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Carnets Vanteaux - Âme

Carnets Vanteaux - Âme

11 octobre 2021 - par Morgane Sarmiento 

CONSIGNE : "La Musique des phrases".
Ecrire (au maximum une page A4) après avoir écouté "Casta Diva" chanté par Callas :
(l’objectif n’est pas d’illustrer cette "pièce" musicale mais de travailler la MUSIQUE de votre écriture).


Afin de respecter la mise en page voulue par l’auteur le texte est présenté en version PDF


Je ne reviens plus à moi. Je ne trouve plus ma main sur mon front brûlant, je ne trouve plus mes jambes devenues jambes de je-ne-sais-qui. Je ne reviens plus à moi. Dans ce flou trop lucide qui m’entoure, je ne vois que ses yeux immenses d’où jaillissent les arcs-en-ciel… Éparpillant ma rétine en éclats de lumière pure, ils gouvernent le ballet du cristal chargé de toute la symphonie. Les couleurs se détachent de leurs réceptacles pour flotter autour de ce moi-corps qui lui fait face. Je n’ai pas su conserver la raison de ma présence ici.

Une feuille de chêne passe devant la fenêtre en pépiements gris, l’air s’invite dans les branches cerclant ses yeux. Un cillement, ma conscience qu’elle retient lui échappe un instant : je suis assis à une table ronde dont les angles m’assaillent le buste. Je brûle. Je suis seul avec elle : une fenêtre à trois pans, des tableaux indécis, l’arrête du pendule… elle me regarde. Où suis-je ? Je ne peux dévier ma pensée. Le cristal reprend son ballet devant son regard de prisme. Je devine sa bouche s’éveiller, je sens le son rond sortant de ses lèvres avaler mon esprit dans son sommeil. Je suis au bord d’une falaise, je parle au ciel ; au vide qui m’avale, je confie mon seul joyau, l’image de mon enfant que je n’ai voulu voir partir. Emporte-la, vide et vent… Les pierres sont froides, le soleil devant moi est un prisme qui colore le ciel d’une couleur d’âme.

Un cillement, les réalités se chevauchent un instant. Je vois mes paroles s’enfuir loin de moi, courant dans leurs robes de mots vers l’horizon lumière de ses yeux. Je me lève tout à coup, mon cœur s’accélère, je crie : « rendez-les moi ! »… mais je reste assis, je n’ai plus de jambes pour soutenir ma bouche ni de « je » à placer devant mes verbes. Silence, cillement, silence. Battement, je tremble ; rendez mes souvenirs… Le cristal passe et repasse, je suis devant le ciel d’horizon. Le flux de sa voix dans la mienne reprend. Je parle. Un chant d’oiseau à la fenêtre du chêne me parvient, cillement. Je sens ses deux mains qui s’infiltrent sous ma peau, sous ma carapace d’existence, m’écartent les côtes, fouillent dans ma chair au-dedans… deux mains-regard dans ma poitrine noire, qui en saisissent un caillot guère plus gros qu’un poing d’enfant, l’extirpent de moi. Je crie : « Je crie, non ! Laisse-le là ! », mais cette fois-ci je crie, et ses yeux se ferment. J’élance ma main en tâchant de ne pas faire tomber mes entrailles, j’attrape le lumière-pendule, je l’arrête. Je l’arrête.

L’oscillation des objets se réduit, j’arrive à voir ses fossettes, son front, sa bouche, son cou où est placée la chaîne. J’arrive à distinguer les mailles dures du tissu sur ses bras, les cerceaux de fer autour de ses poignets. Liés. Une de mes mains arrête le pendule que l’autre tient encore, je me souviens. L’inconnue d’aujourd’hui me fait face comme celui d’hier, yeux clos. Déconcerté, je recule ma chaise et pose le pendule sur la table, à l’instant où je me lève… mes yeux rentrent dans ses yeux. Juste nos yeux. Pendule posé. Un sanglot incontrôlable remonte le long de ma gorge, des images de falaise froide et d’enfant éternel me reviennent en éclats de lumière pure projetés sur ma rétine, où débordent des larmes que je ne peux plus retenir… alors je pleure sans raison des sanglots entrecoupés de couleurs, et je sens un caillot gros comme un enfant point écraser ma poitrine ; un sentiment émerge, mes yeux vivant dans les siens… je me débats avec mes larmes, ne trouve pas de mouchoir sans lâcher ses yeux et je ne les lâche pas, elle hisse ses chaînes en cliquetis sur la table… Je pleure, ses mains d’arc-en-ciel réchauffent mon pouls, posées là sur mes veines… ses yeux, qu’une galaxie ne suffirait à contenir, sont devenus l’âtre de mon être entier… je sens comme un poing d’enfant disparaître, je n’ai plus rien de moi en moi lorsqu’elle prononce d’une voix de flambeau : « Courage ».

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