Pas de fausse interprétation. La création de ce Dictionnaire des francophones n’est pas une mauvaise manière faite à l’Académie française, ou un désaveu de sa vocation : elle n’ôte rien à la fonction normative de l’Académie française pour le français de France.
- Paul de Sinety, délégué général à la langue française et aux langues de France
« En fait, précise Paul de Sinety, ce « dictionnaire » est une agrégation de dictionnaires différents et pluralistes. Ce n’est pas à proprement parler un dictionnaire. C’est la réunion de plusieurs corpus des dictionnaires francophones dans le monde entier qui propose un accès, dès l’ouverture de son application au grand public, à plus de 500.000 termes de la langue française dans toute sa diversité. Et on estime, selon Bernard Cerquiglini, qui est le président du comité scientifique de l’opération, à plus d’un million le nombre de termes ou locutions qui seront accessibles à l’horizon 2023-2024.
« L’Académie française est évidemment concernée parce qu’elle accompagne ce projet dans sa démarche, dans sa philosophie de faire vivre toute la vitalité de la langue française. Et puis, nous avons des liens qui vont être proposés entre le dictionnaire en ligne de l’Académie française et le Dictionnaire des francophones. Tout cela se fait en amitié et dans un dialogue très constructif. »
Vous êtes le maître d’œuvre de l’opération. Pouvez-vous nous rappeler quel en a été le déclic ?
« L’idée a germé lorsque le président de la République, Emmanuel Macron, a fait son allocution « une nouvelle ambition pour la langue française et la francophonie, la francophonie et le plurilinguisme » sous la Coupole de l’Institut de France, le 20 mars 2018. Dans ce discours qui dévoilait une vision renouvelée pour la promotion de la langue française dans le monde, dans les espaces francophones, mais aussi en dialogue avec les autres langues, il y a eu une série de propositions, dont le projet d’un dictionnaire des francophones.
« L’idée majeure, c’est de faire partager la langue française dans toute sa diversité, au plus grand nombre, et de la faire découvrir d’abord à nous, Français qui, de l’Hexagone, n’avons pas forcément toujours conscience de cette formidable richesse et avons peut-être un peu trop tendance à considérer la langue française dans une forme d’exclusivité nationale sans réelle ouverture au monde.
« La délégation générale à la langue française et aux langues de France s’est vu confier la réalisation de ce chantier qui aboutit, après trois ans de travaux, de concertations et d’ingénierie notamment, à la mise en œuvre par l’Institut international pour la Francophonie (2IF) de l’Université de Lyon 3 Jean Moulin.
« Ce projet nous vient donc tout droit de la Coupole, cet appel à un décentrement novateur a été lancé depuis l’un des lieux les plus emblématiques pour notre pays dans la défense et l’illustration de la langue française. »
On avait déjà ajouté « les langues de France » dans l’intitulé de la Délégation. Va-t-il falloir ajouter « les langues françaises du monde » ?
« Je préfère utiliser la formule de « langue française dans la diversité de ses expressions ». C’est toujours un débat et je trouve que toute langue vivante s’enrichit en continu de son dialogue, de son contact avec les autres langues, mais aussi de la créativité de ceux qui parlent cette langue, quels que soient les cultures et les lieux d’origine dont on parle. C’est une vision d’une langue ouverte qui est en chantier, oui, dans un grand chantier ouvert, permanent, et qui s’enrichit par les 300 millions de locuteurs du français dans le monde. Ceux-ci pratiquent souvent le multilinguisme, et leur confrontation avec d’autres langues leur permet aussi d’enrichir le français dans une interaction permanente. Je trouve que c’est très intéressant et c’est une garantie pour notre langue de rester toujours vivante. Une langue n’existe et ne pourra continuer à vivre que si elle s’enrichit avec le temps. »
En quoi ce dictionnaire fait-il date dans l’histoire francophone ?
« C’est l’aboutissement, je pense, d’un changement de paradigme. On n’est plus dans un dialogue entre la France d’un côté et la Francophonie de l’autre. On n’est plus dans une référence exclusive à un épicentre de la langue française qui serait à Paris et Saint-Germain-des-Prés. On est dans le domaine de la reconnaissance, la reconnaissance de foyers de la langue française très intenses, qui participent dans la parité à la richesse de notre langue partagée.
« C’est fondamental si nous voulons construire une Francophonie juste pour demain. On le voit dans le domaine de la littérature. Il y a eu un combat qui a été mené par exemple par Michel Le Bris, récemment décédé, et qui comme président du festival Étonnants Voyageurs de Saint Malo, a beaucoup œuvré pour cette « littérature monde » francophone, qui n’était pas la propriété d’un petit nombre érigé en norme absolue, mais qui, au contraire, était un formidable élan de partage et d’enrichissement mutuel. Lorsque vous allez aujourd’hui dans les rayons des librairies, vous n’avez plus de distinction entre littérature française d’un côté, de l’Hexagone, et littérature francophone de l’autre. Là, on a changé complètement de perspective dans la réception que le public français pouvait avoir de la langue française, qui n’est plus la propriété exclusive de certains, mais qui n’appartient d’ailleurs à personne. Comme le dit si bien Jacques Derrida, une langue, « ça n’appartient pas », mais c’est vraiment le fruit d’un élan venu du monde entier.
« Il faut que le français appartienne à tous, si on veut que cette francophonie soit une francophonie de l’avenir et qu’elle puisse rendre fiers tous ceux qui parlent le français dans le monde. »
Comment évaluerez-vous la réussite de ce « dictionnaire » ?
« Bien sûr, la question de la fréquentation va être très importante. On va être très, très vigilants pour que cette application puisse être vraiment partagée. Le travail de communication va être très important dans les mois qui viennent. Heureusement, nous comptons sur d’importants partenaires médias, je songe à France Médias Monde (RFI, France 24) ou à TV5 Monde. Mais aussi sur la mobilisation de l’Office québécois de la langue française, des amis de Wallonie-Bruxelles, des Suisses qui travaillent sur les sujets de politique linguistique et qui vont se saisir et proposer cette belle application au plus grand nombre. Et enfin, évidemment, l’Organisation internationale de la Francophonie, comme l’AUF, les Instituts français, les Alliances françaises, tous les acteurs de la Francophonie active…
« L’un des critères de réussite sera aussi le côté participatif, collaboratif, via cette application sur le mode wiki, qui proposera à tous ceux qui le souhaitent d’enrichir cette base de données, avec des propositions qu’ils pourront faire eux-mêmes, à condition que ces termes ne figurent pas encore dans le Dictionnaire des francophones. Là, on va s’appuyer beaucoup sur les réseaux sociaux et sur des réseaux d’influenceurs de la langue française.
« On peut compter notamment sur le réseau des professeurs de français, qui agit avec beaucoup d’enthousiasme, de dynamisme. Ce dictionnaire est reçu par l’ensemble des acteurs francophones avec beaucoup d’espoir, car c’est un outil pour les nouvelles générations, qui garantiront l’emploi du français dans le monde dans les décennies qui viennent. »
Chacun peut proposer, soit. C’est cool, comme on ne dit pas en français. Mais quelles garanties de ne pas abriter n’importe quoi ?
« Vous avez raison de poser cette question. On a mis en place, grâce au comité scientifique qu’anime Bernard Cerquiglini un comité qui étudiera l’ensemble des propositions et qui les validera. Un comité constitué de linguistes du Nord comme du Sud, représentatif de la diversité de la francophonie dans le monde. Les délais seront en circuit court, avec une belle gestion qui va être fluide et ne devrait pas excéder le plus souvent 48 heures. Évidemment, tout dépendra de l’affluence et du succès croissant de ce dictionnaire. En tout cas, on va veiller à une réactivité maximale dans la dimension collaborative. »
Si vous deviez choisir un des termes de cette francophonie inventive ?
« Ce serait le terme « ambianceur », qui nous vient du Congo. Ce terme est à l’image de la langue française que nous souhaitons conviviale, festive, de partage, et si le Dictionnaire des français francophones « ambiance » les Francophones du monde entier, le pari sera réussi. »
(Propos recueillis par Loïc Hervouet, journaliste, président d’honneur d’Agora Francophone Internationale)
* L’application du « Dictionnaire des francophones » est téléchargeable à partir du mardi 16 mars, libre d’accès et donc disponible sur les plateformes de téléchargement. Lancement officiel du ministère de la Culture, avec la ministre Roselyne Bachelot, accompagnée de la secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, du secrétaire d’État à la Francophonie Jean-Baptiste Lemoyne, de Leïla Slimani, marraine de cette opération, grande écrivaine, et représentante personnelle du président de la République pour la Francophonie. Étaient également présents le recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie, Slim Khalbous, puisque l’AUF est un partenaire clé pour cette belle opération, ainsi que le chancelier de l’Institut de France, Xavier Darcos, et le secrétaire perpétuel de l’Académie française, Hélène Carrère d’Encausse.
Lancement sur les réseaux sociaux, sur le compte Facebook du ministère de la Culture et également sur les sites de tous les partenaires.