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Liberté d’expression en danger

Liberté d’expression en danger

Dans son dernier classement mondial, Reporters sans frontières a estimé que le Sénégal avait réalisé des progrès en matière de liberté de la presse en 2024, par rapport aux dernières années du pouvoir de l’ancien président Macky Sall. Cette appréciation a été mise en exergue par le pouvoir actuel, qui a toujours voulu se présenter comme étant aux antipodes de son prédécesseur, dans ce domaine comme dans bien d’autres.
L’ironie est que, moins d’un an après la publication de ce classement, les personnes et organisations qui vantaient les performances du Sénégal ne reconnaissent plus ce paysage médiatique. Certains journalistes estiment que le paysage médiatique du Sénégal ressemble désormais à celui d’un pays en guerre.

14 octobre 2025 - par Mohamed GUEYE 
Manifestation en soutien à une presse libre - © Aimablement prêtée par l'Union de la Presse Francophone - UPF
Manifestation en soutien à une presse libre
© Aimablement prêtée par l’Union de la Presse Francophone - UPF

Tout a commencé avec l’annulation du Fonds d’aide à la presse, laissé à 700 millions de francs CFA par le pouvoir de Macky Sall. Sans autre explication que la préparation d’un audit pour vérifier si l’argent allait réellement aux médias qui le méritaient. Après près de deux ans de suspension d’un montant voté par l’Assemblée nationale et inscrit dans le budget de l’État, le ministre de la Communication a prétendu que le Fonds d’aide allait être doublé dans le prochain budget. Mais rien n’a été dit sur l’argent précédemment inscrit dans le budget et voté par la loi, et qui n’a jamais été débloqué depuis.
Certains médias ont ensuite été homologués selon des critères déterminés par le ministère de la Communication. Les médias non homologués ont été poussés à cesser leur parution, sous peine de sanctions pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement. Des médias bien implantés, comme le journal Le Quotidien ou la chaîne de télévision 7TV, ont été déclarés non conformes, sur la base de critères connus uniquement des décideurs. Il a fallu plusieurs semaines de lutte pour que ces organes soient enfin reconnus comme faisant partie des « médias crédibles ».
D’escalade en escalade, on est arrivé à la privation de ressources publiques pour tous les médias privés. Ils n’avaient plus le droit de diffuser de la publicité de la part des annonceurs publics et ceux qui avaient des conventions de partenariat avec des organismes d’État voyaient ces dernières supprimées sans états d’âme. Le pire — ou le meilleur, si l’on veut — est que les médias dont les factures étaient arrivées à échéance et n’avaient pas encore été payées ont vu ces paiements bloqués jusqu’à ce jour, sans aucune justification.
Il ne faut pas non plus oublier les poursuites pour défaut de versement de la TVA ou de reversement de cotisations sociales. Le Quotidien, par exemple, a vu ses comptes bancaires bloqués pour des motifs tels que le non-versement de la TVA ou des retards d’impôts.
Pour résumer, le métier de journaliste est en forte dégradation depuis moins de deux ans au Sénégal. En dehors des médias d’État, tous les travailleurs de la presse écrite, de la radio ou de la télévision privée courent derrière des arriérés de salaires qui, pour certains, dépassent les sept mois.
À cette situation sociale, s’ajoutent les tracasseries et les entraves pénales à l’exercice de la profession. Lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a prononcé cette phrase malheureuse, dont on se demande s’il ne s’agissait pas d’une pensée profonde : « La liberté d’expression est garantie par la loi, mais rien ne garantit la liberté après l’expression ! »
À la suite de cette sentence, il avait promis d’ « effacer » des journalistes et chroniqueurs qu’il accusait d’être payés pour le combattre, ainsi que son régime. Les effets ne se sont pas fait attendre sur le terrain.

Madiambal Diagne
© Aimablement prêtée par l’Union de la Presse Francophone (UPF)

Quelques temps après, en août 2024, Me Bamba Cissé, l’avocat d’Ousmane Sonko, a annoncé une plainte contre Madiambal Diagne, administrateur-fondateur du groupe Avenir communication, pour, selon lui, des « attaques systématiques, injustifiées, parfois même injurieuses et/ou séditieuses contre le Premier ministre ». Si la plainte n’a pas abouti, les persécutions contre Madiambal n’ont pas cessé. En juillet dernier, à la suite d’un commentaire posté sur X concernant un débat entre l’ancien député Amadou Ba, du parti Pastef au pouvoir, et Badara Gadiaga, un chroniqueur de télévision très célèbre, Madiambal Diagne a été convoqué par la division de cybercriminalité de la police sénégalaise. Il a été retenu pendant plusieurs heures. Badara Gadiaga, lui, n’a pas eu cette chance, car il est depuis lors sous mandat de dépôt, dans l’attente de son jugement.
Des chroniqueurs de télévision ou de presse écrite sont derrière les barreaux depuis plus de six mois sans qu’aucune incrimination précise ne leur soit reprochée. Outre Badara Gadiaga, le cas le plus emblématique est celui d’Abdou Nguer, un chroniqueur très suivi, dont le jugement dans l’un des procès a été prononcé le 9 octobre dernier, mais dont le verdict a été mis en délibéré. Quelle qu’en soit l’issue, il ne sera pas remis en liberté, car un autre procès pèse également sur sa tête.
Abdou Nguer a eu moins de chance que Bachir Fofana, chroniqueur télé et éditorialiste au journal Le Quotidien. Arrêté pour diffamation, il a été libéré après deux mois de garde à vue, avec une condamnation de trois mois avec sursis.
Les attentes à la liberté d’expressions au Sénégal se poursuivent, en atteignant un niveau d’ingérence et de répression qui n’ont rien à envier aux régimes les plus dictatoriaux : le même Madiambal Diagne a été interpellé à l’aéroport de Dakar, le 23 septembre dernier, et empêché de prendre son vol international sans qu’aucune explication ni justification ne lui ait été donnée. Le journaliste a néanmoins réussi à sortir du pays, ce qui a provoqué une rage du pouvoir telle qu’un mandant d’arrêt international avait été émis à son encontre, comme s’il s’agissait d’un criminel, et sa famille – son épouse et ses deux enfants présents au Sénégal au moment des faits – ont été arrêtés et se trouvent toujours en prison. On voit clairement l’application des paroles du Premier ministre citées ci-dessus : « La liberté d’expression est garantie par la loi, mais rien ne garantit la liberté après l’expression ! »

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