À bâtons rompus
Thibault Grouas : La mission langue et numérique a été créée en 2011 au sein de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, (pour rappel, la délégation s’intéresse à tous les sujets langagiers) elle porte la politique de l’État en faveur des langues, du français et des langues de France. La mission langue et numérique plus précisément s’intéresse à l’innovation et au numérique, que ce soit pour le français ou les langues régionales ou encore la langue des signes (toutes les langues existantes sur le territoire), nous nous intéressons ici à développer la présence dans l’univers numérique ou au développement de projets innovants autour de ces langues.
- Thibault Grouas - au centre - présente les projets numériques récompensés par la DGLFLF en 2018
Arnaud Galy : … ce qui a peut-être amené quelqu’un du monde du théâtre à me dire qu’il avait peur de la suprématie du numérique sur les autres modes d’expression autour de la langue. Est-ce que cela veut dire que pour la DGLFLF, et plus généralement le ministère de la Culture, le numérique est en train de balayer tout le reste ?
Thibault Grouas : Non pas du tout ! Pour la Délégation générale, la mission langue et numérique existe depuis une dizaine d’années et le volume des projets portés n’a pas beaucoup évolué par rapport à ceux des autres missions. On reste donc sur quelque chose d’assez stable. En revanche, on se rend compte qu’il y a des enjeux politiques extrêmement forts derrière et qui nous, nous intéressent beaucoup en terme de diffusion pour toucher des publics. Ce sont vraiment des outils incontournables et effectivement, on y apporte beaucoup d’attention.
Arnaud Galy : Quand vous dites politique, est-ce au sens strict du terme ? C’est-à-dire que c’est la vie de la cité ? Il faut toucher des publics différents et que les actions soient plus visibles ? Et le numérique va le permettre ?
Thibault Grouas : Tout à fait. Le numérique va toucher les personnes qui utilisent au quotidien les outils numériques, notamment les réseaux sociaux. Sans ces outils, on touche moins de monde. Par exemple, le pass’culture qui est un investissement important du ministère, permet de toucher des publics que l’on ne touchait pas avant. Effectivement, les gens vont peut-être moins dans des endroits traditionnels comme les musées, les théâtres ou les bibliothèques, il est donc très important d’être présent dans l’espace numérique.
Arnaud Galy : D’où les 3 grands projets de l’année ou qui ont vu un aboutissement cette année dont le « clavier » par exemple ?
Thibault Grouas : Absolument, le clavier français est un des projets de la mission langue et numérique. Il date de quelques années et a vu le jour au printemps. Nous avions alors organisé un événement de lancement de la norme française de clavier à l’Assemblée nationale. Cette norme simplifie et revoit en profondeur le clavier français pour le rendre plus facile à utiliser et surtout permettre de saisir tous les caractères du français facilement, ce qui n’était pas le cas avant. Cette norme, par exemple, vous permet de taper les majuscules accentuées, le [e] dans le [o], le [e] dans le [a], les doubles chevrons que sont les guillemets français… tous ces caractères qui n’étaient pas présents sur les anciens claviers traditionnels sont aujourd’hui disponibles et permettent d’écrire en français normalement. Par ailleurs, nous avons revu l’ergonomie de ce clavier, avec quelques petites modifications notamment sur la ponctuation, par exemple la touche [.] a son accès direct, plus besoin d’appuyer sur [majuscule] et nous avons globalement essayé de regrouper par logique et cohérence les différents ensembles de ponctuations, symboles mathématiques, symboles ouvrants et fermants pour rendre le clavier plus facile. Par contre, nous n’avons pas touché aux touches alphabétiques ni aux chiffres ; donc pour l’essentiel, le clavier reste inchangé. Il s’agit vraiment de petites améliorations à la fois pour l’ergonomie et pour l’accès à toutes les lettres du français. Ce clavier prend en compte par ailleurs tous les caractères nécessaires pour taper les langues régionales des langues de France comme l’occitan, le corse qui utilise le [tildé] comme le breton, on trouve également les accents aigus et graves sur toutes les voyelles utilisées dans l’occitan, le catalan, le corse : ce sont des caractères que l’on ne pouvait pas taper avant. Nous sommes allés encore plus loin parce que nous prenons en charge dans ce clavier AZERTY amélioré, l’ensemble des caractères de l’alphabet latin présent sur le sol européen. Cela inclut les langues officielles comme l’allemand, l’espagnol, le portugais, par exemple, mais cela inclut aussi les langues régionales d’autres pays européens.
Arnaud Galy : On peut presque dire que c’est un clavier européen autant que français
Thibault Grouas : Tout à fait ! C’est un clavier qui s’inscrit complètement dans le paysage international où on a beaucoup de gens qui traduisent et manipulent des documents bilingues ou trilingues, qui écrivent des noms propres de personnes étrangères (et écrire des noms de personnes étrangères sans écrire correctement leur nom est très dérangeant). La norme française prévoit deux dispositions : le clavier AZERTY amélioré et la disposition BEPO qui, elle, est vraiment centrée sur l’ergonomie, pour laquelle on a les mêmes caractères que l’AZERTY amélioré, par contre la disposition est différente : elle permet une meilleure ergonomie, une meilleure saisie de frappe pour le français et les langues régionales. Par contre, elle impose un temps d’apprentissage important de plusieurs semaines. Les usagers auront le choix (je précise que cette norme est volontaire) de conserver leur ancien matériel ou de s’équiper en AZERTY amélioré ou encore d’avoir un clavier radicalement différent, comme le BEPO.
Arnaud Galy : À titre expérimental, je crois que les services publics français devraient être équipés ?
Thibault Grouas : Il y a un intérêt très fort dans les pouvoirs publics. Au sein du ministère en tout cas, l’intérêt est vif et nous devrions assez rapidement nous équiper avec ces matériels. Par ailleurs, dans les autres ministères, je sais que plusieurs syndicats ont bien vu le sujet venir et sont très intéressés aussi à la fois par le gain d’ergonomie pour taper le français, mais aussi pour la prévention des risques musculaires, car quand on tape avec un clavier qui n’est pas adapté, on a des risques de troubles musculo-squelettiques qui peuvent apparaître et un clavier optimisé, l’AZERTY amélioré et surtout le BEPO, peut vraiment réduire ces risques. Par ailleurs, nous, ministère de la Culture, nous allons travailler avec la Direction des achats afin de préparer le marché et faire en sorte qu’il y ait une offre concurrentielle de produits dans ce domaine dans les prochains mois pour que quand on passe des marchés publics, on ait une concurrence et pas qu’un seul produit sur le marché.
Arnaud Galy : Si le produit semble presque une évidence maintenant, qu’est-ce qui explique que le bébé a été difficile à accoucher ?
Thibault Grouas : Il faut savoir que la disposition AZERTY est héritée des machines à écrire et conçue dans les années 1860, c’est un dérivé du QUERTY qui a été déposé en 1868 et elle a été conçue pour éviter que les bras des machines à écrire ne se coincent lors de la saisie du texte. C’était une autre contrainte à l’époque ! On a gardé ces dispositions jusqu’à aujourd’hui ; elle n’a quasiment pas changé. Par ailleurs, en France on n’a jamais eu de norme française de clavier. Les fabricants sont restés sur la disposition AZERTY en ajoutant les nouveaux caractères qui sont apparus comme l’[@] où ils pouvaient, ce qui fait qu’ils ne sont pas au même endroit selon les différents matériels. Depuis de nombreuses années, nous recevions des messages d’usagers nous disant que l’on ne pouvait pas écrire le français correctement, que l’on se demandait s’il fallait mettre des accents aux majuscules, car on ne pouvait pas le faire avec le clavier. Plein de questions comme ça nous étaient posées très régulièrement. Nous avons donc sollicité AFNOR qui est un organisme de normalisation de référence en France en leur posant la question si on pouvait faire quelque chose sur le sujet et comme nous bénéficions d’un partenariat avec eux (nous travaillons souvent avec eux sur différents sujets), on a monté une commission de normalisation en 2015 sur le sujet pour proposer une norme de clavier français. Le travail a donc démarré en 2015. C’est un travail de longue haleine avec beaucoup d’enjeux et de priorités à mettre en balance. Par exemple, pour l’AZERTY amélioré c’était améliorer l’ergonomie, rendre accessibles tous les caractères, mais en même temps rester très familier avec ce que nous avons aujourd’hui et ne pas perturber les utilisateurs. Tout cela devait être pondéré de manière très précise et il y a eu donc beaucoup de travail. En 2017, nous avons proposé les premières versions de ces dispositions lors d’une enquête publique qui a eu un succès immense avec un nombre record de commentaires (3700). Le projet a été un peu retardé, car nous avons lu, parcouru et pris en compte au maximum tous ces commentaires pendant deux ans (entre 2017 et 2019). Pour arriver enfin en 2019 à la publication de cette norme.
Arnaud Galy : C’est collaboratif comme travail.
Thibault Grouas : C’est assez collaboratif, car on a travaillé en commission et cela a été le fruit d’un consensus entre usagers, entreprises, pouvoirs publics, monde de la recherche. Il y a eu des débats entre toutes ces personnes et ensuite on a eu le débat lors de l’enquête publique qui a conduit à pas mal de changements.
Arnaud Galy : Qui sont les personnes suffisamment pointues ou expertes qui ont envie de participer à ce genre d’enquête ? Ce sont des linguistes ? Des enseignants ? Qui a eu envie de participer à la question du clavier français ?
Thibault Grouas : Nous n’avons pas de données personnelles sur toutes ces personnes : on peut comprendre par leur contribution (souvent ils expliquent les motivations de leurs contributions) ; ce sont des amoureux de la langue française qu’ils soient français ou ressortissants d’autres pays francophones, des gens qui vivent mal le fait de ne pas pouvoir écrire le français correctement ou des personnes qui manipulent les langues régionales et qui sont agacées de ne pas pouvoir les écrire. Ce sont des personnes qui ont une relation forte avec leur langue et la façon de l’écrire avec le clavier. L’autre catégorie, ce sont les usagers qui sont très familiers avec leur clavier, pour qui cet objet a une grande importance et qui peuvent voir de façon négative le fait que l’on change leur clavier ou de façon positive, car ils éprouvent des difficultés avec leur clavier. Ce sont vraiment des usagers, il y a peut-être quelques linguistes, quelques mathématiciens, mais pour l’essentiel ce sont des amoureux, des usagers pour qui le sujet pose vraiment question.
Arnaud Galy : Le 2e grand thème de l’année fait partie du contexte France-Roumanie avec le lancement de l’initiative Romanica qui s’étale sur une partie de l’année 2019. Quel est le sens de Romanica ?
Thibault Grouas : Romanica, c’est une initiative assez inédite au ministère de la Culture et assez originale, car nous avons souhaité proposer, pour la première fois, un jeu vidéo pour sensibiliser le grand public à la diversité des langues, au plurilinguisme, aux langues romanes et au fait que les langues romanes sont une famille de langues assez proches et qu’il est assez facile de passer d’une langue romane à une autre : du français vers l’italien, de l’italien vers le corse, du corse vers l’espagnol... ces langues sont assez proches. C’est un jeu vidéo qui a été imaginé dans le cadre croisé France-Roumanie et donc nous avons travaillé avec des personnes qui travaillent dans le domaine de l’intercompréhension, des spécialistes experts dans la façon de comprendre comment on passe d’une langue romane à l’autre, nous avons également conçu ce jeu avec l’Organisation Internationale de la Francophonie. Ce jeu s’inscrit dans l’année France-Roumanie parce qu’il est en français et en roumain, deux langues romanes. Dans le jeu, vous serez amenés à jouer avec toutes les langues romanes, découvrir le sens des mots et des langues romanes, à travers cinq mondes sur des thématiques comme les salutations, le temps, la nourriture, les boissons, les voyages, l’art… pour lesquelles on explore le vocabulaire utilisé le plus fréquemment en français, en roumain, et dans toutes les langues romanes. Par ailleurs quand vous cheminez dans ces mondes thématiques, vous débloquez des cartes postales qui vous donnent des petites anecdotes, des petits liens culturels entre la France et la Roumanie permettant de comprendre des choses assez intéressantes et amusantes.
Arnaud Galy : Et le 3e point, le principe du dictionnaire des francophones...
Thibault Grouas : Le dictionnaire des francophones, c’est un projet imaginé par le président de la République, Emmanuel Macron, qui en a parlé lors d’un discours à Ouagadougou. Nous avons essayé de travailler à travers cette idée d’avoir un dictionnaire pour les francophones et nous avons travaillé avec l’Institut International de la Francophonie, une structure de recherche qui est à l’Université de Paris et Lyon 3 Jean Moulin. Nous avons imaginé un outil collaboratif et contributif qui permet à tous les francophones du monde d’avoir accès à des ressources dictionnairiques de qualité, extrêmement complètes sur les usages et les parlers de la langue et qui puissent être enrichis très facilement par les usagers francophones. Cet objet est une application qui ses disponible depuis septembre 2019 et qui permet à tous les francophones du monde de trouver les mots utilisés dans la francophonie dans toute leur variété y compris des mots à usage très local et des choses parfois assez rares.
Arnaud Galy : Donc un Gabonais ou un Québécois… pourront de leur propre initiative venir enrichir la base ?
Thibault Grouas : Tout à fait ! Ils auront déjà accès aux vocabulaires qui sont les plus proches d’eux, c’est-à-dire que par défaut, l’application montrera aux usagers les termes qui sont utilisés dans leur environnement géographique proche et l’utilisateur pourra effectivement ajouter soit de nouveaux termes, soit ajouter des nouveaux sens à des termes qui existent déjà. L’application est proposée avec environ 400 000 définitions et 600 000 sens différents.
Arnaud Galy : Application ou site ?
Thibault Grouas : Ce sera en fait d’abord un site Internet, mais qui sera optimisé pour les appareils mobiles et il y aura dans un second temps des applications mobiles spécifiques disponibles sur Apple Store ou Google Play. Les usages mobiles sont extrêmement importants quand on pense notamment à nos amis africains qui sont beaucoup plus équipés en téléphones qu’en ordinateurs. C’est un outil que l’on veut simple à utiliser, accessible en toute circonstance y compris hors ligne, ce qui est important quand n’a pas forcément accès à Internet tout le temps dans la journée et puis que l’on puisse y contribuer.
Arnaud Galy : Une autre initiative sous forme d’un appel à projets qui doit être à sa 3e édition ?
Thibault Grouas : La mission langue et numérique organise en effet un appel à projets langue et numérique, 3e édition. La première a eu lieu en 2017. En 2019 sortira la 3e édition de cet appel à projets dont l’objet est d’accompagner tous les porteurs de projets qui ont trait au français ou aux langues de France avec une dimension numérique, innovante. Nous accompagnons tous types de porteurs, que ce soient de simples associations, des laboratoires de recherche, des entreprises… Il y a une grande diversité de projets derrière cet appel qui portent sur des thématiques diverses : on retrouve des choses très concrètes, par exemple un dictionnaire pour la langue picarde, un atlas sonore des langues de France (où l’on peut voir sur une carte le même poème parlé dans toutes les variétés du français et des langues régionales), ou une application sur la langue des signes qui permet de sensibiliser les plus jeunes à la langue des signes à travers un jeu d’apprentissage qui s’appelle signéveil disponible sur Apple Store et Google Play. L’appel à projets a été lancé en milieu d’année et nous espérons accompagner une vingtaine de projets sélectionnés par un comité de sélection.
Arnaud Galy : Et si on fait un léger compte-rendu des éditions précédentes, que sont devenus les projets sélectionnés ? Êtes-vous satisfaits de la pérennité de l’action ?
Thibault Grouas : Oui et c’est pour cela que l’on renouvelle le dispositif qui est très apprécié. On avait organisé le 3 juillet 2018 une demi-journée de restitution : nous avions invité tous les porteurs de projets à montrer au public ce qu’ils avaient fait et cela avait eu un grand succès ; ce qui a renforcé la notoriété de cet appel à projets. Nous avons eu encore beaucoup de demandes cette année : il faut donc que les candidats aient des offres de qualité, car nous sommes très sélectifs. En 2017 : on a eu des installations artistiques par l’association Pucemuse qui a développé des jeux vidéos sur des bornes où l’on peut jouer avec la langue et faire des parcours sonores et graphiques ; nous avons eu un projet sur le thème de la robot-rédaction pour lequel on a accompagné une entreprise qui travaille sur la production de textes en français avec un souci de qualité (sachant que beaucoup d’entreprises travaillent dans ce domaine en langue anglaise), l’enjeu ici est de faire que le français ne disparaisse pas de la toile pour que l’on ait beaucoup de contenus y compris rédigés par des robots pour des articles de qualité notamment dans le domaine des comptes-rendus sportifs, des agences immobilières, de la description d’hôtels ou d’appartements, voilà, ce genre de choses écrites de plus en plus par des robots.
Arnaud Galy : Quelle évolution envisagez-vous afin de rendre plus visibles ces actions concrètes ? Y a-t-il une opération de communication autour pour que Monsieur et Madame toutlemonde comprennent l’enjeu et voient sur quel terrain le numérique peut porter la langue … Est-ce que c’est assez diffusé ?
Thibault Grouas : C’est toujours difficile. Les appels à projets s’adressent plutôt à un public de spécialistes, de gens qui ont des projets à développer. Par contre, pour les usagers, avec Romanica, on voit vraiment tout le sens d’aller vers le public au sens le plus large et c’était vraiment le but de Romanica de toucher des publics que l’on n’avait jamais touchés… des gens qui ne vont pas nécessairement sur des sites Internet ni sur Facebook, mais des gens qui vont par contre chercher beaucoup d’applications sur leur téléphone. Il y a beaucoup plus de gens de ce type-là : des personnes qui n’ouvrent quasiment plus leur navigateur ou très peu : c’est de plus en plus répandu.
Arnaud Galy : C’est une question d’âge ou une question d’ordre social ?
Thibault Grouas : Oui l’âge joue beaucoup. Certains réseaux sociaux sont un peu ringards pour les plus jeunes usagers et tout change très vite. Au ministère nous n’avions pas encore lancé de jeux vidéo sur les plates-formes Apple et Google : pour nous c’était aussi un test pour voir comment cela marchait et qui permettait de toucher de nouveaux publics. Quand je vois les retours que l’on a sur Romanica et notamment les commentaires des usagers sur Google Play notamment (on a beaucoup de retours sur Google Play) : qu’est-ce que c’est une langue romane ? Pourquoi ne pas proposer l’anglais ? … nous on leur répond, justement si on fait cette application c’est parce qu’il y a déjà beaucoup de choses sur le français et l’anglais, mais par contre, sur la diversité des langues romanes, cela n’a jamais été fait et on vous invite donc à voyager dans cet univers des langues romanes et de la francophonie à travers cette application. C’est quelque chose d’assez nouveau et qui fait sens pour nous. On voit qu’il y a vraiment des messages à faire passer auprès de gens qui ne sont pas du tout sensibilisés sur ces sujets.
Arnaud Galy : Des gens qui ne sont pas sensibilisés sur l’aspect technique et qui ont même du mal à percevoir l’intérêt du fond … donc il faut vraiment fusionner la technique et le fond
Thibault Grouas : Mais justement, un jeu comme Romanica est hyper accessible, il n’y a pas ou presque pas de barrage technique. Ce sont plus des barrages linguistiques et culturels de se dire qu’il y a un intérêt d’aller au-delà de l’anglais, d’aller vers d’autres langues. Il y a toute une diversité de langues qui existent, ces langues sont porteuses de culture, elles sont intéressantes à découvrir et c’est un enrichissement de se dire que finalement ce n’est pas si difficile que cela de comprendre l’italien quand on est français et de se faire comprendre plutôt que de parler un anglais approximatif.
Arnaud Galy : La communauté wiki : est-ce que cela a un intérêt pertinent pour la présence de la langue française sur Internet ? Comment cela fonctionne ?
Thibault Grouas : Les wiki et toutes les données collaboratives sur les portails comme wikipédia ou wictionnaire sont pour nous absolument essentiels dans la francophonie est c’est bien pour ça que le partenariat de la DGLFLF avec l’association wikimédia France (qui est l’association en France qui porte ces sujets) a été décisif et c’est une des premières actions que nous avons menées quand nous avons créé la mission langue et numérique. C’est extrêmement important : aujourd’hui, la première ressource francophone consultée dans le monde, c’est wikipédia, et de très très loin, en France et dans tout le monde francophone également. Il y a une richesse de contenus à la fois culturels, et de tous types écrits en français sur wikipédia et sur wictionnaire absolument extraordinaire. Wictionnaire, c’est le premier dictionnaire francophone, en terme de ressources, il est extrêmement riche. Les ressources, grâce au fait que wictionnaire et wikipédia ont des contenus qui sont librement réutilisables… l’ensemble des contenus de wictionnaire sera entièrement repris dans le dictionnaire des francophones : ce sera une base de départ très précieuse pour nous et qui pourra bien sûr évoluer. C’est pour cela que nous soutenu et participons à la convention francophone wikimédia France qui a lieu chaque année au mois d’octobre, et qui permet de faire rencontrer cette communauté entre ces contributeurs qui ne sont pas très connus du grand public qui sont assez nombreux mas il y a différents cercles : il y a un cercle d’ultras actifs de 300-400 personnes, un autre cercle de personnes qui contribuent de manière plus occasionnelle de 5000-10 000 personnes … et donc convention francophone à wikimédia , c’est aussi faire rencontrer au public tous ces contributeurs, avoir des échanges, et montrer que derrière toutes ces contributions, c’est de l’humain, en fait. Ce sont beaucoup de personnes passionnées qui donnent de leur temps pour enrichir une encyclopédie comme wikipédia, wictionnaire et encore bien d’autres projets.
Arnaud Galy : On entend encore des doutes sur la légitimité ou de la véracité de tout ce monde libre de participation. Qu’est-ce qu’on peut leur répondre pour tranquilliser leur doute en disant « moi je préfère mon Larousse » ou je préfère écouter telle émission du service public radio ou télé …
Thibault Grouas : Il faut les rassurer en leur disant de contribuer : s’ils voient des erreurs, ils peuvent les corriger (c’est très facile à faire) et des milliers d’autres personnes sont dans la même situation. Ce qui fait, en fait, sur les portails collaboratifs, quand il y a une erreur, elle est très rapidement corrigée puisque des milliers de personnes la voient en même temps et on envie de la corriger. Certains franchiront le pas, d’autres non … c’est un contenu mouvant. Quand on est sur des contenus mouvants, il peut y avoir des approximations, mais qui sont corrigées très vite, et c’est cela qui est formidable avec wikipédia qui est déjà composé de ressources bien supérieures à celles que vous avez évoquées et qui vont très loin dans le détail, car il y a des passionnés qui apportent beaucoup d’éléments. Il y a un gage de sécurité pour les usagers, car s’ils n’ont pas confiance dans ce qu’il y a d’écrit sur la page, ils peuvent aller dans les références qui sont indiquées et consulter les articles pour voir la source de ces informations.
Arnaud Galy : D’une manière générale, comment se porte la langue française sur la toile ? Faut-il sortir le glaive et la bouclier ? Fait-on cocorico ?
Thibault Grouas : Malheureusement il y a assez peu d’études scientifiques sur la position de français sur la toile. Il y en a quand même une de qualité sortie en 2017 et qui donnait le français en 4e position tant en nombre d’usagers, que de nombres de pages, de présence de contenu francophone … on est grosso modo la 4e langue présente sur la toile. Ce n’est quand même pas si mal, mais concrètement, il faut quand même se battre. Si on se désinvestit du numérique, effectivement, la place sera prise par d’autres et il faut donc absolument veiller à ce que le français soit présent dans toutes les technologies qui seront amenées à se développer demain. Je pense au web sémantique, à la robot-rédaction, aux réseaux sociaux, bien sûr, aux interfaces des logiciels des réseaux sociaux, aux outils de traitement de la langue (reconnaissance des émotions, traduction, synthèse vocale…) toutes ces technologies sont hyper importantes pour la place d’une langue et le français doit les investir au mieux. Effectivement, il est important d’être vigilant et c’est là que l’on a un rôle à jouer, c’est accompagner les porteurs de projets, les industries qui ont ce besoin d’être soutenues.
Remerciements Nathalie Guillaumin-Pradignac