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Les Carnets Vanteaux - Panthéon par Grégoire Montarsolo

Les Carnets Vanteaux - Panthéon par Grégoire Montarsolo

9 janvier 2024 - par Grégoire Montarsolo 
 - © Pixabay - Donnie0102
© Pixabay - Donnie0102

Les Carnets Vanteaux avec l’atelier Microfictions
animé par Milena Mikhaïlova Makarius

Consigne : réécriture de la microfiction « Ma bibliothèque » de David Thomas, Seul entouré de chiens qui mordent, Editions de l’Olivier, 2021, p. 140, dont voici le début et la fin :

Les bibliothèques sont comme les empreintes digitales, il n’y en a pas deux identiques au monde. Quand bien même deux ou trois contiendraient pratiquement les mêmes livres, au moins un ferait la différence. J’’aime bien l’idée que pas deux parois de livres ne se ressemblent parce que rien ne contient autant d’intimité qu’une bibliothèque.
(…)
Rien ne parle aussi bien de moi que ma bibliothèque. Ces livres font partie de ces autres qui m’ont fait. Si vous voulez savoir qui je suis, passez un moment devant ma bibliothèque, elle en sait plus sur moi que je n’en sais moi-même. Elle est mon portrait le plus intime.

Panthéon
Par Grégoire Montarsolo

Quel beau métier que le mien, gardien des morts d’élites. Je n’ai connu aucun de ces hommes, aucune de ces femmes, autrement qu’au travers de leurs créations et des histoires à leurs propos. J’ai très exactement quatre-vingt et un illustres pensionnaires, tous portés comme héros par la France et par au moins une majorité de Français plus ou moins instruits sur eux. Comment vous les présenter ? Par ordre alphabétique ? Par arrivée dans ce modeste hôtel-autel dédié à la haute estime que la nation leur porte ? Par ordre de gravité la controverse attachée à leur nom ? Par ordre de melon post-mortem ? Peut-être en les séparant par catégories, mais là encore, par qui commencer ? Même si je me décidais de la suite logique de procéder à mon énumération, là encore, ordre croissant ou décroissant ?
Non, il aurait été trop simple si l’on avait logé mes résidents permanents à l’intérieur de la bâtisse au fur et à mesure qu’ils arrivaient. Ainsi, l’illustre Arouet, premier arrivé, côtoie dès l’entrée celui qui de son vivant prêcha l’éducation sans jamais élever d’enfants. Ils furent tous les deux des lumières de leur temps, mais de là à comprendre ce qu’ils font dans vestibule, hormis la permanence de la conciergerie. Dans le même genre, on trouve les deux frères ennemis, les empereurs de la littérature du dix-neuvième siècle au caveau vingt-quatre. Ces deux-là se sont tellement détestés de leur vivant qu’on croirait qu’il leur fut dit qu’ils passeraient l’éternité ensemble. L’un accuse l’autre, l’autre ignore l’un. Un vieux couple. Quand je me sens d’humeur taquine, je vais voir les littéraires pour leur faire la lecture de leurs rivaux. On doit s’assouplir avec la mort, je n’ai reçu aucune plainte. Je ne peux m’empêcher de sourire devant le romantisme d’avoir joint au caveau numéro huit, dans l’éternelle gloire de ces murs, ce couple. Je ne peux m’empêcher d’être amusé de voir qu’ils font chambre à part. Je ne peux m’empêcher de rire de l’ironie de voir des physiciens spécialistes des radiations mis dans des sarcophages.1.
On rigole beaucoup ici, particulièrement depuis l’arrivée de notre dernière arrivée. Mademoiselle McDonald, une femme drôle, intelligente, douée, pétillante et en plus de ça une résistante ! Quand on m’a dit qu’elle arrivait, j’ai écouté toute sa discographie, j’ai dévoré toutes les documentations à son sujet. J’en suis tombé amoureux. Au plus fort de la nuit, quand tous les autres pensionnaires sont assoupis ou affairés à d’autres activités, on danse elle et moi. Là j’ai eu quelques plaintes. Tous les grands juges, économistes, militaires, avocats qui sont là, qui ne stimulent aucun art si ce n’est les fantasmes nationalistes et libéraux, ces fantômes ronflants d’époques passées. Non, à la limite il y en a deux trois un peu marrants. Le Fameux préfet préféré des Français qui entra ici en grande pompe, célébré par un autre des résidents d’ailleurs, lui c’est un gentil. Du moins c’est comme ça que je l’imagine. Il faut dire qu’il en avait l’air. Je suis mélancolique quand je passe à côté de lui, si mélancolique que je ne trouve pas trop les mots, je balbutie, je l’interroge. « Et vous Jean ? Qu’en pensez-vous ? » J’essaie de faire la conversation. Je l’imagine, lui dont j’ai fantasmé l’existence de grand résistant, de héros de la nation massacré sans livrer ses secrets ; je l’imagine avec son air absent, lointain. Je l’imagine poète, je l’imagine guerrier, je l’imagine fuyant les chiens de guerre et leur maître lyonnais. Je l’imagine, seul, tellement seul.
Je dois dire que c’est le problème de ce travail. On est gardien de musée, bibliothécaire de la nation. L’archiviste des héros. Je pose mes yeux sur la tombe toute proche d’un autre résistant, ils sont cinq ici, six avec Joséphine, au moins ont-ils quelques meilleurs sujets de conversations que les miens. J’ai de l’ambition, j’aimerais bien être parmi eux pour toujours, je veux dire, après. J’ai le temps vous me direz, mais qui irait ajouter à la collection un simple gardien ? Vous imaginez un artiste de notre époque déclamer mon éloge funèbre ? « Le gardien c’est un gâté, bienv’nu ici mon fraté rejoindre le terrible cartier, oubliez-pas, le G c’est le S.2 »

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