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Effondrement brutal ou lent pourrissement ?

Effondrement brutal ou lent pourrissement ?

17 août 2020 - par Arnaud Galy 
Dimanche 16 août, une marée humaine défie le président Loukachenko - © Svaboda.org
Dimanche 16 août, une marée humaine défie le président Loukachenko
© Svaboda.org

En bon dictateur illuminé, le président Loukachenko ne s’est accordé qu’un modeste 80 % des suffrages lors de l’élection bidon qui s’est tenue dimanche dernier. Sans doute a-t-il pensé qu’en offrant généreusement 10 % à Svetlana Tikhanouskaya, sa courageuse concurrente, le bon peuple paisible allait rentrer aux vestiaires, satisfait d’avoir su montrer quelques capacités de résistance. Mais, les Biélorusses enhardis de s’être vus si nombreux aux réunions publiques de Tikhanouskaya lors de la campagne ont voulu jouer les prolongations. Conscients des risques encourus, les femmes préparaient des vêtements blancs et des bouquets de fleurs, les ouvriers s’engageaient vers la grève générale et les automobilistes klaxonnaient nerveusement en signe de protestation. C’en était trop pour le président auto-proclamé ! Une incroyable répression, sanglante et barbare, menée par des troupes que Loukachenko qualifie sans doute « d’élite » s’engagea.

Les yeux et les oreilles d’Agora sont de jeunes francophones. Pour ne pas les exposer à des « retours de matraques » nous continuerons à prénommer Katia les jeunes femmes et Ivan les jeunes hommes. En lisant les lignes suivantes, vous comprendrez aisément pourquoi cette précaution n’est pas un exercice de style !

Samedi 15 août, Skype et Internet fonctionnent, profitons-en.
« Comment vas -tu Ivan I ? » Il se frotte les yeux et passe sa main dans ses cheveux, histoire de mobiliser son français et parler avec cohérence, la voix fatiguée : Moi, je vais bien dans le sens où je n’ai pas été arrêté. Mais je ne dors pas, l’émotion et la tension sont trop fortes. Toute cette horreur... je ne crois pas qu’il n’ait existé une purge plus sanglante en 3 jours dans aucune autre dictature. Un temps. Le soir du vote, j’attendais avec d’autres personnes la proclamation des résultats de mon bureau de vote installé dans un lycée. Un bus de transport en commun est arrivé, banal, d’où sont descendus des policiers anti-émeutes. Ils nous ont ordonné de partir. Nous avons répliqué que nous attendions seulement les résultats. Un gradé est alors sorti à son tour du bus et à crié  : « Embarquez-les tous ! ». On a couru dans tous les sens, moi j’avais des packs d’eau dans les bras. Sourire nerveux. Les policiers ont arrêté quelques-uns d’entre nous. Après une trentaine de minutes, nous sommes revenus devant le lycée, mais jamais les résultats n’ont été affichés. Dans l’immense majorité des bureaux de vote de Minsk, les résultats n’ont pas été affichés ni même publiés sur les sites internet officiels. Étrangement, dans quelques bureaux les résultats non falsifiés ont été affichés et Tikhanouskaya faisait plus de voix que Loukachenko. Peut-être les membres de la commission électorale de ces bureaux ont-ils fait acte de résistance ?

Dès le lundi les images de l’horreur ont commencé à tourner en boucle sur les réseaux sociaux. Nuit et jour des milliers de manifestants outrageusement pacifiques et « bien élevés » descendaient, fleurs à la main demander des comptes à un pouvoir obtus qui n’allait pas tarder à avoir recours à une violence inouïe.


Où mène la contestation d’une élection truquée

La peur et la division

Katia III qui habite dans la région frontalière de l’Ukraine le dit sans hésiter, elle a peur : La peur vient aussi ce que vivent nos amis. Le père d’une amie est allé soutenir une manifestation de femmes, avec les ballons blancs, les fleurs et tous les symboles de la protestation. Pour montrer son soutien, il roulait sur le boulevard en klaxonnant. Jusqu’au moment où il s’est garé et là un véhicule des Forces spéciales est intervenu. Les gars l’ont fait sortir de la voiture et l’ont tabassé, matraqué, puis l’ont emmené au centre de détention où il est resté jusqu’au lendemain après-midi. La famille n’était informée de rien. Aujourd’hui, samedi, il manque toujours une centaine de personnes. Personne ne sait où elles se trouvent. En plus, rien n’est vérifiable. Nous vivons dans un pays où l’on ne peut jamais être sûrs de rien !


La tenue de combat des jeunes femmes biélorusses

Katia II vit et travaille à Minsk. Comme sa compatriote, elle est lucide et doute de tout : Tous, nous connaissons quelqu’un qui a été arrêté même si nous ne savons pas où il (ou elle) se trouve. Les prisons de Minsk sont pleines et les détenus sont envoyés dans les provinces. Il n’y a aucun registre, des volontaires les cherchent pour donner des informations aux familles. Plus personne ne sait le chiffre exact de prisonniers, on parle de 5000 à 7000. Parfois, on annonce des libérations... Ceux qui sont libérés ont été battus avec une sauvagerie impensable.
Katia III, émue, pense à son frère qui voit se dérouler cette page d’Histoire la gorge serrée : Mon frère aurait dû être parmi les militaires qui ont réprimé les manifestations du 9 août. Il a 19 ans et heureusement il a quitté l’université militaire récemment sinon il y aurait été envoyé avec ses camarades d’université. Il faut bien comprendre que les Forces spéciales qui sont habillées de noir sont des professionnels, ce sont des sauvages. Ils sont à éviter à tout prix. Les policiers, eux, sont un peu plus peureux et pas très entraînés et ensuite on trouve tous ces petits jeunes militaires qui font leurs études dans une université militaire. Mon frère a échappé à cela, car il a quitté l’université au printemps après 2 ans d’études. Comme il avait une bourse et que ses frais étaient pris en charge, il doit maintenant rembourser 15 000 euros...

Ivan I connaît bien les méthodes de Loukachenko... qui n’est pas le premier à utiliser : La stratégie de Loukachenko est de faire peur au peuple, de le diviser. Il fait courir le bruit que des soldats polonais et étrangers sont entrés dans le pays. Cela peut troubler certaines personnes, mais au fond plus personne ne l’entend... ne l’écoute. Par exemple vendredi, le 14, il a ironisé sur les prétendument 20 grévistes de l’usine de bus. Deux heures après, les ouvriers de l’usine défilaient dans la rue avec un panneau « Nous sommes 16 000 et pas 20 ». La propagande ne fonctionne plus. Elle est choquante et stupide, diffusée par la télévision, mais plus personne n’est piégé. Vendredi, par exemple, la voix de la propagande disait que les personnes qui manifestaient, comme les jeunes femmes avec les fleurs, étaient des soutiens à Loukachenko. Stupide.
Katia II n’est pas aussi affirmative qu’Ivan I et craint que la propagande soit toujours un bon moyen d’embrouiller les cerveaux : Il y a encore des gens qui soutiennent le pouvoir. Par exemple les personnes âgées qui ne regardent que la télévision d’État peuvent se laisser influencer. J’ai un membre de ma famille qui a une soixantaine d’années qui m’assure que les images sont faites par des journalistes qui fabriquent les manifestants avec Photoshop et que je suis stupide de croire cette propagande ! Quand je lui réponds que je fais partie des manifestants et que je sais bien que nous sommes réels, elle refuse de comprendre, de m’écouter. Tous ces gens pensent que les manifestants veulent faire la guerre civile ou sont fascistes. Même les forces anti-émeutes sont convaincues que les manifestants sont des fascistes ! C’est l’inversion des faits. La jeune femme ne sous-estime pas l’adversaire et se souvient que les réactions à d’autres élections truquées avaient accouché d’une souris : Les informations que nous recevons sont très contradictoires. Par exemple nous voyons sur les trottoirs des femmes pacifiques habillées de blanc qui tiennent des fleurs et nous entendons le président commenter les images en disant que ce sont des chômeuses, des alcooliques ou des personnes souffrant de maladies psychiatriques ! Nous avons l’impression d’avoir déjà connu de tels événements en 1996, 2010 ou 2015. C’est difficile d’être optimiste même si le mouvement d’aujourd’hui est plus massif. Si je suis convaincue que quelque chose a changé dans la tête des travailleurs et des gens du peuple, je pense aussi que rien ne change dans la tête de Loukachenko. Il est enfermé à la présidence, il n’écoute pas, ne voit pas. Pour lui, rien ne se passe.




Et maintenant, quelles stratégies côté peuple ?

L’édifice tient toujours mais sur des fondations fêlées. De nombreuses personnalités se désolidarisent du pouvoir : Pavel Latoushka qui a été ministre de la Culture et ambassadeur en France a ouvertement soutenu les manifestants ; un journaliste vedette de la télévision d’État a démissionné ; des médecins, déjà durement affectés par la crise du Covid-19, se sont exprimés publiquement après avoir vu des blessés atrocement mutilés ; la quadruple championne olympique de biathlon, Darya Domracheva a condamné les violences ; une délégation d’ambassadeurs étrangers en poste à Minsk s’est recueillie à l’endroit où a été tué un manifestant, sans oublier la prix Nobel de littérature Svetlana Aleksievich qui appelle Loukachenko à la démission en déclarant que « les autorités ont déclaré la guerre à leur propre peuple ». En un mot, ça craque !


Les mots d’ordre de grève portent leurs premiers fruits

Non sans humour Ivan I résume le situation : Loukachenko sait qu’il a un problème ! Mais il joue : la guerre, la paix, la guerre, la paix... la répression à outrance et l’accalmie. Après les premiers jours de manifestations dans les rues, les grandes usines du pays se mettent peu à peu en grève ou appellent à la grève. Bien sûr ça a été difficile de faire arrêter les usines, mais maintenant, celles qui sont à l’arrêt ne repartiront pas. Les ouvriers qui sont chargés de l’idéologie et qui sont des soutiens au pouvoir sont excessivement minoritaires dans chaque usine, ils n’ont pas les moyens d’inverser le mouvement. Si les milliers d’ouvriers des usines de camions ou de bus se réveillent tous les matins avec en tête les images terribles que l’on voit sur les réseaux, ils tiendront le temps qu’il faudra pour que Loukachenko quitte le pays. Il faut qu’il parte, c’est tout et si l’économie s’arrête, si les retraites ne sont plus payées Loukachenko partira. Nous devons maintenir la pression, pas seulement avec les fleurs, mais avec l’arrêt de l’économie et une présence quotidienne dans la rue. Nous devons faire masse, aujourd’hui nous en sommes capables, car plus personne n’est apolitique dans le pays. Ces élections truquées et la répression des derniers jours ont engagé les plus pacifiques et neutres. En revanche, nous devons poursuivre sur le chemin de la non-violence. Je prie Dieu, même si je n’y crois pas, il sourit, pour que nous ne revivions pas la sauvagerie des trois ou quatre jours passés. J’avais les mains qui tremblaient quand je regardais les informations.
Katia III est sur la même ligne, faire bloc : Je suis de l’avis qu’il faut tenter le coup jusqu’au bout. Hier, vendredi, 30 000 personnes ont manifesté dans Minsk et il n’y avait pas de militaires, ils ont eu peur, il y avait trop de manifestants. La présence d’autant de gens est un moyen de pression. Pourtant, nous, les Biélorusses en tant que peuple, nous sommes pacifiques. On ne veut pas de guerre, nous n’aimons pas le désordre. Même quand quelqu’un monte sur un banc dans la rue, il enlève ses chaussures pour ne pas salir ! Nous ne cassons pas les voitures ou les vitrines. Mais là, trop c’est trop. D’où sort ce résultat du vote ? Nous voulons des réponses. Pourquoi les personnes arrêtées sont-elles battues et torturées ? Ces questions donnent un coup de pouce à notre peuple paisible. Trop c’est trop.

Les yeux tournés vers Moscou et Bruxelles

Katia II ne perd pas sa froide lucidité : Maintenant nous sommes seuls. Svetlana ne dit presque rien depuis la Lituanie où elle est réfugiée. Quant à Veranika et son mari, ils sont à Kiev (Ukraine). Lui a demandé à Vladimir Poutine d’envoyer l’armée russe pour faire partir Loukachenko. C’est idiot. Cela les décrédibilise. Seule Maria est sortie avec tout le monde dans la rue, mais, globalement, nous sommes seuls... Alors, qui craindre ? De qui attendre l’appui décisif ?
Ivan I espère un sursaut européen sans trop craindre Poutine : Pour le moment, on ne sent pas venir l’invasion russe. Il y a bien quelques vols inhabituels entre Minsk et la Russie, mais rien de bien extraordinaire. Poutine ne voit pas son intérêt à venir militairement ici. Que feraient les soldats russes de plus que les biélorusses ? Rien. Déjà les biélorusses tirent sur les fenêtres des maisons pour empêcher les gens de regarder dans la rue. Si les Russes venaient et déclenchaient un bain de sang, ce ne serait pas bon pour Poutine. Je pense même que Poutine en a marre de Loukachenko et que pour le moment il n’a pas intérêt à prendre position publiquement, clairement. Quant aux sanctions mises en place par l’UE, elles n’auront aucun effet. À chaque élection, l’UE s’attaque aux avoirs des dirigeants, mais cela ne donne rien. La seule action efficace que l’UE pourrait initier c’est un procès au Tribunal Pénal International de La Haye. Mais, cela prendra des années...
Katia II s’interroge sur son avenir tout en le conditionnant à celui de son pays : Que faire ? Peut-être s’en aller du pays, même si Loukachenko quitte le pouvoir, personne ne sait comment la Bielorussie se remettra. Le premier objectif serait d’appeler à des élections libres, mais qui va les organiser ? La Russie ? Merci bien, on connaît et nous n’avons pas besoin de ça ! Qui d’autres ? L’UE ? Elle n’a pas besoin de nous. Qui sommes-nous pour l’UE ? Rien.
Katia III a régulièrement travaillé en France, mais là, elle a le désir de rester dans son pays. Dans cette période troublée, elle participe à de nombreuses actions de bénévolat, à des levées de fonds et traduit des articles pour que des lecteurs « d’ailleurs » soient informés du courage du peuple biélorusse. Si tout le monde part, que va devenir le pays ?



Extraits de témoignages de personnes arrêtées et emprisonnées au Centre de détention de la rue Akrestina dès la fin du vote. Traduits par Katia IV, source : news.tut.by

Sergei, 38 ans, athlète
Il a été arrêté près de l’hôtel Yubileinaya dans la nuit du 9 au 10 août et libéré le 11 août.
Ils m’ont « tordu » les mains et m’ont jeté dans un fourgon. Ils étaient outrés : Pourquoi j’avais besoin de changements ? Pourquoi je portais un T-shirt blanc ? J’ai répondu que nous vivions dans un pays où nous avons une voix et pouvions exprimer notre opinion. Ils se sont mis à tabasser tout le monde et demandaient tout le temps : Vous voulez des changements ? Tenez en un ! Mais dans le fourgon cellulaire, il n’y a pas eu d’atrocité directe, un commandant a même dit : Doucement ! Il y a même une trace de Rangers sur la chemise, je vais la mettre dans un cadre comme souvenir. (...) Ensuite, on nous a transféré dans des cellules, dans la nôtre il y avait 21 personnes même si elle n’était conçue que pour quatre. Il faisait terriblement chaud, il y avait juste un petit trou dans la fenêtre qui servait de ventilation. Les pauvres gens transpiraient, on buvait seulement de l’eau, personne ne nous donnait à manger (…) Dans la cellule, il s’est avéré que l’un des hommes avait une fracture. Il a demandé d’appeler un médecin, mais pendant toute la journée que j’ai passée avec lui, le médecin n’est jamais venu. Il a dit qu’il avait réussi à réduire la fracture, déjà le premier jour. Mais la jambe était enflée, elle est devenue bleue. Il se sentait mal, mais était assis comme s’il s’était déjà habitué. Certains d’entre nous avaient des antidouleurs, il s’est senti mieux pendant un moment (...)

Karina, étudiante
Elle a été arrêtée le 9 août, libérée le 11. Elle affirme ne pas avoir participé aux manifestations.
À l’entrée, il y avait un homme très cruel qui nous attrapait par le cou et nous balançait contre le mur. On devait rester debout, regarder le sol et garder nos pieds écartés à l’aplomb des épaules. Ils ont commencé à appliquer des protocoles : les filles ont remis leurs soutiens-gorge et leurs téléphones. Après examen, elles ont été emmenées dans une cellule (...) Au début, nous étions 13 filles, dans une cellule pour quatre personnes. Il y avait des tables et des toilettes. Tout sentait très mauvais. Des cafards et des poux couraient partout. Nous n’avons rien mangé pendant deux jours. Quand nous demandions à manger ils répondaient seulement : Non, (gros-mot), la prochaine fois vous saurez pour qui voter ! … Nous avons demandé du papier toilette et de l’eau. On nous a dit de boire de l’eau du robinet. Elle sentait terriblement l’eau de Javel, nous avions peur de la boire. Il n’y avait pas de papier toilette. Certaines filles avaient leurs règles, elles ont demandé de leur ramener au moins... quelque chose. Ils leur répondaient avec des insultes : Essuyez-vous avec vos T-shirts ! Ainsi, les filles utilisaient soit des journaux soit elles le faisaient avec leur vêtements, puis l’enlevaient, lavaient et restaient, enveloppées seulement dans un T-shirt.
Le lendemain matin, ils nous ont forcés à signer des documents. Si nous ne signions pas, nous serions enfermées pendant 15 jours. J’ai voulu lire ce document. Ils m’ont menacée : Signe, sinon je vais te (insulte) et te mettre à nouveau en prison. J’ai pleuré et je ne savais pas ce que je signais.
Ils ont promis que nous serions libérées d’ici une heure. Nous espérions que nous serions bientôt sorties, car nous n’avions pas mangé depuis plus de 24 heures. Tout le monde avait faim et nous avions des vertiges. Dans la cellule il faisait terriblement chaud et nous y étions 13. Mais nous avons été transférées dans une autre cellule, il y avait déjà 20 personnes donc nous étions 33 au total. Il n’y avait que six lits pour tout le monde. Lits superposés. On ne pouvait ni dormir ni s’asseoir, c’était terrible, étouffant, il n’y avait pas de nourriture. Les têtes tournaient, on suppliait d’appeler un médecin. Il est venu seulement deux jours après... Puis trois autres filles ont été conduites dans notre cellule. C’étaient des observatrices du vote qui avaient écopé de 7 jours de détention chacune, bien que l’une d’elles soit avocate. Ces filles ont eu de la chance, car leurs parents ont réussi à leur donner un minimum de choses. L’une d’elles a partagé des noisettes. Nous avons toutes mangé une noisette et nous nous sommes senties un peu soulagées...
Le 11 août, le procès a eu lieu. Un juge infligeait des amendes. Une juge distribuait des peines de 5, 7, 9 jours de détention. J’ai eu de la chance. J’ai reçu seulement une amende. Après le procès, le bureau du procureur a émis un avis : si nous étions à nouveau arrêtées « lors d’un rassemblement », nous serions sous le coup d’une infraction pénale. J’ai très peur, je rêve de quitter ce pays.

Vitaly, imprimeur
Il a été arrêté vers 20 h 30 le 10 août sur le chemin du Palais des sports et relâché le 12.

Nous avons mesuré la cour, elle faisait 30 m², nous étions 80 (…) Nous y avons passé 28 heures. Il n’y avait aucune possibilité de s’asseoir. Pour la première fois, ils nous ont emmenés aux toilettes le lendemain à une heure de l’après-midi. Au total, en 28 heures, nous avons été emmenés aux toilettes à deux reprises, et la troisième fois, seulement ceux qui le voulaient vraiment vraiment ! Les toilettes faisaient environ 7 m². On y était entassé par 20 et on avait seulement 15 minutes. Nous étions obligés de tout faire à deux pour que chacun ait le temps ! (...) On recevait 2 litres d’eau pour 80 personnes, environ une fois toutes les quatre heures. Vous comprenez que tout le monde ne pouvait même pas prendre une gorgée. C’est la torture par la faim, la soif. (...) Nous avions de 15 à 60 ans. Les gens se sentaient généralement mal, certains ont été libérés, au début nous étions 80 et à la fin 73. L’un d’entre nous souffrait de crises d’épilepsie, certains saignaient du nez sans cesse. Une personne avait des problèmes de cœur, nous étions vraiment effrayés : ses lèvres et ses mains sont devenues bleues, alors ils lui ont donné une pilule puis l’ont ramené dans la cellule. Nous l’avons posé sur le sol en béton. Il y avait aussi un homme qui a été arrêté pendant qu’il faisait du vélo. La police anti-émeutes l’a frappé très fort au visage qui portait un grave hématome.(...) Dans la cour voisine, les personnes qui ont été arrêtées avant nous restaient sans nourriture ni eau. On pouvait les entendre crier : Nous sommes ici depuis deux jours, donnez-nous à manger et à boire ! Des gardiens sont entrés dans la cour et ont crié : Qui a faim et soif ici ? Nous avons entendu comment ils ont été tabassés. Ils criaient tellement fort, que probablement tout le quartier les a entendus. Ensuite, ils ont été mis à genoux et les Forces spéciales ont réussi à savoir qui se plaignait. Ils les ont fait courir en rond autour de la cour puis mis à genoux et tout se répétait. Ils ont été battus trois ou quatre fois. Le silence régnait dans cette cour, mais on entendait leurs gémissements. (...)
Vers une heure du matin, nous avons été mis à genoux, les mains sur le mur. Un homme notait les noms de famille, les années de naissance. S’il n’aimait pas la position de certaines personnes, celles-ci prenaient des coups de poing dans les reins. (...) Le lendemain de l’arrestation, ils ont jeté une miche de pain, 540 grammes pour 80 personnes. J’avais lu quelque part qu’il valait mieux ne pas manger ce pain, alors j’ai donné ma part à quelqu’un. Ceux qui en ont mangé ont eu la diarrhée. Mais il n’y avait pas de papier et on ne pouvait plus aller aux toilettes...

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