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Intellectuels serviles de Kinshasa

Intellectuels serviles de Kinshasa

Par Anicet Mobé, contributeur au réseau AGORA - ZIGZAG - AFI.
27 mars 2016 - par Anicet Mobé 

Brisant le corset culturel colonial, une fraction des élites congolaises, particulièrement le mouvement Conscience africaine et l’Abako, le plus ancien parti du Congo, libéra la pensée. Elle éveilla et aiguisa la conscience politique de la population, ouvrant ainsi la voie à l’indépendance du pays, en 1960. Mais, depuis près de cinquante ans, les productions culturelles et scientifiques des universitaires contribuent surtout à renforcer le régime. Dès septembre 1960, celui-ci caporalisa certains d’entre eux en les intégrant au Collège des commissaires généraux, un organisme institué par Joseph Mobutu après son premier coup d’État, le 14 septembre 1960. Secrétaire d’État, il avait alors évincé le premier ministre Patrice Lumumba.

Épluchant minutieusement l’ensemble des procès-verbaux des réunions, analysant scrupuleusement les relations entre le Collège d’une part et le chef de l’État Joseph Kasa-Vubu (président de 1960 à 1965), Mobutu et les Nations unies d’autre part, l’historien Jean-Marie Mutamba met en évidence les logiques intellectuelles abâtardies et la carence de vision politique de ce gouvernement dit « de techniciens » (1). Le Collège se révéla une redoutable machine de guerre contre Lumumba et les forces politiques d’opposition. On apprend ainsi avec stupéfaction que le chef d’antenne de la Central Intelligence Agency (CIA), Larry Devlin, et l’ancien administrateur de la Sûreté coloniale belge, André Lahaye, participaient aux délibérations du Collège, qui tint sa dernière réunion le 21 janvier 1961, soit quatre jours après l’assassinat de Lumumba.

Certes, il faut inscrire à l’actif du Collège certaines avancées significatives, comme la relance de l’appareil administratif, la création de l’École nationale de droit et d’administration, les accords avec les agences des Nations unies pour pallier le manque d’enseignants et de personnel médical. Mais il fut instrumentalisé par certains lobbys congolais et occidentaux décidés à maintenir le Congo sous la dépendance néocoloniale.

Ce déplorable schéma se reproduit depuis 2001, comme l’illustre piteusement l’hymne à la gloire du président Joseph Kabila que psalmodie en 2015 un collectif d’universitaires sous le titre évocateur Kabila et le réveil du géant (2). Sous le fallacieux prétexte de «  réhabiliter » le président congolais, contesté en raison de sa volonté de se maintenir au pouvoir envers et contre tout, cet ouvrage fait l’impasse sur l’incurie du pouvoir dans la gestion des ressources économiques, sur l’impunité dont jouissent les assassins de journalistes et de défenseurs des droits humains...

Mais la conscience des universitaires congolais ne s’est peut-être pas tout à fait tue. Un collectif d’intellectuels publie ainsi une radiographie précise du régime en place à Kinshasa pour mobiliser la population à la veille du scrutin présidentiel, prévu en novembre 2016 (3). Près de soixante ans après l’effervescence intellectuelle des premières heures de l’indépendance, cet ouvrage ose le pari de l’intelligence critique afin de briser le cercle vicieux de l’asservissement des universitaires au pouvoir politique.


Notes :

(1) Jean-Marie Mutamba, Autopsie du gouvernement au Congo-Kinshasa. Le Collège des commissaires généraux (1960-1961) contre Patrice Lumumba, L’Harmattan, Paris, 2015, 382 pages, 30,99 euros.

(2) Lambert Mende Omalanga (sous la dir. de), Kabila et le réveil du géant, L’Harmattan, 2015, 258 pages, 29 euros.

(3) Collectif, Les Congolais rejettent le régime de Kabila, Monde Nouveau/Afrique nouvelle, Vevey (Suisse), 2015, 280 pages, 25 euros.

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