Ce n’est pas seulement le roman de l’histoire d’une reine qui n’était pas destinée à régner (1). Ce n’est pas seulement la sortie de l’oubli d’un exil royal à La Réunion, puis à Alger, dont la plupart des Malgaches eux-mêmes ignorent tout de l’épisode tunisien. Ce n’est pas seulement la geste souvent poétique d’un amour puissant et contrarié, dont l’élan des sens est magnifié, qu’il soit réel ou fantasmé.
C’est à une véritable méditation inspirée sur l’isolement et l’arrachement, que nous invitent les premières pages du livre. On trouve ici les mots justes et les phrases limpides de l’universalité de l’amour, de la frustration, de l’exil subi. Au point qu’on se met à partager sans retenue ni distance les pensées mélancoliques et les soliloques intérieurs tragiques de la dernière reine de Madagascar.
Sans pédantisme ni lourdeurs, Hella Feki fait aussi œuvre d’historienne : elle balise les parcours des reines de Madagascar et de leur époux commun, le premier ministre Rainilaiarivony. Elle décrit sans fard les horreurs criminelles de Ranavalona 1ère, « la Caligula femelle ». Elle étaye les soupçons du meurtre de Ratrimoarivony, premier mari de la jeune Ranavalona, par ce farouche Premier ministre ayant jeté son dévolu sur elle pour se maintenir au pouvoir, fût-ce en éliminant le gêneur…
Elle décrit surtout de façon inattendue, après une enquête serrée, les mondanités improbables auxquelles se prête la jolie souveraine exilée, en France métropolitaine, en Algérie surtout, et en effet aussi, à Tunis. Une Tunisie dont on découvre qu’elle est à l’époque le phare du féminisme en islam, le pôle d’une pensée littéraire, religieuse et politique novatrice, sous l’impulsion de souveraines éblouissantes, également à découvrir.
Une Tunisie déjà marquée aussi par les révoltes contre les pires colons dont témoigne Myriam Harry, journaliste du Temps, devenue proche de la jeune reine.
Et puisque l’amour de Marius, ce « diplomate » magicien qui illumine l’enfermement de la jeune femme, traverse le récit de part en part, de Tananarive à Tunis, on se précipite sur le (rare) exemplaire du livre (2) écrit en 1896 par celui qui se décrivait « médecin et conseiller intime de Ranavalona 3 », pour guetter dans un récit lui aussi passionnant, les allusions fréquentes mais policées à sa relation avec la reine.
Ce n’est pas le moindre talent de la romancière Hella Feki, que de nous motiver à compléter la découverte historique.
(1) Une reine sans royaume, roman, Hella Feki, Editions La Grenade Jean-Claude Lattès, août 2025, 192 pages, 19€
(2) A la cour de Madagascar, magie et diplomatie, Marius Cazeneuve, Librairie Delagrave, Paris, 1896, réédité en avril 2007 sur 236 pages par Pierre Maury pmalgachie@gmail.com dans la Bibliothèque malgache « électronique »