francophonie, OIF, Francophonie, Organisation Internationale de la Francophonie, langue française, diplomatie culturelle, littérature, théâtre, festival, diversité culturelle, les francophonies

MENU
Carnets Vanteaux - Alors, c’était vrai : L’au-delà ne fait qu’un avec notre monde ?

Carnets Vanteaux - Alors, c’était vrai : L’au-delà ne fait qu’un avec notre monde ?

9 octobre 2020 - par Carolane Riboldi 
 - © Pixabay - Comfreak
© Pixabay - Comfreak

Consigne :
Qui suis-je ? Qui vive ? Est-il vrai que l’au-delà, tout l’au-delà soit dans cette vie ? Je ne vous entends pas. Qui vive ? Est-ce moi seul ? Est-ce moi-même ?


Alors, c’était vrai :
L’au-delà ne fait qu’un avec notre monde ?

Alors, c’était vrai : l’au-delà ne fait qu’un avec notre monde ?
Tandis que le faisceau tremblant de sa lampe de poche, seule source de lumière dans cette nuit d’octobre dépourvue de lune, fend la pénombre de la cuisine de part et d’autre pour projeter de longues ombres dansantes sur les murs, cette question le hante.
C’était peut-être un effet d’optique… ou un coup de fatigue !
Pas impossible en d’autres circonstances, mais cette fois-ci, aucune place n’est laissée au doute : il sait. Il sait que les innombrables tasses de café noir qu’il enchaîne depuis des semaines – depuis son emménagement dans cette maison – ne lui ont joué aucun tour ; que tout ce qu’il pensait n’appartenir qu’à la manifestation de son imagination débordante était malgré lui bel et bien ancré dans la réalité.
Il sait qu’il a vu cette chose dans l’encadrement de la porte.
Une goutte de sueur roule le long de sa colonne vertébrale, lui arrachant un frisson. Pas un son ne se fait entendre à l’extérieur, comme si la vie avait déserté la surface de la Terre pour ne laisser derrière elle qu’un homme prostré sur le carrelage de sa cuisine, son visage d’un blanc d’albâtre cerné par les marques profondes de l’angoisse, seul à seul avec cette apparition fantomatique.
Sa lampe torche commence à hoqueter. Il sait au fond de lui que lorsqu’elle s’éteindra, la Chose reviendra, et qu’il n’aura alors plus aucune échappatoire. Ça a coupé l’électricité depuis déjà plus d’une heure – plus d’un siècle, selon son propre avis –, et depuis, la plupart de ses prières sont dirigées vers les piles, ces deux antiquités qu’on lui avait vendues en même temps que sa lampe de poche, et de qui dépend à présent son salut.
Ses yeux… Bon Dieu, où étaient ses yeux ?
Ce regard noir d’une profondeur abyssale était la confirmation de toutes les mises en garde qu’il avait reçues jusqu’alors : les portes qui claquaient dès que le soleil se couchait ; les marques de griffes retrouvées sur le papier peint au petit matin ; les tableaux retournés ; la vaisselle dérangée, empilée en édifice défiant les lois de la gravité...
Les messages soufflés dans le creux de son oreille lorsqu’il pensait dormir à poings fermés.
Ça m’a dit de m’en aller, et je ne l’ai pas écoutée.
Pourquoi l’aurait-il fait ? Qui pouvait bien imaginer qu’une maison si paisible, si charmante au premier abord, était en réalité la propriété de forces occultes ?
La lampe cahote encore.
Mon Dieu, je vous en supplie, faites que le soleil se lève !
Mais l’aube ne poindra pas avant des heures, et lorsque la lumière s’infiltrera timidement par la fenêtre qui surplombe son évier, la Chose se sera d’ores et déjà débarrassé de ce nouvel intrus qui, depuis un mois, a posé ses bagages dans ce portail vers l’au-delà.
Un nom de plus sur cette liste qui ne cessait de s’allonger.
Cette histoire n’aurait jamais pu voir le jour sans Alfred Humphrey qui, dans les années 1980, avait trouvé refuge entre les murs de cette maison construite quatre années plus tôt. Quinquagénaire aux cheveux poivre et sel et au regard éteint, le vide de sa vie avait été comblé par sa rencontre fortuite avec le gourou d’une secte adoratrice du Malin alors qu’il n’avait pas tout à fait vingt ans ; aussi, ses cartons n’avaient-ils pas fini d’être déballés que des messes noires étaient célébrées dans le sous-sol de ce pavillon situé à mi-chemin entre la ville et la campagne.
Personne n’était en mesure de dire à partir de quand la situation avait dégénéré : était-ce lorsque Humphrey et ses camarades de jeux avaient établi un premier contact avec le monde des ténèbres en posant de concert leurs doigts sur la flèche de leur table Ouija, ou bien lorsque leur sang n’avait plus suffi lors de leurs rituels, et qu’ils en étaient venus à faire couler celui d’un nouveau-né ?
Aucune certitude dans cette affaire, sinon que la fin d’Alfred Humphrey et des autres occupants de cette maison fut aussi brutale que mystérieuse : lorsqu’ils ont été retrouvés, les corps étaient comme momifiés, pétrifiés à tout jamais dans une expression de profonde terreur, la mâchoire pendante, les orbites vides et poussiéreuses.
Le voisinage avait également subi l’influence de cette aura néfaste : si le quartier était relativement tranquille jusqu’à l’arrivée de Humphrey, apprécié des jeunes couples et des familles pour sa convivialité, il avait suffi que la Chose émerge des ténèbres pour y souffler un vent d’insécurité. Les gens étaient devenus sombres, inquiétants. Les rires des enfants jouant au ballon ou à la balançoire dans les jardins n’étaient qu’un lointain souvenir, remplacé par des œillades suspicieuses au coin d’une fenêtre chaque fois qu’une voiture avait le malheur de passer dans les parages.
On n’arpentait plus les trottoirs pour profiter de la chaleur naissante du printemps ; on ne sortait plus qu’en cas d’extrême nécessité : les agressions étaient monnaie-courante, et il n’était pas rare que l’on annonce en première page du quotidien qu’un cambriolage s’était mal terminé la veille au soir.
Les habitants du quartier avaient petit à petit pris leurs valises et déserté les lieux. Un temps resté sans âme qui vive – du moins, si l’on ne se fiait qu’à la partie visible du spectre lumineux –, de nouveaux arrivants avaient fait fi de son passé lugubre pour rendre à ces terres leur dynamisme d’antan. Au début du millénaire, la Chose n’avait plus en elle l’énergie nécessaire pour étendre son influence au-delà de sa prison de pierres. Condamnée à demeurer là où on l’avait invoquée, il lui avait fallu attendre qu’un nouveau propriétaire fasse l’acquisition de son antre pour se nourrir de sa peur.

Partagez cette page sur votre réseau :