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Suisse - Retour sur l’année 2016-2017

Suisse - Retour sur l’année 2016-2017

 - © Flickr - diegofornero
© Flickr - diegofornero

POLITIQUE

- Par Benjamin Philippe

Doris Leuthard (Ph : Flickr - International Transport Forum)

Juin 2015, Doris Leuthard est conseillère fédérale chargée de la Communication. Les votations du 14 mettent ses nerfs à l’épreuve. Le peuple est appelé à se prononcer sur la redevance universelle radio-TV. Pour le groupe audiovisuel public SSR (Société suisse de radiodiffusion et télévision), l’enjeu est de taille : il en va d’une augmentation substantielle de son budget. L’institution tremble pour son avenir jusqu’aux résultats définitifs. Acceptée avec 50,08 % des voix, la loi laisse en suspens la question du cadre du service public. Doris Leuthard évite le fiasco. Le principal média suisse reste cependant sur la sellette, car les habitants s’exprimeront d’ici 2019 au sujet du simple maintien de « billag », le nom de la redevance télévisuelle actuelle. De fait, l’initiative populaire fédérale « Oui à la suppression des redevances radio et télévision » a été validée en janvier 2016 ; les contribuables des cantons de Zurich et de Berne se sont particulièrement mobilisés sur ce sujet, en apportant la moitié des 100 000 signatures nécessaires à la prise en compte de l’initiative. Il en ira du modèle économique de la SSR.


Le Conseil national (Ph : Communication CN)

Si l’année 2015 a débuté sous le signe de l’économie (avec la fin du taux plancher pour le franc suisse en janvier), elle se termine assurément sous celui de la politique, avec des élections cruciales pour la Confédération. Principal parti de Suisse, l’Union démocratique du centre (UDC), parti conservateur et nationaliste, revient en force. Elle remporte 29,4 % des voix aux élections fédérales du 18 octobre. Ce succès lui permet d’envoyer 11 députés supplémentaires siéger au Conseil national, la chambre des députés. En tout, l’UDC occupe dès lors 65 des 200 sièges et le pays de pencher davantage à droite. Le Parti libéral-radical (PLR) est en effet l’autre gagnant du vote, avec trois sièges en plus, soit 33 au total. De cette « reconfiguration des droites », selon la formule de l’historien Hans Ulrich Jost, la presse étrangère y voit la conséquence de la crise migratoire. Assurément, ces élections redistribuent les cartes, avec le recul du Parti socialiste, de trois sièges, mais en compte 43 en tout néanmoins, l’effondrement du centre (huit sièges en moins) et surtout avec la quasi-sortie de piste des Vert’libéraux (écologiste/social-libéral), fondé en 2007 et déjugé par le peuple en début d’année 2015 pour son projet de « taxe sur l’énergie ». Avec sept sièges, les Vert’libéraux sont à égalité avec le Parti bourgeois démocratique (PBD), dont la Grisonne Eveline Widmer-Schlumpf est la représentante au Conseil fédéral. Celle-ci, en place depuis 2008, d’abord à la Justice et police, puis aux Finances, est entrée à la faveur d’un coup de force des autres partis politiques contre Christoph Blocher, alors président de l’UDC. L’élection du mois d’octobre 2015, et l’importance prise à nouveau par l’UDC la placent en position de faiblesse. De fait, Eveline Widmer-Schlumpf annonce le 28 octobre qu’elle se retire à la fin de l’année. Accusée par certains d’avoir mis fin au secret bancaire, elle est saluée par d’autres pour avoir résisté autant que possible aux exigences tant de la justice américaine que de l’OCDE. La place d’Eveline Widmer Schlumpf revient au Vaudois Guy Parmelin, le 9 décembre (lire par ailleurs).

A la fin de l’année, la présidente Simonetta Sommaruga (Parti socialiste) laisse sa place à Johann Schneider-Ammann, son vice-président (libéral-radical), élu avec 196 voix pour 208 bulletins valables. Ce dernier a la contrariété de faire le buzz mondial du mois de mars, avec ses vœux pour la journée des malades. Censés célébrer « le rire », ils sont dits d’une façon particulièrement monotone.



Entre temps, la population suisse est appelée à se prononcer sur quatre objets nationaux. Le premier, une initiative populaire de 2012, est intitulé : « Pour le couple et la famille – Non à la pénalisation du mariage ». Elle est refusée à 50,80 %, notamment parce qu’elle aurait écrit dans la constitution que le mariage n’était que l’union d’un homme et d’une femme. Le second, « Pour le renvoi effectif des étrangers criminels », est également refusé, mais à nettement plus large échelle (58,90 %). C’est presque autant que le pourcentage de non à l’initiative « Pas de spéculation sur les denrées alimentaires » (59,90 %). En revanche, la « Modification de la loi fédérale sur le transit routier dans la région alpine », c’est-à-dire la réfection du tunnel routier du Gothard et la création ou non d’une seconde voie est acceptée par 57 % des électeurs. Elle aura longtemps été incertaine, à la fois par crainte d’un dépassement de budget inimaginable et par crainte de conséquences sur l’environnement. Grâce à ce vote clair, le canton italophone du Tessin s’en trouvera encore un peu moins enclavé.

Un conseiller surprise nommé Guy Parmelin

En 2014, le « 9 février » reste comme le jour où l’Union démocratique du centre (UDC) a jeté un froid sur les relations de la Suisse avec l’Union européenne. Le peuple a en effet approuvé son initiative contre l’immigration de masse, dont l’objectif est de réintroduire des plafonds annuels à l’immigration ainsi que des contingents pour les autorisations de séjour dans le pays. En 2015, un autre « 9 » ébranle l’UDC, en décembre cette fois. Pour combler le siège du Conseil fédéral, laissé vacant par Eveline Widmer-Schlumpf, il faut une personne issue de l’UDC, et ainsi respecter l’équilibre politique du pays. Des trois « papables » proposés au parlement suisse, c’est le Romand Guy Parmelin qui est élu, et non le Zurichois Thomas Aeschi, candidat naturel du parti, notamment soutenu par Christoph Blocher. Les autres partis ont imposé l’idée d’un troisième « Latin » au Conseil fédéral, aux côtés d’Alain Berset et de Didier Burkhalter, et le candidat romand apparaît plus modéré. Son élection est toutefois considérée comme une victoire à la Pyrrhus par la gauche et même par son parti. Elle est cependant une vraie satisfaction pour le canton de Vaud, dont est originaire le nouveau conseiller fédéral. Il est le premier Vaudois à ce poste depuis Jean-Pascal Delamuraz, il y a 17 ans.

ÉCONOMIE

La Confédération helvétique a commencé l’année 2015 par un séisme économique : l’abandon du taux plancher de 1,20 franc pour un euro, le 15 janvier. La devise a atteint dans la foulée le seuil historique de 85 centimes pour un euro. Le premier semestre fut donc une période d’incertitude pour toutes les entreprises exportatrices. Malgré tout, soutenu par la consommation privée et publique, le produit intérieur brut (PIB) réel de la Suisse a progressé de 0,4 % au quatrième trimestre 2015. D’après les résultats trimestriels, le PIB réel pour 2015 est estimé à 0,9 % de croissance. C’est nettement moins qu’en 2014 (1,9 %), mais toujours mieux que ce qui était redouté. La récession ou, a minima la stagnation, a finalement été évitée, de même que les licenciements et les délocalisations. Reste que le marché du travail s’est notablement dégradé, en raison de l’impact du franc qui pèse sur les marges des entreprises. En 2015, le taux de chômage a diminué au premier semestre, 17 690 personnes ont retrouvé un emploi, mais, au second semestre, c’en sont 25 000 qui se sont retrouvés sur le marché. Au troisième trimestre, plus particulièrement, le taux de chômage était donc assez élevé (4,9 %) ; il a sensiblement baissé au quatrième trimestre (4,7 %). En raison des facteurs saisonniers, le nombre de chômeurs a fortement augmenté en novembre et décembre. Globalement, et par rapport à 2014, le chômage a augmenté de 4,4 %.

L’année 2016 a débuté avec un taux de chômage de 5,1 %, taux qui a brusquement diminué pour atteindre 4,3 % au deuxième trimestre 2016. Près de 9400 places vacantes étaient annoncées aux Offices Régionaux de Placement (ORP) en janvier, soit 1358 places de plus qu’en décembre 2015. La moyenne annuelle du taux de chômage pour cette année-là était de 3,3 % de la population suisse. Le taux budgété pour 2016 est sensiblement supérieur, avec 3,6 %.

L’horlogerie et le tourisme secoués
Début 2015, l’industrie courait le risque d’un démantèlement industriel. L’horlogerie, bijouterie et les instruments de précision, jusqu’ici plutôt imperméable à la crise, ont souffert de la conjoncture, comme les exportations de services (-3,2 %). En revanche, les exportations de marchandises (sans or non monétaire, objets de valeur et commerce de transit) ont été en pleine croissance (+3,9 %), bien aidées par la pharma-chimie, vraie locomotive de l’économie suisse et relativement résistante aux cours de change. C’est à ces deux domaines, la pharmacie et la chimie que la Suisse doit une progression de 4,2 % pour les importations de marchandises (sans or non monétaire et objets de valeur). Les importations de services n’ont, elles, que peu changé par rapport au trimestre précédent (-0,3 %). Sur l’ensemble de l’année 2015, le commerce et les services financiers ont connu une évolution négative, de respectivement 2,8 % et 2,1 %.


Le tourisme victime du coût de la vie (Ph : Flickr - Oscar Gende Villar)

Au quatrième trimestre 2015, et par rapport aux trois mois estivaux, les dépenses de l’État ont progressé (+0,6 %), dans une mesure supérieure à celles de la consommation des ménages (+0,1 %). Cette hausse sensible s’appuie sur les rubriques santé, produits alimentaires et boissons, et communications. La consommation a reculé dans la rubrique « logement et énergie ». Dans le même temps, les investissements dans la construction ont stagné (+0,1 %).

Un séjour en Suisse est devenu bien plus cher pour la clientèle européenne et ce sont 142 000 nuitées, que le secteur de l’hôtellerie a perdues entre mai et octobre 2015. Aussi, les acteurs du tourisme en sont venus à militer en vain pour un taux minimal de 1,15 franc. La Banque Nationale suisse (BNS) pourrait, selon eux, introduire un taux plancher fixe, comme en 2011, sinon intervenir de façon ciblée. Le scénario est a priori exclu.

Le climat de consommation n’étant pas propice, l’année 2016 devrait voir une consommation des ménages et des collectivités publiques au service des ménages autour de 1,1 %. La croissance à la fin de l’année 2016 devrait se situer entre un et 1,5 % du PIB, aidé par l’immigration persistante dans le domaine de la santé. De leur côté, les entreprises ont établi leurs budgets avec une parité un franc pour un euro, ce qui devrait limiter les mauvaises surprises pour l’exercice 2016.


Le lac Léman (Ph : Flickr - jbdodane)

SOCIÉTÉ et CULTURE

- Par Loriane Pédurant Drillot

Les enfants sont peu nombreux mais très bien équipés ! (Ph : Flickr - Thomas 8047)

Population
En 2015, la Suisse a atteint les 8,3 millions d’habitants pour une superficie de 12 029 km². La Suisse romande compte 2 061 295 habitants pour une superficie de 9 508,2 km². Depuis le début du XXe siècle, la population suisse a plus que doublé (3,3 millions en 1900). La pyramide des âges s’est considérablement modifiée au cours du XXe siècle. L’espérance de vie des hommes est passée à 80,5 ans et celle des femmes à 84,8. Le taux de fécondité, un des plus bas d’Europe, s’élève à 1,5. Le nombre d’enfants par Suissesse (1,3) reste inférieur à celui des femmes issues de l’immigration (1,8). Le vieillissement de la population s’explique par la chute du taux de fécondité et l’allongement de l’espérance de vie, les moins de vingt ans ne représentant plus que 20,4 % de la population. On constate également que les femmes deviennent mères pour 75 % à 30 ans et plus, alors qu’en 1970, elles étaient 70 % à avoir moins de 30 ans. Les femmes comme les hommes se marient également plus tardivement. On compte 2,1 divorces pour 1000 habitants. La population étrangère (24,3 %) participe à 45 % de l’accroissement de la population, accroissement en baisse depuis les années 1998. En 1950-60, la population étrangère participait pour moitié à la croissance démographique (1).

Langue
La Suisse possède quatre langues officielles : l’allemand, parlé dans dix-sept cantons par 63,5 % de la population, le français pratiqué par 22,5 % de locuteurs (dans les cantons de Genève, Neuchâtel, Vaud, du Jura et ceux de Fribourg, Berne ou du Valais, bilingues avec l’allemand), l’italien rassemblant 8,5 % d’usagers, dans le Tessin et, enfin, le romanche, comptant 0,5 % de locuteurs, dans les Grisons. Notons que depuis que l’OFS offre la possibilité d’indiquer deux langues, on constate une augmentation des francophones et italophones. En constante régression depuis 1980, perdant 15 % de ses représentants en une décennie, et considéré comme minoritaire, le romanche résiste. Lors d’une session des Chambres Fédérales, il a été reconnu comme langue nationale, le 20 février 1938, puis, en tant que langue officielle « pour les rapports que la confédération entretient avec les personnes de langue romanche », le 18 avril 1999 (2). Longtemps présenté comme un mélange de français, d’allemand et d’italien, il est maintenant établi que le romanche dérive du latin, mais, qu’enfermé dans les Alpes, il a évolué différemment. Comme beaucoup de parlers basilectes, le romanche survit grâce à ses pratiquants qui se battent pour que, dans les Grisons, l’enseignement de certaines branches, à l’école primaire, continue à se donner dans leur langue maternelle ou pour que cette dernière soit enseignée, au même titre que l’allemand, dans le secondaire. Par ailleurs, l’enseignement du français est remis en cause en Thurgovie, canton alémanique, au profit de l’anglais. Une telle démarche touche à un des points fondamentaux du système fédéral et montre que : « l’enseignement d’une seconde langue nationale […] est un échec » (3). Toutefois, la présence de diverses communautés enrichit le paysage linguistique de la Suisse. Ainsi, des langues comme le portugais ou l’albanais sont plutôt pratiquées dans la sphère privée, tandis que l’anglais s’emploie de plus en plus dans le monde du travail.

Éducation
Dans le canton de Genève, la conseillère d’État Anne Emery-Torracinta a décidé de fermer une école publique de 600 élèves, le Cycle d’Orientation de la Seymaz (12-14 ans), ouvert en 2007, afin d’y déplacer le Collège de Candolle (15-18 ans) qui laisse ses locaux à l’École de Culture Générale Ella Maillard, qui depuis 8 ans n’arrive pas à sortir de terre à cause de recours de la population, qui ne veut pas d’un établissement comme voisin. Les 600 élèves de la Seymaz sont répartis sur d’autres écoles du canton, dont les effectifs sont déjà pleins.

Au primaire, les notes pour les évaluations font leur retour.

L’institut de formation des enseignants, l’IUFE, compte ses jours. Le CDIP demande la fin de la formation en emploi au nom d’une harmonisation fédérale. Pourtant, comme le soulignait Harry Koumrouyan, « seuls le Wisconsin et Genève offrent une formation en emploi » qui permet de mieux armer les futurs enseignants qui ne se confrontent au terrain pas uniquement sous forme de stages.

Théâtre
Si certains, comme Joël Aguet (4), déplorent l’absence d’une troupe professionnelle rémunérée par l’État, qui participerait à l’essor du théâtre en Romandie, qui reçoit trop souvent de grosses productions venant de France, cela n’empêche pas les créations romandes d’exister. Le dernier spectacle écrit et mis en scène par Dominique Ziegler Ombres sur Molière a obtenu un vif succès et va entamer une tournée l’an prochain. L’auteur-metteur en scène a reçu la Plume d’Or de la Société des écrivains de Genève pour cette pièce, rédigée en alexandrins, où il revisite l’affaire Tartuffe. Il met en lumière les problèmes liés à la censure politique comme religieuse de l’époque ainsi que les revers de la vie sentimentale et de chef de troupe de Molière.

Tous les deux ans, le théâtre Saint-Gervais de Genève et de l’Arsenic de Lausanne accompagnent des auteurs à travers un atelier d’écriture : Textes-en-scènes. Cette année, sortent lauréats Douna Loup, Julien Mages, Stéphanie Blanchard et Camille Rebetez. Le théâtre de Saint-Gervais, sous la direction de Zoé Cadotsch, a décidé de récolter les anecdotes de tout un chacun, qui serviront de matière première à un spectacle pour la rentrée 2016, sorte de pied de nez à Facebook et Big data.

Les Journées du théâtre contemporain, créées il y a trois ans, se déroulent dans un canton différent chaque année. Pour l’édition 2015, ce sont les villes de Sion, Sienne et Brigue qui ont accueilli l’évènement. Jérôme Richer a écrit et mis en scène Nous sommes tous des pornstars, pièce dans laquelle joue Martine Corbat, qui a créé sa propre compagnie, la Compagnie de l’Hydre, en 2012. Thierry Romanens a monté Molière Montfaucon 1-1 de Lionel Frésard, qui dresse une galerie de portraits joués par un seul acteur, montrant comment l’auteur est passé des stades de football à la scène.
Pour sa deuxième édition, le Grand Prix suisse de théâtre/Anneau Hans Reinhart n’a pas été décerné à un créateur romand.


Nous sommes tous des pornstars (Ph : Cie des Ombres)

Littérature
Le Grand Prix de littérature suisse, qui récompense différents auteurs de toute la Suisse, a primé la Valaisane Noëlle Revaz pour L’Infini Livre (5) où l’auteure dresse une satire et s’interroge sur l’emprise qu’exercent les médias sur la vie des livres, de leur auteur et de leurs lecteurs.
Le Grand Prix Ramuz, qui est remis tous les cinq ans, a distingué Catherine Safonoff, née en 1939 à Genève, où se situent la plupart de ses romans, pour l’ensemble de son œuvre, qui excelle dans l’autofiction. Après un premier récit, qui s’inscrit dans la verve du nouveau roman, écrit aux États-Unis, où elle a suivi son mari, et qui ne trouvera pas d’éditeur, l’écrivaine rédige en 1977 La Part d’Esmé puis Retour, Retour en 1984, qui recevra le Prix Schiller et enchaîne ensuite les romans avec notamment Autour de ma mère en 2007, pour lequel elle recevra le Prix Dentan, ou encore Mineur et le Canari en 2012 (6).
Le Prix Bibliomédia a récompensé la neuchâteloise Dunia Miralles pour Inertie (7). Auteure du best-seller Swiss Trash, Dunia Miralles revient avec un récit montrant comment Béa, qui perd tour à tour concubin et emploi, plonge dans la dépression et la misère sociale, que l’on pense souvent absente dans un pays étiqueté comme riche. La narratrice, entourée d’un voisinage hétéroclite, fuit la bienveillance apparente de sa mère qui l’étouffe et se révèle toxique.

Xochitl Borel (Ph : Alois Gutierrez)

Xochitl Borel est, cette année, la lauréate du Roman des Romands pour L’Alphabet des Anges (8). Ce premier roman avait obtenu quelques mois plus tôt le Prix Lettres-Frontières, attribué par cinq cents lecteurs répartis entre la Suisse romande et la Région Rhône-Alpes (France). Xochitl Borel est née au Nicaragua où elle a passé son enfance. Ses parents, rentrés en Suisse, l’emmènent faire un tour du monde à l’âge de douze ans. Gardant le goût du voyage, après des études de sciences politiques, Xochitl Borel part en Irlande, en Turquie puis revient pour ouvrir un bistrot littéraire et musical à Montreux, avant de se mettre à travailler pour les Editions de l’Aïre à Vevey. Son roman relate l’histoire de la petite Aneth née borgne, suite d’un avortement raté. Différente des autres, forte de résilience, elle voit du merveilleux partout dans le monde qui l’entoure, que traduit très bien la prose poétique de l’auteure.
Le Prix Ahmadou Kourouma, au Salon du livre de Genève, a été décerné au jeune Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr pour Terre Ceinte (9). Né à Dakar en 1990, auteur de la nouvelle La Cale, pour laquelle il a reçu le Prix Stéphane Hessel en 2014, il termine ses études doctorales en littérature en France. Dans son récit, qui se passe dans une ville sahélienne sous la coupe d’une milice islamiste, tout en traitant de l’actualité, le romancier aborde des thématiques universelles : que ferions-nous en cas de régime terroriste et totalitaire ? Résistance, héroïsme ou silence voire collaboration ? Pour Mohamed Mbougar Sarr, il est certain que les gouvernements africains ont une part de responsabilité en entretenant la misère : « De nombreux jeunes n’ont aucune perspective, ils se laissent alors séduire par des discours religieux intégristes, qui semblent porteurs de solutions à leurs problèmes » (10). Il dénonce également la destruction par les islamistes intégristes des bibliothèques parce que la culture représente une menace d’émancipation.
Le Prix Michel Dentan a été attribué à Antoinette Rychner, qui après cinq pièces de théâtre et un recueil de nouvelles s’est essayée au genre romanesque avec Le Prix (11). Le roman retrace la douloureuse naissance d’un Ropf qui sort du nombril de son créateur ou comment ce dernier doit compiler ses aspirations d’artiste avec sa vie de famille, ou plutôt comment sa famille doit cohabiter avec les états parfois schizophréniques du sculpteur, qui est capable de détruire la plante de son Mouflet (manière dont il nomme son enfant) ou de laisser l’appartement prendre feu.
Anne-Claire Decorvet a reçu le Prix Édouard Rod pour Un lieu sans raison (12). Cette enseignante de français genevoise retrace la vie de la modiste Marguerite Sirvins (1890-1957) internée pour schizophrénie à l’asile St Alban, en Lozère, connue pour avoir accueilli pendant la guerre des Juifs et des artistes tels que Eluard ou Tristan Tzara. En s’intéressant à la vie de Marguerite Sirvins, qui a refusé un mariage arrangé, l’écrivaine dénonce le statut des femmes au début du siècle dernier, mais aussi les conditions de détention des patients des asiles : le froid, la faim, l’insalubrité, les violences faîtes aux «  fous ». La robe de mariée que Marguerite Sirvins a réalisée au crochet avec des bouts de fils récupérés de chiffons usagés est exposée au musée de l’art brut à Lausanne.
Une réédition revisitée et augmentée de L’Histoire de la littérature en Suisse romande (13) dirigée par le professeur Roger Francillon, à l’Université de Zurich, souligne l’accroissement du nombre d’auteurs romands, mais aussi de leur reconnaissance avec l’augmentation des prix littéraires.

Bande dessinée
Blutch, considéré comme l’incarnation de « la nouvelle vague » de la BD, a été l’invité d’honneur du festival BDFIL de Lausanne, dont il a réalisé l’affiche. Ce festival a pris le relais à celui de Sierre, deuxième plus grand festival de la BD européen, après celui d’Angoulême (France). Les auteurs Cosey, Régis, Tébo, Trondheim, Keramidas ou Brigitte Findakli ont été approchés pour revisiter le mythe de Mickey Mouse, en parallèle d’une rétrospective de la souris de Walt Disney, avec des collections publiques et privées, une avant-première mondiale. Une exposition était également consacrée à Riad Saltouf avec L’Arabe du futur, une autre au Lausannois Mix et Remix intitulée Évolution ou encore à Magali Le Huche, pour les plus jeunes, avec son héros Jean-Michel le caribou. Un hommage était rendu à Hugo Pratt, l’auteur du célèbre Corto Maltese, pour les vingt ans de sa disparition.

Danse

Le Prix de Lausanne a été attribué à l’Australien Harrison Lee, qui a convaincu les jurés avec sa variation du Lac des Cygnes. Arrivée en deuxième position, Jisoo Park (Corée du Sud) se retrouve la première féminine. Le troisième, Mitsuru Ito, vient du Japon. Le Prix du public a été décerné à la Suissesse Lou Spichtig pour sa variation de La Belle au bois dormant.
Le ballet Presbytère continue de tourner, après la mort du chorégraphe Maurice Béjart, sous la direction de Gil Roman, avec ses 42 danseurs, sur la musique de Queen et de Mozart, montrant les angoisses, mais aussi l’espoir d’une génération à qui on avait dit de faire « l’amour pas la guerre » et qui découvre, dans les années 90, que l’amour avec le VIH peut tuer.



Lou Spichtig - 2015 Prix de Lausanne Prize... par JungDooley


Cinéma
Le Festival international du film de Fribourg, pour sa 29e édition, a récompensé de son Regard d’or le film Gonzàles de Chritian Diaz Pardo, montrant un jeune Mexicain au chômage, endetté, qui se met à travailler pour une église néo-évangélique et découvre comment elle profite de ses fidèles. Le Prix spécial du jury a été décerné au moine tibétain Chakme Rinpoche pour Ata qui se déroule en Chine et raconte l’histoire d’un jeune garçon aveugle, dont la mère souhaite qu’il devienne champion de ping-pong. L’adolescent refuse et fugue. La mère alors désespérée recouvre ses yeux d’un bandeau afin d’essayer de ressentir le monde comme son fils. Corn Island du Géorgien George Ovashvili a reçu le Prix spécial du public. Le film, tout en rendant hommage à la nature, décrit la relation entre un vieil homme taiseux et sa petite fille, avec qui il s’installe au bord de la rivière Inguri, frontière entre la Géorgie et l’Abkhasie, pour cultiver le maïs. Leur quotidien va être perturbé par les gardes-frontières. Une mention spéciale a été remise à la Vietnamienne Diep Hoang Nguyen, trois fois lauréate, avec le prix du jury des jeunes et le prix œcuménique pour Flapping in the Middle of Nowhere. Le long métrage retrace l’histoire d’une adolescente, vivant loin de ses parents, à Hanoi, tombée enceinte et qui ne souhaite pas plus que son petit ami fauché garder l’enfant. Elle se tourne alors vers la seule personne capable de l’aider à avorter, qui se révèle être un fétichiste des femmes enceintes.

Musique
Le Paléo festival de Nyon a marqué sa 40e édition avec plus de 210 concerts et accueilli 230 000 spectateurs. Le Festival de jazz de Montreux a reçu 240 000 spectateurs. Il a été ouvert par Emelie Saché et John Legend. Se sont produits des artistes comme Jamie XX, Fakear, Alabama Shakes, Ibeyi, Baxter Dury, Zaz, Louis, Matthieu, Joseph et Anna Chedid ou encore des grosses têtes d’affiche comme Lenny Kravitz, D’Angelo, Hot Chip et Portishead.

Stress (Ph : site internet Stress)

Aux Music Swiss Awards, créés depuis 2008, dans la catégorie meilleur artiste romand, a été primé le rappeur vaudois Stress, qui en est à son 9e trophée dans cette compétition. Ce rappeur de 39 ans, originaire d’Estonie, diplômé de la HEG de Lausanne, a fait ses débuts avec le groupe Double Pact en 1995 avant de se lancer dans une carrière solo, en 2008, avec l’album Billy Bear. En 2014, il sort un album éponyme Stress. Pierre Lautomne avec La Friche revisite les chansons de ses trois derniers albums. L’orchestre suisse romand a composé des nouveaux morceaux avec Reflecting Black de William Blank, David Livey et Pascal Rophé, dont un des titres, Exodes, rend hommage à Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations Unies.

Expositions
Au musée d’Arts et d’Histoire à Genève, l’exposition « Jean-Pierre Saint-Ours, un peintre genevois dans l’Europe des lumières » a rendu hommage à l’artiste néo-classique du XIXe siècle. À la Fondation l’Hermittage à Lausanne, une rétrospective des œuvres de Marius Borgeaud, né à Lausanne en 1861, qui a vécu ensuite entre Paris et la Bretagne, montre l’appartenance au postimpressionniste de l’artiste puis une voie plus réaliste et naïve qu’a empruntée le peintre pour affirmer sa singularité. À la galerie Anton Meir à Genève, ont été exposées des pièces de Daniel Berset, dont les immenses chaises siègent devant les Nations Unies. Au Mudac de Lausanne, « Freitag ad absurdum » des frères Freitag, artistes zurichois, dont le nom est devenu une marque, montre comment concilier écologie et création artistique en recyclant des bâches de camion usées en sacs très tendance. «  La mémoire des images », à l’Élysée à Lausanne, propose une rétrospective iconographique régionale.


BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

BOREL Xochitl, L’Alphabet des Anges, L’Aïre, 2014.
DECORVET Anne-Claire, Un lieu sans raison, Campiche, 2015.
FRANCILLON Roger, L’Histoire de la littérature en Suisse romande, Zoé, 2015.
MBOUGAR Sarr Mohamed, Terre Ceinte, Broché, 2014.
MIRALLES Dunia, Inertie, L’Age d’Homme, 2014 ; Une fille facile ; L’Age d’Homme, 2012 ; Swiss Trash, L’Age d’Homme, 2000.
REVAZ Noëlle, L’Infini Livre, Zoé, 2014.
RYCHNER Antoinette, Le Prix, Buchet-Chastel, 2015.
SAFONOFF Catherine, La Part d’Esmé, Bertil Galland, 1977 ; Retour, Retour, Zoé, 1984 ; Autour de ma mère, Zoé, 2007 ; Mineur et le canari, Zoé, 2012.


Notes
(1) Ces chiffres sont ceux présentés par l’O.F.S, l’Office Fédéral de la Statistique, www.bfs.admin.ch
(2) Constitution suisse, 18 avril 1999, article 70.
(3) Veya Pierre, éditorial du Temps, 27.08.2014.
(4) Dictionnaire du théâtre en Suisse, Chronos Verlag, Zurich, 2005.
(5) Revaz Noëlle, L’Infini Livre, Zoé, 2014.
(6) Safonoff Catherine, La Part d’Esmé, Bertil Galland, 1977, Retour, Retour, Zoé, 1984, Mineur et le Canari, Zoé, 2007, Autour de ma mère, Zoé, 2012.
(7) Miralles Dunia, Inertie, l’Age d’Homme, 2014.
(8) Borel Xochitl, L’Alphabet des Anges, L’Aïre, 2014.
(9) Mbougar Sarr Mohamed, Terre Ceinte, Broché, 2014.
(10) Catherine Morand, « Le roman d’un jeune sénégalais, Terre ceinte, reçoit le prix Kourouma 2015 », Le Monde Afrique, 4.05.2015.
(11) Rychner Antoinette, Le Prix, Buchet-Chastel, 2015.
(12) Decorvet Anne-Claire, Un lieu sans raison, Campiche, 2015.
(13) Francillon Roger, Histoire de la littérature en Suisse romande, Zoé, 2015.

Benjamin Philippe
rédacteur à Genève
bjn.philippe@gmail.com

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