Je vois déferler sur les réseaux sociaux une marée de sycophantes qui, applaudissant à l’arrestation de Boualem Sansal, se muent en une armée de procureurs improvisés. Ils le jugent, le condamnent, et l’affublent des épithètes les plus divers : traître, harki, crypto-sioniste, vendu. Cette foule enfiévrée, nourrie de rancunes et de slogans, n’écoute plus que l’écho de son propre ressentiment.
Est-ce donc cela que l’on nomme l’« Algérie nouvelle » ? Une Algérie où l’obscurantisme dresse ses bûchers, où la pensée libre est traitée comme une hérésie ? Une terre où prendre des chemins de traverse, s’écarter des autoroutes balisées, constitue un crime impardonnable ? Ce pays ressemble désormais à un immense goulag où règne un NKVD moderne, tapi dans l’ombre pour réprimer toute dissidence.
Mais ce qui m’effraie le plus, ce n’est pas seulement ce pouvoir liberticide, roué et hors-sol. Ce sont surtout vous, les nouveaux inquisiteurs. Vous, les dresseurs de bûchers, les grands distributeurs du titre infamant de traître. Continuez donc à vous réjouir. Aujourd’hui, c’est Sansal qui paie le prix de votre vindicte. Demain, ce sera l’un d’entre vous. Car l’arbitraire ne s’arrête jamais à ses premières victimes. Il se nourrit, s’étend, engloutit tout sur son passage.
Nous parlons de Boualem Sansal, écrivain mondialement connu, parce que son nom résonne loin. Mais combien d’autres Sansal, anonymes, ont été jetés dans ces culs-de-basse-fosse depuis la fin du Hirak ? Combien de vies broyées, de voix réduites au silence pour avoir osé dire l’évidence, pour avoir posté quelques mots sur les réseaux sociaux ?
Une question me hante : comment la plus puissante armée d’Afrique peut-elle être si fragile qu’elle tremble devant un mot, une phrase ? Comment le plus vaste territoire du continent peut-il vaciller face aux écrits d’un homme ? Les derniers propos de Boualem sont évidemment erronés, pourquoi ne pas les contredire sur un plateau de télévision, pourquoi ne pas envoyer le plus médiocre des historiens pour les démonter ? Pourquoi dans ce cas précis choisir l’emprisonnement, la censure, la violence ?
Je refuse cet arbitraire qui frappe Boualem Sansal. Boualem est mon ami. Je ne partage pas toutes ses déclarations, surtout la dernière avec laquelle je ne suis pas d’accord une seule seconde. Mais jamais on n’emprisonne un homme pour des mots, jamais on ne le brise pour des affirmations, fussent-elles maladroites ou contestables.
L’Algérie, ce pays magnifique et meurtri, semble avoir perdu toute boussole. Oui, elle a connu des dictatures. Mais ces dictatures, pour cruelles qu’elles furent, avaient parfois une vision, un souffle, un cap. Aujourd’hui, il ne reste qu’un système qui n’avance que pour lui-même, un pouvoir qui étouffe toute respiration, toute étincelle d’espoir.
Et pourtant, nous ne devons pas céder au désespoir. Car chaque mot, chaque geste, chaque acte de résistance est une flamme dans la nuit.
Pour Boualem Sansal.
Pour tous ceux qui, dans l’ombre, continuent de rêver d’une Algérie libre.