- Tout et son contraire...
Un « désordre ordonné »
Impossible d’énumérer tous les types de trésors que les fouineurs trouvent dans ce paradis du chineur : Une cloche d’église, une statuette rituelle malienne, un ornithorynque empaillé, une assiette en porcelaine ornée d’une fleur de lys, un Teddy Bear des années 50, une citerne à vin de Jerez du 14ème siècle, un décor de cinéma de 20 mètres de haut et 15 mètres de large, des colonnes antiques grecques, des bouddhas d’origine indéterminée, des "Jésus sur la Croix"... rien n’arrête les « Puciers ». De l’inventaire à la Prévert, il ne manque que les ratons laveurs !*. Pas de doute, nous sommes bien au cœur d’une des atmosphères les plus singulières de Paris. Si les objets exposés sont si hétéroclites, les visiteurs et acheteurs ne le sont pas moins. Environ 150 000 personnes déambulent chaque fin de semaine dans ce lieu mythique. Famille populaire en promenade dominicale, « Lady » cachée derrière des lunettes de soleil, chineurs amateurs ou professionnels faisant leur choix, célébrités du show-business meublant leur "petite maison" de la Côte d’Azur ou nouveaux riches chinois dépensant sans compter leurs Yuans dominateurs ! Tout ce petit monde se partage les ruelles étroites et vieillottes du marché Vernaison ou les grandes allées couvertes et lumineuses du marché Dauphine.
D’hier à aujourd’hui
Aujourd’hui les Puces de St-Ouen sont un lieu « chic » où se mélangent toutes les catégories sociales mais n’oublions pas qu’à l’origine le mot « Puce » nomme l’insecte sauteur parasite de l’homme. Remontons l’histoire… Si le mot « Puce » n’est pas très poétique, il est attaché à une autre expression beaucoup moins péjorative : « les Pêcheurs de lune ». C’est ainsi que vers 1880 on appelait les pauvres gens qui récupéraient, la nuit, les vieux objets jetés aux ordures. Ils réparaient les objets ramassés et tentaient ensuite de les vendre sur des marchés improvisés. Ce « peuple de l’ombre » fut poussé hors des fortifications de Paris et des campements s’installèrent à la limite de la ville. Il côtoyait les maraîchers, les forains et les gitans. Un jour, un homme marchant sur les fortifications et regardant ce spectacle insolite et sans doute dégoûtant s’exclama : « Ma parole, mais c’est le marché aux puces ! ». La presse reprit cette expression qui qualifie encore le marché de St-Ouen.
Le plus étonnant est que les Puces naissantes et mal organisées devinrent à la mode. Au passage du 19ème au 20ème siècle, les Parisiens firent des Puces, une promenade du dimanche au même titre que les bords de Marne ou les Grands Boulevards. Le bric-à-brac devint mondain. Devant le succès inattendu, la ville de St-Ouen décida d’organiser et surtout d’assainir les lieux. En 1885, pas moins de 135 « Puciers » ouvrent leurs petites boutiques chaque dimanche. Les Puces de St-Ouen sont nées ! Tout alla très vite : les rues sont pavées, les boutiques sont construites « en dur » et naturellement les « Puciers » doivent payer un droit de stationnement pour exercer leur commerce. La guerre de 14 va stopper l’expansion. C’est en 1920 que le marché se structure sous sa forme actuelle. Romain Vernaison, propriétaire de terrain, ou Malik Hajrullac d’origine albanaise, acheteur d’un café, se mirent à construire de véritables marchés. Ainsi naissent les Marchés Vernaison, Malik, puis Biron, Jules Vallès, Paul Bert ou Serpette… Autant de marchés plus ou moins spécialisés, aux atmosphères propres auxquels se sont ajoutés les marchés Malassis ou Dauphine. Allons-y, 7 hectares et 2000 boutiques nous attendent !
- Terrasse de café comme à la ville
Comme un village
La première impression qui saisit le visiteur est l’atmosphère. Nous sommes à quelques mètres du périphérique embouteillé qui encercle Paris. Des centaines de milliers de personnes vivent dans les alentours. Et pourtant, là, au cœur des Puces, il y a peu de bruit, les Puciers discutent comme au café entre copains, tout semble serein. On y parle l’anglais approximatif que toute la planète utilise et le français, ou plutôt le parisien ! Le parisien est un accent, à la Jean Gabin, teinté de vocabulaire légèrement argotique. L’accent disparaît dès que le client paraît sérieux, à ce moment là, il n’est plus utile de jouer la comédie ! Atmosphère… atmosphère comme disait Arletty à Louis Jouvet dans le film « Hôtel du Nord » ! Une vague de visiteurs passe ici chaque fin de semaine mais les Puciers ont toujours l’air d’avoir le temps. Le temps de jouer aux échec sur le pas de la boutique ou sur un capot de voiture ; le temps de manger entre vieux amis sur des tables posées entre deux boutiques ; le temps de commenter l’actualité politique, un journal à la main…
La délicieuse atmosphère vient surtout de la richesse et de la variété des boutiques. Commençons par le berceau des Puces, le marché Vernaison. Il a peu évolué depuis sa fondation en 1920. Ses ruelles sont étroites et tortueuses. Parfois, on ne peut se croiser tant l’espace est réduit entre les deux côtés de la ruelle. C’est le paradis de la brocante où les Puciers sont fidèles à l’esprit d’autrefois. Des lampes, des petits meubles, des poupées en porcelaine ou d’antiques électrophones, on trouve de tout, si on se donne la peine de chercher. Dans les entrailles du marché on découvre « Chez Louisette », un bistrot-guinguette tassé au fond d’une ruelle où les amoureux des films en Noir et Blanc écouteront chanter les airs du Paris d’avant, tout en mangeant une entrecôte frites !
Plus calme, le petit atelier-boutique du peintre Karim Rouhani. Ce personnage à l’accent doux et chaleureux restaure les tableaux anciens. Son atelier est à Créteil, en grande banlieue parisienne, mais ici, aux Puces, il habite son minuscule atelier que l’on pourrait classer « monument historique ».
Le marché Jules Vallès est géographiquement à l’opposé de Vernaison. C’est le plus ancien des marchés couverts, créé en 1938. Il conserve sa structure originelle. Ses 120 Puciers proposent des uniformes militaires, des armes anciennes, du mobilier et des objets de décoration.
- Ambiance village au coeur de Paris
Le temps où le mot « Puce » qualifiant des objets plein d’insectes piqueurs provoquant des démangeaisons est bel et bien révolu. Surtout quand on se rend aux marchés Biron, Antica ou Cambo. Biron est le plus grand des trois mais tous sont souvent qualifiés de « Faubourg St-Honoré des Puces », rappelant la rue de Paris où les boutiques les plus luxueuses se font face et se suivent sans interruption. Ici, contrairement à Vernaison, les objets sont restaurés et de haut de gamme : du mobilier, des miroirs, des tapisseries, des luminaires, des bronzes ou des faïences… Géraldine Bianco a sa boutique à Biron, spécialisée en objets de décoration du 20ème siècle. En attendant que sa bonne étoile ne lui apporte un client, elle joue aux échecs. Assise devant sa vitrine, sur une petite chaise, une gros chien à ses pieds, elle passe le temps. La dame prend le cavalier… Le jeu d’échec est très apprécié par les Puciers. Comme ces joueurs de la rue Paul Bert qui réfléchissent à une stratégie, l’échiquier posé sur le capot d’une voiture en stationnement. L’un d’eux, monsieur Broclander, vend de la « déco » des années 30 à 70. Il a le temps de jouer aux échecs, malheureusement, les clients sont rares !
- Loin de la perfection aérodynamique
Un mot sur le marché Paul Bert. C’est là que Cyril pédale comme un fou ! Les fesses posées sur la selle d’un vélo d’appartement antique ! Les passants le scrutent, l’air amusé et narquois. Il ne pédalera pas longtemps. Selon lui, il trouvera preneur avant la fin de la journée. Paul Bert, Serpette ou le marché des Rosiers sont « tendances ». Derrière ce mot qui ne veut pas dire grand chose, on doit comprendre que l’on trouve des objets totalement hétéroclites destinés à des décorateurs, des artistes ou des « people ». La clientèle y est choyée et les cartes bancaires acceptées ! Richard Gere, Catherine Deneuve, Demi Moore, Sharon Stone ou Fabrice Lucchini y laissent parfois leurs empreintes.
Enfin, entrons dans les marchés Dauphine et Malassis, les Puces modernes ! Ouverts dans les années 90, ces deux grands marchés brisent le mythe du marché sombre, étroit et fouillis. Ici, tout est lumière, espace et rangement. Le deuxième étage de Dauphine rassemble des libraires, des disquaires et diverses boutiques de matériels photographiques ou phonographiques. Au rez-de-chaussée, le mobilier restauré se partage l’espace avec les animaux exotiques empaillés de la boutique « Pas si Bête » de Vincent Bichet. L’homme est entouré de bêtes à longues cornes et de fourrures soyeuses. Atmosphère, encore une ! Les affiches ou gravures ne sont jamais éloignées des ambiances de grenier de grands-mères, comme celles de « Présents Passés », la boutique d’Isabelle Maleval.
Juste à côté, au marché Malassis, les boutiques sont orientées vers la décoration et l’ameublement. Plus on s’enfonce dans le bâtiment, construit comme un bateau, plus le parfum qui envahit les narines est asiatique ou indien. Devant la boutique familiale Henri Hayat attend le client. Dans les vitrines, des bronzes du 19ème et 20ème siècle représentant des animaux ou des personnages observent Henri qui joue de la guitare. Les notes sonnent "manouche". Atmosphère toujours ! Le son « manouche » est chez lui aux Puces. Impossible de remonter la rue des Rosiers sans s’arrêter boire un verre à « la Chope des Puces », lieu légendaire où les fils de Django Reinhardt, perpétuent l’art du jazz manouche. Depuis 1960 Mondine joue presque tous les jours, aujourd’hui accompagné de son fils Ninine. Parfois, un virtuose anonyme ou célèbre se joint à eux. Les manouches ont toujours été présents à St-Ouen et dans les environs, Django hantait déjà les lieux… atmosphère encore !
- Django... toujours dans l’air de la Chope