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Kouam Tawa capte l’attention de lycéens polonais

Kouam Tawa capte l’attention de lycéens polonais

5 mars 2019 - par Arnaud Galy 
Kouam Tawa et la demoiselle  la généticienne ès dragon - © 10 sur 10
Kouam Tawa et la demoiselle la généticienne ès dragon
© 10 sur 10

Ce matin huit lycéens de Jelenia Góra, ville distante de 40 km, sont venus rencontrer les auteurs en résidence. Accompagnés par leur professeure de français ils sont arrivés hésitant sur leur pratique de la langue de Molière et avec une franche envie de profiter du moment pour enrichir leur ouverture au monde. À ce petit jeu, Kouam Tawa, a volé la vedette à ses petits camarades.

La voix douce et une pédagogie bienveillante sont les outils de Kouam Tawa pour éclairer ses interlocuteurs sur les petites et grandes tragédies de son pays. Il est conscient que, la plupart du temps, ces derniers sont presque intégralement ignorants de l’actualité yaoundaise. Devant cette jeunesse polonaise, pourquoi en aurait-il été autrement. Kouam s’est présenté, simplement. Humblement. Je m’appelle Kouam Tawa, je viens du Cameroun où j’écris de la poésie et des livres pour les enfants. L’œuvre de Molière sur laquelle je travaille est Dom Juan. Les jeunes de la partie francophone de mon pays ne savent pas qui est Molière. Je veux donc rester au plus près du texte pour qu’ils puissent approcher au mieux cet auteur français. Dans mon pays, 8 régions parlent le français, 2 sont anglophones alors qu’il existe 247 langues nationales. Le français et l’anglais sont les langues qui permettent aux populations de se comprendre, par exemple en cas de mariage entre deux personnes locutrices de langues nationales différentes. Quand j’écris mon interprétation de Dom Juan, je pense aux petits anglophones ou aux petits francophones qui n’ont jamais entendu parler de Molière et cela me fait mieux percevoir la cible de mes futurs lecteurs. Il n’y a pas très longtemps que Molière n’est plus au programme des écoles camerounaises. Il y a une vingtaine d’années, les programmes étaient encore ceux hérités de la colonisation. Molière et Racine étaient enseignés dans la partie francophone, Shakespeare dans l’anglophone. Mais les programmes ont, eux aussi, pris leur indépendance et les « classiques » européens ou anglais ont disparu.

Kouam fut le premier à se présenter, hasard de la disposition des chaises ! Puis un à un les autres auteurs se présentèrent. Synthétiquement. Je suis Emmeline Octavie, je viens de Guyane en Amérique du Sud près du Brésil et je réécris l’École des femmes... Je suis Guillaume Corbeil je viens du Québec et je travaille sur l’Avare. Il sera question du 1 % de milliardaires qui à l’image d’un Donald Trump sont remplis de colère... Moi, je suis Lucie Depauw, j’écris pour le théâtre et aussi pour la télévision. Pendant la résidence je travaille sur une pièce moins connue qui s’appelle Georges Dandin... et ainsi de suite...
Les jeunes dirent deux mots sur eux. Hésitants, parfois. Qu’il est délicat de s’exprimer dans une langue étrangère, pratiquée 2 heures par semaine, qui plus est en public. Une jeune fille dit pratiquer le théâtre en polonais et reconnaît qu’elle se voit mal le faire en français. Iris et Jan la rassurent ou tente de la rassurer. Un garçon longiligne prépare son bac de français, un second très attiré par les arts est assurément plus habitué à s’exprimer que ses voisines. Katarzyna, la dernière à s’exprimer avoue sans hésiter que ses deux passions sont la génétique et les dragons et qu’elle appris le français un peu par hasard !

Puis vient, le moment des questions et des échanges. La première question est destinée à... Kouam. Le premier garçon interroge l’auteur sur la difficulté de se lancer dans une carrière d’écrivain au Cameroun. La réponse a sans doute déconcerté les jeunes et peut-être même Jan qui par précaution traduisait en Polonais les interventions. « Déconcerté » car Kouam s’est engagé dans la description d’une véritable tranche de vie, recoupant histoire personnelle et Histoire de son pays. Stupéfiant comme il a embarqué l’auditoire !

Depuis bien longtemps la position des écrivains est difficile au Cameroun. Au temps de la colonisation, ils portaient un message anticolonialiste affirmé et donc s’opposaient à la France puis après la décolonisation, les écrivains continuèrent à s’opposer aux conditions de cette décolonisation et à nouveau ils furent mal considérés par la France et indésirables au Cameroun. Mongo Beti était le plus grand d’entre eux. Il a vécu 31 ans en exil en France. Quand il est rentré au pays en 1991, il a continué à s’opposer au régime politique en place et à dénoncé l’époque coloniale. En Afrique on raconte une petite histoire qui dit qu’en France quand un écrivain publie un nouveau livre, il achète un costume et se prépare à aller de plateau de télévision en plateau de télévision. Alors qu’en Afrique francophone, l’écrivain qui sort un nouveau livre rase les murs et craint les services secrets. Quand Mongo Beti est mort en 2001, cette histoire a trouvé une illustration parfaite. J’ai assisté à son enterrement. J’ai vécu là un moment symbolique. La cérémonie eut lieu dans son village devant sa femme, française, et plein de gens qui ne comprenaient pas la langue dans laquelle le chef de famille s’exprimait pour l’éloge. Nous ne comprenions pas, mais régulièrement, nous entendions le nom du « Président Biya », peut-être trente fois ! J’étais interloqué, comme beaucoup d’autres personnes présentes. Vu les relations entre Beti et Biya, cela semblait incongru et dérangeant. La femme de Beti et d’autres personnes sont allées demander des explications. Il leur fut répondu que le « Président Biya » avait octroyé une médaille à Mongo Beti et qu’il fallait remercier le « Président Biya ». La femme de Beti fut horrifiée. La réponse fut que depuis 1956 et le premier livre anticolonialiste écrit par le défunt, appelé « Le Pauvre Christ de Bomba », le village avait été ostracisé. Qu’il ne disposait ni d’eau, ni d’électricité, ni d’hôpital et qu’il fallait que cesse cette situation. Voilà comment sont considérés les écrivains... Aujourd’hui encore, les plus grands écrivains camerounais, et de bien d’autres pays africains, résident à Paris, Berlin ou aux États-Unis. Moi-même je rentre dans mon pays dans quelques jours et tous mes amis me conseillent de ne point le faire car la situation politique est très grave depuis des mois et il m’arrive d’écrire quelques poèmes en réaction. Mais je rentrerai...

Les jeunes étaient médusés, quelques yeux se sont imperceptiblement mouillés. Émotion palpable. Katarzyna, la généticienne ès dragon, fut la première à réagir : Finalement, c’est comme en Pologne jusque dans les années 80...

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