de Pazani.

8 ans et des peines d’adulte
Même si elle dit être rassurée à Ouagadougou, loin du crépitement des armes et de la hantise des hommes armés, Mamounata n’oublie pas son passé, sa vie dans son Kelbo natal. Durant notre entretien, de temps en temps, d’un air pensif, la jeune fille de 8 ans se remémore des moments de sa fuite avec sa famille. « Nous étions dans notre village, les terroristes sont venus et ils nous ont chassés. Ils nous ont dit aussi d’abandonner les études. Avec des charrettes et d’autres à pied, nous avons rejoint Bourzanga. De là-bas, c’est un véhicule qui nous a conduits jusqu’ici », se rappelle-t-elle.

Assis dans la salle, Mahamadi, le papa de Mamounata, écoute religieusement sa fille. Depuis sa venue à Ouagadougou, il fait de son mieux malgré sa situation de déplacé interne. Fier du travail de sa fille, il fait savoir que Mamounata aide sa mère dans les travaux ménagers. « Nous sommes contents de son travail. Nous n’avons pas grand-chose, mais nous faisons tout ce que nous pouvons pour qu’elle ait des cadeaux afin de l’encourager. Nous conseillons aux enfants de toujours se concentrer dans les études pour s’offrir plus de chance de réussir dans la vie », s’exprime-t-il.


Cet avis du père est partagé par sa maman, dame Neimata, qui trouve que sa fille étudie bien. Mahamadi ajoute que c’est grâce aux bonnes volontés que son enfant et ceux des autres déplacés internes ont pu renouer avec la vie scolaire. « Les études de nos enfants nous fatiguent. Depuis 2021, nos enfants sont inscrits. Nous avons reçu des vivres et des habits pour nos enfants. Des personnes de bonnes volontés nous accompagnent aussi pour notre réinsertion. Une association a pris en charge la scolarité de 70 élèves déplacés internes. On a une dizaine d’élèves qui n’a pas encore soldé leur scolarité, mais ils n’ont pas été chassés », affirme-t-il en remerciant le promoteur de l’école.

Mamounata est certes première de sa classe et est convaincue de ne pas avoir de difficultés. Toutefois, elle manque de quelques matériels pour le bon déroulement de ses études. Il s’agit notamment des documents nécessaires qui sont la base de l’apprentissage. Également, l’environnement qui accueille Mamounata et ses camarades ne dispose pas de toutes les commodités et de cantine scolaire. Une autre difficulté est celle de l’expression française que rencontre Mamounata. Elle peine à s’exprimer correctement en français et fait parfois recours à la langue mooré faire passer son message.

Moussa, déplacé, mais 3e de sa classe
La jeune enfant n’est pas la seule à montrer des signes de résilience et d’adaptation. C’est aussi le cas de Moussa. Arrivé à Ouagadougou pour cause d’insécurité, il s’est installé à Pazani avec ses parents. Il est en classe de Classe Moyenne première année (CM1). « Les cours se passent bien », informe l’élève originaire de Kelbo.

Selon ses dires, pour arriver à Ouagadougou, certains ont emprunté des taxis-motos et d’autres des véhicules de transport. «  Je suis ici depuis 2 ans. Mes parents sont ici, je n’ai pas trop de difficultés  », dit-il. Mais l’enfant vit avec une récente douleur, en plus de celle d’avoir été arraché à sa terre natale. « L’année passée, j’ai perdu mon papa », lance-t-il avec un regard assombri.

En dépit de ces difficultés, il est 3e de sa classe après la composition du 1er trimestre. Moussa rencontre également les mêmes difficultés que Mamounata, notamment celle liée à l’expression orale française. Afin de mieux s’exprimer, il nous demande de le laisser répondre à nos questions et participer aux échanges en langue mooré.

Une école philanthrope
L’école La solidarité de Pazani a ouvert ses portes en 2013. Selon le promoteur Nehimiah Bamogo, elle a vu le jour afin de faciliter l’accès des enfants à l’éducation, car lui-même n’a pas eu cette chance. Satisfait d’avoir accueilli ces élèves dans son établissement, M. Bamogo déclare ne refuser aucun élève qui n’a pas les moyens de payer les frais de scolarité.
«  Moi, j’ai diminué le prix pour que beaucoup d’enfants puissent venir à l’école parce qu’il y a plus de 4 ou 5 qui ont réussi au Certificat d’Etude Primaire (CEP) et ils n’ont rien payé. Actuellement, il y a beaucoup d’enfants qui sont ici, ils n’ont même pas encore payé un rond. Ça fait que je préfère garder ces enfants pour qu’ils ne disent pas que c’est parce que leurs papas n’ont pas l’argent, qu’ils ne sont pas partis à l’école  », explique M. Bamogo.

Dans un élan de philanthropie, le promoteur a largement ouvert les portes de son établissement aux élèves déplacés internes. « S’il y a eu des enfants qui ont réussi au CEP et ils n’ont pas payé, ce ne sont pas les élèves déplacés internes que je vais chasser », dit-il. Au Burkina Faso, les acteurs de l’éducation ont mis en place des indicateurs afin d’apprécier l’enseignement qui est donné aux élèves. Il s’agit, entre autres, du taux de réussite aux examens scolaires, des acquis scolaires, du nombre d’élèves et de l’existence de la cantine scolaire, selon Tahirou Traoré, coordonnateur national de la Coalition nationale pour l’éducation pour tous au Burkina Faso.

Éduquer en tenant compte des drames vécus
Avec la situation sécuritaire, ces acteurs réfléchissent pour mettre en œuvre des méthodes d’enseignement qui peuvent permettre de prendre en charge les enfants qui sont en situation d’urgence et de pouvoir bénéficier d’un apprentissage de qualité.
Selon Tahirou Traoré, cette situation amène souvent à avoir un programme reformulé pour mettre l’accent sur les éléments de contexte. Il s’agit « essentiellement des matières d’enseignement qui peuvent conditionner rapidement l’apprentissage des autres matières en difficulté ».

Le plan d’éducation d’urgence prévoit également de renforcer les capacités des enseignants « au plan psychosocial parce que, soutient M. Traoré, quand il y a des exactions, les enfants qui sont témoins de ce genre de situation. Pour qu’ils apprennent dans la sérénité, c’est difficile. Si l’enseignant est formé à cela, il peut les encourager avec les mots qu’il faut, les formules qu’il faut, pour qu’ils évacuent le stress, la peur et arrivent à se concentrer sur l’essentiel  ».

Ne bénéficiant pas d’accompagnement des autorités, foi du promoteur, l’administration de l’école La solidarité a mis en place des tutorats et des groupes. Ces tutorats ont également pour objectif de faciliter l’intégration et un suivi psychologique pour les élèves déplacés internes afin de faciliter l’oubli des difficultés rencontrées.

«  Dès le début, on sentait à travers leur travail que ce sont des enfants qui ont eu des difficultés. Mais maintenant, il n’y en a plus. Dans les différentes classes, on ne sent pas, mais je ne sais pas la pensée de tout un chacun. Il n’y a pas des actes de la part de ces élèves qui montrent que ça ne va pas chez eux. On les a répartis dans les différentes classes. On a appliqué le tutorat, les travaux de groupe pour essayer de les diviser en groupe, avec les travaux de groupes. Il n’y a pas de différence avec les autres élèves puisqu’on associe les élèves déplacés internes avec les autres élèves », explique le directeur de l’école, Moustapha Ouédraogo.

Celui-ci évoque également les entraves qu’ils rencontrent notamment le manque d’une cantine scolaire. « Il nous faut un soutien. Les années précédentes, nous avons eu la cantine scolaire. Mais cette année et l’année dernière, nous n’avons pas eu de cantine », explique-t-il.

Les larmes de Rasmata
M. Ouédraogo ajoute qu’à l’approche des examens, il organise au sein de l’établissement, des camps d’études au profit des élèves de la classe de Cours Moyen deuxième année (CM2). Ces camps d’études consistent à les regrouper à l’école, où ils y passent des nuits, pendant quelques jours pour se consacrer à la préparation des examens.

La définition de l’éducation de qualité, selon Tahirou Traoré, coordonnateur national de la Coalition nationale pour l’éducation pour tous au Burkina Faso, dépend du niveau de développement du pays. Dans l’acceptation générale et populaire, une éducation de qualité est celle qui permet aux élèves d’acquérir des connaissances qui peuvent leur permettre de développer des potentiels tant sur le plan intellectuel, physique et économique.

À travers ces connaissances, selon M. Traoré, les apprenants doivent avoir une satisfaction dans la vie au plan social et « à s’insérer de façon digne dans la société  ». Si certaines conditions sont remplies pour Mamounata et Moussa, Rasmata, élève déplacée interne et originaire de Kelbo dans le nord du pays, dans l’attente d’une éducation de qualité, vit des conditions plus drastiques que ses camarades.

Son histoire est particulière. En effet, en plus de sa situation de déplacée interne, sa famille est confrontée à une difficulté sanitaire. Le père de famille souffre d’un mal qui, en plus de toucher psychologiquement les membres de la famille, ronge également la bourse familiale.
Assurant que les cours se passent bien, Rasmata n’a qu’une seule envie, repartir à Kelbo. Le regard vide, la jeune fille est sincère : « je ne me sens pas bien à Ouaga. J’ai des difficultés en matière de repas et d’habits », dit-elle.

Pendant notre échange, Rasmata, narrant ses conditions de vie, n’a pas pu empêcher les larmes sommeillant au fond de ses yeux de trouver chemin sur ses joues. Elle fond en sanglots. Pause. Reprenant la parole, elle insiste sur sa volonté de repartir, persuadée que repartir à Kelbo est la solution pour elle et sa famille. Mais quel est ce véritable problème de santé du père qui affecte autant la qualité de ses études ?

Sidéré par les pleurs de la fille, le chef de Pazani se prononce et explique le problème. Selon lui, son père n’est pas apte pour travailler. « Il souffre d’une insuffisance rénale. Le traitement est coûteux. Avec cette maladie, comment peut-il subvenir aux besoins de sa famille ? Vous-même voyez que son enfant pleure. C’est vraiment une préoccupation », explique-t-il.

Avec une voix préoccupée, il laisse entendre que la famille de Rasmata a besoin d’une aide. «  En vérité, la famille a besoin d’aide. Pour avoir à manger, c’est difficile et il y a aussi des problèmes de santé. Tous ces problèmes influencent l’enfant qui n’arrive pas à s’épanouir. Parfois, ils pensent à rentrer dans leur village. Franchement, la famille a besoin d’aide », conclut le chef de Pazani, Manegre Naaba Koanga.

Il est à noter que si ces enfants ont la chance de retourner dans les classes, d’autres par contre ne l’ont pas. A la date du 31 décembre 2021, selon les chiffres du Ministère en charge de l’Éducation Nationale et de la Promotion des Langues Nationales (MENAPLN), 3 280 établissements sont fermés et plus de 511 221 élevés sont hors classe.


Article écrit dans le cadre de la création d’un réseau international de jeunes journalistes enquêtant sur les Objectifs de développement durable afin de sensibiliser les populations au respect de ceux-ci.
Organisation Internationale de la Francophonie ; Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (France) ; Ministère de la Francophonie (Québec) : Principauté d’Andorre.
Avec le soutien de l’École supérieure de journalisme de Lille (France) et de l’Institut francophone du Développement durable (Québec).

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