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Langue et identité : Le français en Tunisie

Langue et identité : Le français en Tunisie

Partenariat Nouvelles de Flandre - Agora Francophone
4 août 2025 - par Anne-Françoise Counet 
 - © Edgar Fonck - NdF
© Edgar Fonck - NdF

Le paysage linguistique tunisien est aussi riche que complexe. L’arabe tunisien, langue maternelle de la quasitotalité des Tunisiens, domine le quotidien. Cependant, l’arabe classique, langue officielle, reste principalement utilisé dans l’administration et les médias. Le français, quant à lui, occupe une place singulière : utilisé sans statut officiel, il s’est néanmoins implanté dans de nombreux secteurs de la vie publique.

Selon le rapport « La langue française dans le monde » publié en 2022 par l’Organisation internationale de la Francophonie, 52 % de la population maitrisent le français, qu’ils soient locuteurs natifs ou utilisateurs comme seconde langue.

Un héritage vivant
Avant le protectorat français, dans la seconde moitié du XIXe siècle, le français est introduit, notamment à l’École militaire du Bardo. Après l’indépendance, Habib Bourguiba ne remettra jamais en cause l’usage du français. Il le voit comme un levier de développement et de rayonnement international, tout en encourageant l’arabisation de l’école. Sous Ben Ali, des politiques d’arabisation ont été mises en place, visant à renforcer l’usage de l’arabe dans l’administration et l’éducation. Cependant, ces politiques ne réussissent pas à éclipser
complètement le français, qui reste une langue essentielle dans les domaines techniques et spécialisés. Après la Révolution de 2011, avec l’ouverture économique et la mondialisation, le français connait un regain d’intérêt. Il devient un atout majeur pour les Tunisiens souhaitant travailler dans
les secteurs du tourisme, du commerce et des affaires. Le français est bien plus qu’un simple héritage colonial.

Un enseignement quasi bilingue
Depuis l’indépendance, la place du français dans l’enseignement public tunisien est restée pratiquement inchangée.
Il est introduit dès la deuxième année du primaire et est obligatoire jusqu’à l’obtention du baccalauréat. Au secondaire supérieur et à l’université, il est également la langue véhiculaire pour les disciplines scientifiques, techniques et économiques et le demeure partiellement pour les sciences humaines.

Selon Samir Marzouki, président de l’association tunisienne pour la pédagogie du français, éminent expert de
l’enseignement en Tunisie : « les gouvernements successifs ont pris de mauvaises décisions comme la nomination d’enseignants qui n’ont pas les connaissances requises. Même si tous les enfants apprennent obligatoirement le français, leur niveau reste assez faible ».

Mais ce n’est pas le cas pour tous. Dans les grandes villes, une élite urbaine multiplie les cours privés de français, conscients que cette compétence est cruciale pour accéder aux emplois du secteur privé, principal pourvoyeur de postes en Tunisie. Ces jeunes, souvent plurilingues, poursuivent leurs études supérieures en français, que ce soit dans les universités et grandes écoles locales ou à l’étranger. Beaucoup ne reviennent pas, attirés par des salaires bien plus élevés.

Le partenaire français
Avec trois Instituts français à Tunis, Sousse et Sfax, seize centres de langue, et six Alliances françaises réparties sur tout le territoire, le réseau français en Tunisie est l’un des plus actifs au monde. Il propose une offre riche : cours de langue, certifications, médiathèques, expositions, projections, débats, concerts...

« Au-delà de sa programmation culturelle, le réseau français s’investit fortement dans le domaine éducatif. Il
soutient les efforts du ministère tunisien de l’Éducation pour améliorer la maitrise des langues chez les élèves, un enjeu crucial dans un pays où l’enseignement est plurilingue », affirme Célestine Bianchetti, attachée de coopération pour le français à l’Institut français de Tunis. Deux projets ont été mis en place pour proposer une éducation plus inclusive, moderne et efficace. PARLE, ou Projet d’Appui au Renforcement Linguistique des Elèves, vise à améliorer la qualité de l’enseignement de l’arabe et du français, en formant les enseignants et en proposant des ressources pédagogiques adaptées. De son côté, le projet YALLAB met l’accent sur l’innovation numérique. Il soutient les entrepreneurs qui développent des outils d’apprentissage du français basés sur des technologies immersives comme la réalité virtuelle ou l’utilisation d’éléments ludiques.

Coopération avec la Fédération Wallonie-Bruxelles
Depuis plus de 40 ans, la Fédération Wallonie-Bruxelles tisse des liens forts avec la Tunisie. Dans les médias,
le partenariat soutient la liberté d’expression et la qualité de l’information. Cela passe par des formations pour les journalistes, des rencontres professionnelles et la mobilisation des expertises. Plus de 380 étudiants tunisiens poursuivent actuellement leurs études dans les universités et Hautes écoles en Fédération Wallonie-Bruxelles, dont 71 doctorants. Ces parcours sont souvent facilités par des bourses et programmes gérés
par Wallonie-Bruxelles International. Et la culture n’est pas en reste. Rajae Chaabeni, chargée de communication à la Délégation générale Wallonie-Bruxelles à Tunis ajoute que « la Délégation accueille des artistes belges pour divers événements culturels comme les Journées théâtrales, musicales ou cinématographiques de Carthage ». Un bel exemple récent : la série belge Trentenaires, produite par la RTBF, a traversé la Méditerranée pour rencontrer le public tunisien.

Les ambassades francophones
Sous la présidence du Canada, le groupe des ambassadeurs francophones (GAF) s’est considérablement élargi pour accueillir près de 40 pays ou régions appartenant à la Francophonie. « Cela permet des rapprochements tangibles avec l’ensemble des pays membres, associés et observateurs de l’OIF, ainsi qu’avec le ministère tunisien des Affaires étrangères sur des dossiers d’actualité », explique Catherine Bérard, conseillère politique à l’ambassade du Canada.

Mais le GAF ne se limite pas à la diplomatie. Il participe à de nombreux événements culturels : festival du film
francophone à Tunis, Sfax et Sousse ou la Foire internationale du livre de Tunis. Et bien sûr, un mois de mars bouillonnant à l’occasion de la Journée internationale de la Francophonie, célébrée le 20 mars, avec des activités organisées en partenariat avec les institutions tunisiennes. Depuis avril, le flambeau a été transmis à la France et la République démocratique du Congo, qui assurent désormais la coprésidence.

Les Francophonies de Sousse
Le Festival international Les Francophonies de Sousse est un rendez-vous culturel lancé en 2018 par l’Association des Tunisien(ne)s Ami(e)s de la Francophonie (ATAF), dans la ville côtière de Sousse. Cet événement festif, dynamique, ouvert à tous célèbre la diversité culturelle du monde francophone à travers des concerts, spectacles, projections de films, débats, rencontres littéraires ou ateliers pour les jeunes. Derrière ce projet, on retrouve notamment Sami Hochlaf, un homme très engagé dans la vie culturelle tunisienne, qui veut faire de Sousse un lieu incontournable de la francophonie en Méditerranée.

Médias
Il n’existe pas de chaine de télévision en français. Cependant, Radio Tunis Chaîne Internationale (RTCI) propose des émissions culturelles, éducatives, ou tournées vers l’international. Quelques quotidiens et hebdomadaires comme Le Temps, Le Quotidien, Tunis hebdo se trouvent en kiosque mais le nombre de
journalistes francophones est en diminution. Créée il y a cinq ans, la section tunisienne de l’Union de la Presse Francophone, présidée par Hanène Zbiss organise des projets d’éducation aux médias dans les écoles et d’autres plus spécifiques qui initient les étudiants aux techniques rédactionnelles ou audiovisuelles, et aux bases du journalisme.

Pour terminer, évoquons brièvement la place de la littérature tunisienne de langue française. Comme l’explique Samir Marzouki, bien que certains aient prédit sa disparition après l’indépendance, cette littérature est toujours bien vivante, portée par une scène éditoriale dynamique et de nombreux prix littéraires. Moins centrée sur le choc colonial que sa voisine algérienne, elle peut être iconoclaste ou anticonformiste, souvent sarcastique mais rarement violente. Très influencée par la littérature française, arabe classique et dialectale, elle cultive une riche hybridité linguistique pour tenter de dire un monde complexe.

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