Les mercredi 29 et jeudi 30 mai derniers lors du congrès de l’Acfas qui se tenait à l’Université du Québec en Outaouais, le colloque « Intersections des parcours d’immigration et des identités LGBTQ » a proposé diverses réflexions sur les savoirs expérientiels, académiques et institutionnels auprès des personnes issues de la diversité ethnoculturelle migrante ou réfugiée LGBTQ.
Ce colloque a été un lieu d’échange et de prises de positions parfois différentes entre les personnes concernées, les chercheur.se.s, militant.e.s et allié.e.s. Ce colloque avait pour objectif, notamment, de réviser l’interprétation des conditions des personnes migrantes ou réfugiées LGBTQ, car, malheureusement, celle-ci est encore fortement binaire, imposée, voire même invisibilisée des réalités des personnes migrantes ou réfugiées et de minorités sexuelles. Les termes « racisé », « ethnicisé », « racisation », « ethnicisation » ont été utilisés à plusieurs reprises pendant les deux jours du colloque, car il est important de bien nommer ce qui est en jeu pour les personnes qui vivent ces réalités.
Les deux journées du colloque ont été intenses et riches en contenu partagé et discuté. Je vais cependant centrer ce compte-rendu sur la table ronde qui a clôturé le colloque et une communication en particulier, soit celle sur le photovoix comme méthode et outil dans une approche de recherche-action participative.
La table ronde intitulée « Les défis quant aux contributions à la recherche des milieux universitaires, communautaires et institutionnels auprès des personnes LGBTQ migrantes, ethnicisées et racisées » a permis de rassembler les personnes participantes du colloque pour entendre et interagir avec Vincent Mousseau (Université McGill), Maxime Faddoul (Université de Montréal), Jeansil Bruyère (AIDS Community Care Montréal - SIDA bénévoles Montréal [ACCM]) et Jade Almeida (Université de Montréal). Mousseau, Faddoul, Bruyère et Almeida ont, d’une part, échangé sur les façons dont les savoirs expérientiels, académiques et institutionnels sur les personnes LGBTQ migrants, racisées et ethnicisées sont construits et ont, d’autre part, élaboré pourquoi et comment les connaissances construites et les moyens mis en place par les personnes en position de pouvoir devraient permettre aux personnes concernées d’être incluses dans ces productions afin qu’elles puissent mieux bénéficier de ces savoirs qui sont produits non plus que « sur elles », mais aussi « avec et par elles ». L’une des questions posées à la table ronde qui a permis le partage d’une réflexion critique était : quels sont les principaux défis rencontrés par les intervenants de la table ronde quant à la mise en pratique des recherches qui sont produites auprès des personnes vivantes à l’intersection des sexualités et des ethnicités minorisées ?
Les réponses des panellistes à cette question ont été variées. Vincent Mousseau a mentionné qu’« il n’y a pas d’inclusion importante pour contrer le racisme. Il y a une grande ignorance des personnes hautement placées pour lutter ou contrer les problèmes liés aux racismes, LGBT migrants. » Maxime Faddoul quant à lui a rappelé « une absence d’engagement dans la communauté concernée par l’abandon des personnes racisées qui sont placées à la tête d’un organisme ; ce qui les amènent à une dépression psychologique (…). » Jeansil Bruyère a postulé : « Je ne suis pas recherchiste, mais je travaille pour le droit des personnes atteint du VIH. Plusieurs enjeux sont remarqués dans la diversité sexuelle. On devrait briser la version nous versus eux. » Jade Almeida a témoigné : « Je fais une étude sur les femmes noires qui aiment les femmes noires à l’université. J’ai eu des barrières pour mes recherches parce que j’étais considérée plutôt subjective et on m’a imposé la méthodologie classique pour mes recherches. Je me voyais donc perdre ma crédibilité et ma légitimité auprès de ma communauté, car mes propres méthodologies sont tombées à l’eau. Je pointe également le travail invisible des étudiants racisés qui n’arrivent pas à continuer leurs recherches à cause des travaux supplémentaires qui leur sont confiés et qui n’entrent pas dans leur cadre de recherche ou d’emploi. Si le CV démontre un ou des emplois pour des évènements LGBT ou autres emplois en lien avec les personnes issues de cette communauté, ce CV est souvent rejeté, voire même mis à la poubelle. »
- Vincent Mousseau (Université McGill), Maxime Faddoul (Université de Montréal), Jeansil Bruyère (AIDS Community Care Montreal - SIDA bénévoles Montréal [ACCM] et Jade Almeida (Université de Montréal).
Au cours de cette table ronde, Maxime a mentionné l’importance de mettre tout le monde sur la même base en parlant du projet de loi 35 adopté en 2015 à l’Assemblée nationale qui est venu enlever les prérequis chirurgicaux pour l’obtention de mention d’un changement de sexe à l’État civil pour les personnes trans majeures et citoyenne canadienne. « Donc ça ne devrait pas combler les besoins de toutes les personnes trans sur le plan juridique » a commenté Maxime Faddoul. Il a également mentionné qu’en 2016 ce plan juridique s’est étendu aux jeunes mineures, sauf aux jeunes mineurs qui sont Trans et migrants. Il a ajouté : « Donc en dépit justement de ces avancés législatives, il y a encore des jeunes Trans mineurs qui sont encore en voie de transformation légale ».
Maxime a également souligné la référence d’un article écrit par Dalia Tourki et al. (2018) intitulé « Au-delà des apparences : analyses intersectionnelles des vécues des jeunes trans migrants et racisés au Québec » (1) pour les personnes qui désirent avoir plus d’informations sur les résultats qui ont été générés par les données de la recherche. Cet article propose des dialogues, des vécus des personnes trans, migrantes, blanches et racisées. « Ces personnes trans ne sont pas statiques par rapport à la réalité. Il y a beaucoup d’initiatives qui sont menées par les personnes trans migrantes elles-mêmes pour revendiquer leurs droits juridiques et leurs droits sociaux. Ces initiatives dévoilées par ces personnes trans ne sont cependant pas exhaustives, mais certaines de ces initiatives ont permis d’avoir un début de conversation pour relayer la voix de ces personnes, pour faire parler de la réalité de leurs barrières » a souligné Maxime. Par exemple, avec ASTTEQ (Action Santé Travesti [e] s et Transsexuel [le] s du Québec), l’équipe de recherche a présenté à trois reprises dans trois universités différentes le panel Migration Trans destination Québec : enjeux, défis et survie pour sensibiliser les personnes aux réalités des personnes trans migrants. Maxime mentionne par ailleurs qu’il est important de savoir que « le Québec est la seule province canadienne qui refuse aux personnes trans migrantes de changer leurs documents. » C’est donc dans cette optique que deux marches Trans en 2016 et 2017 ont mis en avant trois personnes trans migrantes qui avaient pour revendication principale de vouloir abolir le critère qu’il faut avoir la citoyenneté canadienne pour changer sa mention de sexe et son prénom à l’État civil. Ces actions ont porté leurs fruits avec le dépôt de loi 895 par le Parti québécois en 2017 qui a permis d’enlever la barrière de la citoyenneté canadienne afin de pouvoir changer son nom et sa mention de sexe à l’État civil.
Finalement, quand les personnes trans migrantes rédigent elles-mêmes sur leurs réalités, elles vont plus mettre l’accent sur les barrières culturelles, les faits vécus, les conditions dans lesquelles elles vivent. « En dépit des chercheu.se.s, de leur médecin, de leur psychiatre, les personnes trans migrantes peuvent se penser elles-mêmes et elles apportent des sensibilités épistémologiques, des sensibilités éthiques, des sensibilités qui sont poussées au plan méthodologique que les chercheu.se.s n’auront pas, parce que ces personnes ont un point de vue situé spécifique, et cela apporte une richesse dans la recherche. Sans oublier que ces personnes ont une certaine capacité de se défendre aussi » a rappelé Maxime Faddoul.